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Leur capitaine s’agenouilla devant elle. « Peut-être Votre Grâce se souvient-elle de moi. Je suis ser Theodan le Véridique, et Sa Sainteté Suprême m’a confié le commandement de votre escorte. Mes frères et moi veillerons à ce que vous traversiez la cité en toute sécurité. »

Le regard de Cersei balaya les visages des hommes qui l’entouraient. Et il était là : Lancel, son cousin, fils de ser Kevan, qui avait naguère protesté de son amour, avant de décider qu’il aimait les dieux davantage. Mon sang et mon traître. Elle ne l’oublierait pas. « Vous pouvez vous lever, ser Theodan. Je suis prête. »

Le chevalier se dressa, se retourna, leva une main. Deux de ses hommes allèrent jusqu’aux portes massives qu’ils ouvrirent d’une poussée, et Cersei les franchit pour sortir à l’air libre, clignant les yeux au soleil comme une taupe chassée de son tunnel.

Du vent soufflait en rafales, et il fit voler et claquer contre ses jambes le bas de sa tunique. L’air du matin était chargé des vieux remugles familiers de Port-Réal. Elle aspira les relents de vin aigre, de pain au four, de poisson pourri et de pots de chambre, de fumée, de sueur et de pissat de cheval. Nulle fleur n’avait jamais senti si bon. Pelotonnée dans sa tunique, Cersei s’arrêta au sommet des marches de marbre tandis que les Fils du Guerrier se plaçaient en formation autour d’elle.

L’idée lui vint soudainement qu’elle s’était déjà tenue en ce même endroit, le jour où lord Eddard Stark avait perdu sa tête. Ça n’aurait pas dû arriver. Joffrey devait l’épargner et l’envoyer au Mur. Le fils de Stark lui aurait succédé comme seigneur de Winterfell, mais Sansa serait restée à la cour, en otage. Varys et Littlefinger avaient négocié les termes, et Ned Stark avait ravalé son précieux honneur et confessé sa trahison afin de sauver la petite tête vide de sa fille. J’aurais conclu pour Sansa un bon mariage. Un mariage Lannister. Pas avec Joffrey, bien entendu, mais Lancel aurait pu convenir, ou un de ses frères cadets. Petyr Baelish s’était proposé pour épouser la fille, elle s’en souvenait, mais bien entendu, c’était impossible ; il était d’une origine beaucoup trop roturière. Si seulement Joffrey avait fait ce qu’on lui demandait. Jamais Winterfell ne serait entré en guerre, et Père se serait chargé des frères de Robert.

Mais Joffrey avait ordonné la décollation de Stark, et lord Slynt et ser Ilyn Payne s’étaient empressés d’obéir. C’était précisément ici, se rappelait-elle, en considérant l’endroit. Janos Slynt avait soulevé la tête de Ned Stark par les cheveux tandis que le sang et la vie de celui-ci s’écoulaient sur les degrés et, dès lors, il n’était plus question de faire demi-tour.

Ces souvenirs semblaient tellement lointains. Joffrey était mort, ainsi que tous les fils de Stark. Même son père avait péri. Et elle se tenait là de nouveau, sur le parvis du Grand Septuaire, sauf que, cette fois-ci, c’était elle que contemplait la foule, et non Eddard Stark.

La large place de marbre en contrebas était aussi encombrée qu’au jour de la mort de Stark. Partout où elle regardait, la reine voyait des yeux. La foule semblait à égales parts formée d’hommes et de femmes. Certains avaient des enfants sur leurs épaules. Mendiants et voleurs, taverniers et négociants, tanneurs, palefreniers et bateleurs, les plus pauvres sortes de putains, toute une racaille venue voir une reine jetée dans le ruisseau. Se mêlaient à eux les Pauvres Compagnons, des créatures crasseuses, hirsutes, armées de piques et de haches et bardées de fragments de plate cabossée, de maille rouillée et de cuir craquelé, sous des surcots en tissu grossier décoloré, frappés de l’étoile à sept branches de la Foi. L’armée en loques du Grand Moineau.

