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À mi-pente de la colline de Visenya, la reine tomba pour la première fois, lorsque son pied glissa sur quelque chose qui aurait pu être le contenu d’un pot de chambre. Quand la septa Unella la releva, son genou écorché saignait. Des rires épars coururent à travers la foule, et un homme brailla en lui offrant de guérir d’un baiser le bobo. Cersei regarda derrière elle. Elle voyait encore au sommet de la colline le vaste Dôme et les sept tours de cristal du grand Septuaire de Baelor. Ai-je réellement parcouru si peu de chemin ? Pire, cent fois pire, elle avait perdu de vue le Donjon Rouge. « Où… Où…?

— Votre Grâce. » Le capitaine de l’escorte s’approcha d’elle. Cersei avait oublié son nom. « Vous devez poursuivre. La foule commence à s’agiter. »

Oui, admit-elle. À s’agiter. « Je n’ai pas peur…

— Vous devriez. » Il la hala par le bras, l’entraînant à sa suite. Elle descendit la colline en trébuchant – plus bas, toujours plus bas –, grimaçant à chaque pas, se laissant soutenir par lui. Ce devrait être Jaime, auprès de moi. Il tirerait son épée d’or pour se tailler un passage à travers la foule, faisant sauter hors de leur tête les yeux de tous les hommes qui osaient poser le regard sur elle.

Les pavés étaient fendus et irréguliers, visqueux sous ses pieds, et rugueux à leur plante sensible. Son talon se posa sur un objet pointu, une pierre ou un éclat de vaisselle cassée. Cersei poussa un cri de douleur. « J’ai demandé des sandales, cracha-t-elle à la septa Unella. Vous auriez pu m’en donner, m’accorder au moins cela. » Le chevalier la tira de nouveau brutalement par le bras, comme une vulgaire fille de salle. Aurait-il oublié qui je suis ? Elle était reine de Westeros, il n’avait pas le droit de poser ses grosses pattes sur elle.

En approchant du pied de la colline, la pente s’adoucit et la rue commença à s’élargir. Cersei aperçut de nouveau le Donjon Rouge, tout d’écarlate brillant au soleil matinal, en haut de la colline d’Aegon. Je dois continuer à marcher. D’une saccade, elle se dégagea de la poigne de ser Theodan. « Vous n’avez nul besoin de me traîner, ser. » Elle poursuivit en boitant, laissant derrière elle sur les pierres la piste ensanglantée de ses empreintes de pas.

Elle traversa la boue et la crotte, saignant, grelottant, clopinant. Tout autour d’elle régnait un brouhaha. « Ma femme a de plus beaux nichons que ça », gueula un homme. Un transporteur sacra quand les Pauvres Compagnons lui ordonnèrent de déplacer son chariot. « Honte, honte, honte à la pécheresse », scandaient les septas. « Et çui-là, vous l’avez vu ? » lança une putain, de la fenêtre d’un bordel, en levant ses jupes pour les hommes en bas. « Il s’est pas pris moitié tant de bites qu’ le sien ! » Les cloches sonnaient, sonnaient, sonnaient. « C’est pas la reine, commenta un gamin, elle est aussi ridée qu’ maman. » C’est ma pénitence, se répéta Cersei. J’ai fort gravement péché, voici mon expiation. Elle prendra bientôt fin, pour passer derrière moi et, dès lors, je pourrai oublier.

La reine commença à découvrir des visages familiers. Un chauve aux favoris en broussaille la toisait avec sévérité d’une fenêtre, arborant l’expression de son père, et l’espace d’un instant, il ressembla tant à lord Tywin qu’elle trébucha. Une fille, assise sous une fontaine et douchée par les éclaboussures, la considérait avec les yeux accusateurs de Melara Cuillêtre. Elle vit Ned Stark et, auprès de lui, la petite Sansa avec ses cheveux auburn et un chien gris hirsute qui aurait pu être son loup. Chaque enfant qui se faufilait dans la foule devint son frère Tyrion, se gaussant d’elle comme il avait ricané à la mort de Joffrey. Et Joffrey était là également, son fils, son premier-né, son lumineux garçon, avec ses mèches blondes et son doux sourire, il avait de si jolies lèvres, il…

Ce fut là qu’elle chuta pour la deuxième fois.