Une partie d’elle guettait toujours une apparition de Jaime venu la sauver de cette humiliation, mais son jumeau n’était nulle part visible. Son oncle non plus n’était pas présent. Elle n’en fut pas surprise. Ser Kevan avait clairement exposé ses opinions au cours de sa dernière visite ; la honte de la reine ne devait aucunement entacher l’honneur de Castral Roc. Il n’y aurait pas de lions pour marcher à ses côtés, ce jour. L’épreuve lui était réservée, et à elle seule.

La septa Unella se tenait à sa droite, la septa Moelle à sa gauche, et la septa Scolera derrière elle. Si la reine cherchait à s’enfuir ou regimbait, les trois mégères la traîneraient de nouveau à l’intérieur et, cette fois-ci, elles veilleraient à ce qu’elle n’en sortît jamais.

Cersei leva la tête. Au-delà de la place, au-delà de la mer d’yeux avides, de bouches bées et de visages sales, de l’autre côté de la ville se dressaient dans le lointain la Grande Colline d’Aegon, les tours et les fortifications du Donjon Rouge, rosissant à la lueur du soleil levant. Ce n’est pas si loin. Une fois qu’elle aurait atteint ses portes, le pire de ses tourments serait passé. Elle retrouverait son fils. Elle aurait son champion. Son oncle le lui avait promis. Tommen m’attend. Mon petit roi. Je peux y arriver. Je le dois.

La septa Unella s’avança. « Une pécheresse se présente à vous, annonça-t-elle. Elle se nomme Cersei de la maison Lannister, reine douairière, mère de Sa Grâce le roi Tommen, veuve de Sa Grâce le roi Robert, et elle a commis de graves faussetés et fornications. »

La septa Moelle vint se placer à la droite de la reine. « Cette pécheresse a confessé ses fautes et imploré l’absolution et le pardon. Sa Sainteté Suprême lui a ordonné de démontrer son repentir en se dénudant de tout orgueil et de tout artifice pour se présenter, telle que les dieux l’ont faite, aux yeux des dieux et des hommes, afin d’accomplir sa marche d’expiation. »

Cersei avait un an, à la mort de son grand-père. La première action de son père en accédant au titre avait été d’expulser de Castral Roc la maîtresse de son géniteur, une roturière cupide. On l’avait dépouillée des soieries et des brocarts que lord Tytos lui avait offerts, des joyaux qu’elle s’était appropriés, et on l’avait envoyée, nue, traverser les rues de Port-Lannis, afin que l’Ouest la vît pour ce qu’elle était.

Bien que trop jeune pour assister elle-même au spectacle, Cersei en grandissant avait entendu les histoires, de la bouche de lavandières et de gardes qui avaient été présents. Ils décrivaient combien la femme avait pleuré et supplié, le désespoir avec lequel elle s’était agrippée à ses vêtements lorsqu’on lui avait commandé de se déshabiller, ses tentatives futiles pour couvrir de ses mains ses seins et son sexe tout en clopinant vers l’exil, pieds nus et dévêtue de par les rues. « L’était coquette et orgueilleuse, avant », lui avait raconté un garde, elle s’en souvenait, « tellement fière, on aurait cru qu’elle avait oublié qu’el’ sortait du ruisseau. Une fois qu’on y a fait tomber ses nippes, bah ! y avait plus qu’une roulure comme les autres. »

Si ser Kevan et le Grand Moineau s’imaginaient qu’il en irait de même avec elle, ils se trompaient fort. Dans ses veines courait le sang de lord Tywin. Je suis une lionne. Je ne tremblerai pas devant eux.

La reine se débarrassa de sa robe.

Elle se dénuda d’un mouvement souple et posé, comme si elle se trouvait dans ses propres appartements, en train de se dévêtir pour prendre son bain sans personne d’autre que ses caméristes pour la voir. Quand le vent froid toucha sa peau, elle eut un violent frisson. Il fallut toute sa force de caractère pour ne pas tenter de se cacher avec ses mains, comme la catin de son grand-père l’avait fait. Ses doigts se serrèrent en poings, ses ongles s’enfonçant dans ses paumes. Ils la regardaient, tous ces yeux avides. Mais que voyaient-ils ? Je suis belle, se remémora-t-elle. Combien de fois Jaime le lui avait-il dit ? Même Robert lui avait concédé cela, au moins, quand il venait la visiter en son lit, tout ivre qu’il était, afin de lui rendre avec sa queue un hommage d’ivrogne.