Elle tremblait comme une feuille quand on la remit sur ses pieds. « Je vous en prie, dit-elle. Que la Mère ait pitié. J’ai confessé.

— En effet, répondit la septa Moelle. Et telle est votre pénitence.

— Ce n’est plus très loin, assura la septa Unella. Vous voyez ? » Elle tendit le doigt. « Au sommet de la colline, c’est tout. »

Au sommet de la colline. C’est tout. Elle disait vrai. Ils se trouvaient au pied de la colline d’Aegon, dominés par le château.

« Putain, s’égosilla quelqu’un.

— Fouteuse de frère, ajouta une autre voix. Abomination.

— Et ça, tu veux le pomper, Ta Grâce ? » Un homme en tablier de boucher tira sa queue de ses culottes, avec un large sourire. Peu importait. Elle était presque chez elle.

Cersei entama l’ascension.

S’il était possible, les railleries et les apostrophes fusaient plus ordurières, ici. Sa progression ne la menait pas par Culpucier, aussi ses habitants s’étaient-ils entassés sur les premières hauteurs de la colline d’Aegon afin de voir le spectacle. Les visages qui la lorgnaient derrière les boucliers et les piques des Pauvres Compagnons semblaient déformés, monstrueux, atroces. Des gorets et des enfants tout nus galopaient partout, des mendiants estropiés et des tire-laine grouillaient dans la foule comme des cafards. Elle vit des hommes aux dents limées en pointe, des vieillardes chargées de goitres gros comme leur tête, une putain avec un énorme serpent rayé lové autour de ses seins et de ses épaules, un homme aux joues et au front couverts de plaies purulentes d’où sourdait un pus gris. Ils ricanaient, se pourléchaient et la huaient tandis qu’elle passait en boitant devant eux, ses seins se soulevant et descendant sous l’effort de l’ascension. Certains gueulaient des propositions obscènes, d’autres des insultes. Les mots sont du vent, se disait-elle, les mots ne peuvent me faire aucun mal. Je suis belle, la plus belle femme de tout Westeros, Jaime le dit, jamais Jaime ne me mentirait. Même Robert, Robert ne m’a jamais aimée, mais il a vu que j’étais belle, il me désirait.

Pourtant, elle ne se sentait pas belle. Elle avait le sentiment d’être vieille, usée, sale, laide. Son ventre présentait des vergetures, conséquence des enfants qu’elle avait portés, et ses seins n’étaient plus aussi fermes que lorsqu’elle était plus jeune. Sans camisole pour les maintenir, ils s’affaissaient sur sa poitrine. Je n’aurais pas dû faire ça. J’étais leur reine, mais à présent, ils ont vu, ils ont vu, ils ont vu. Jamais je n’aurais dû les laisser voir. Vêtue et couronnée, elle était reine. Nue, saignante, boitant, elle n’était qu’une femme, pas si différente de leurs épouses, plus proche de leurs mères que de leurs jolies petites pucelles de filles. Qu’ai-je fait ?

Quelque chose dans ses yeux la piquait, lui brouillait la vue. Elle ne pouvait pas pleurer, elle refusait de pleurer, jamais ces vers de terre ne devaient la voir pleurer. Cersei se frotta les yeux du bas de la paume. Une rafale de vent froid la fit tressaillir violemment.

Et soudain, la vieillarde se tenait devant elle, debout dans la foule avec ses nichons ballants, sa peau verdâtre et verruqueuse, à ricaner avec tout le reste, ses yeux jaunes et chassieux brillant de malignité. « Reine tu seras, chuinta-t-elle, jusqu’à ce qu’en survienne une autre, plus jeune et plus belle, pour te jeter à bas et s’emparer de tout ce qui te tient le plus chèrement au cœur. »