Et là, il ne lui fut plus possible de retenir ses larmes. Elles brûlaient comme un acide en coulant sur les joues de la reine. Cersei poussa un cri aigu, se couvrit les seins d’un bras, fit glisser l’autre main pour cacher sa fente et se mit à courir, traversant en les bousculant la ligne des Pauvres Compagnons, se voûtant pour gravir la colline, jambes ployées. En chemin, elle trébucha, tomba, se leva, puis tomba à nouveau, dix pas plus loin. Brusquement, elle s’aperçut qu’elle se traînait, qu’elle grimpait à quatre pattes comme un chien, tandis que le bon peuple de Port-Réal s’écartait devant elle, riant, se gaussant et applaudissant.
Et tout d’un coup, la foule s’ouvrit et parut se dissoudre, et les portes du château furent là, devant elle, ainsi qu’une ligne de piquiers en demi-heaumes dorés et capes écarlates. Cersei entendit le son familier et rogue de son oncle aboyant des ordres et entr’aperçut du blanc de part et d’autre, alors que ser Boros Blount et ser Meryn Trant avançaient vers elle, bardés de plate blême et de manteaux neigeux. « Mon fils, s’exclama-t-elle. Où est mon fils ? Où est Tommen ?
— Pas ici. Un fils ne devrait jamais être témoin de la honte de sa mère. » Ser Kevan parlait sur un ton dur. « Couvrez-la. »
Alors Jocelyn se pencha sur elle, l’enveloppant dans une couverture douce et propre en laine verte afin de voiler sa nudité. Une ombre tomba sur eux deux, masquant le soleil. La reine sentit de l’acier froid se glisser sous elle, une paire de grands bras en armure la soulever de terre, la porter dans les airs aussi aisément qu’elle saisissait Joffrey quand il était encore bébé. Un géant, se dit Cersei, prise de vertige, tandis qu’il l’emportait à grands pas vers la barbacane. Elle avait entendu dire qu’on trouvait encore des géants dans la désolation sans dieux au-delà du Mur. Ce n’est qu’un conte. Est-ce que je rêve ?
Non. Son sauveur était bien réel. Huit pieds de haut, peut-être davantage, avec des jambes aussi épaisses que des arbres, il avait un torse digne d’un cheval de labour et des épaules qui n’auraient pas déshonoré un bœuf. Son armure était en plate d’acier, émaillée de blanc et aussi brillante que des espoirs de pucelle, portée par-dessus de la maille dorée. Un casque lui cachait le visage. En cimier flottait un plumet soyeux aux sept couleurs arc-en-ciel de la Foi. Deux étoiles d’or à sept branches retenaient la cape flottant sur ses épaules.
Un blanc manteau.
Ser Kevan avait tenu sa part du marché. Tommen, son précieux petit garçon, avait nommé son champion dans la Garde Royale.
Cersei ne vit pas d’où Qyburn sortait, mais soudain il fut là, devant eux, pressant le pas pour égaler les longues enjambées du champion de la reine. « Votre Grâce, déclara-t-il, c’est un tel plaisir de vous voir revenue. Puis-je avoir l’honneur de vous présenter le plus récent membre de la Garde Royale ? Voici ser Robert Fort.
— Ser Robert, murmura Cersei alors qu’ils franchissaient les portes.
— N’en déplaise à Votre Grâce, ser Robert a fait un vœu sacré de silence, précisa Qyburn. Il a juré de ne point parler tant que tous les ennemis de Sa Grâce le roi ne seront pas morts et que le mal n’aura pas été bouté hors du royaume. »
Oui, songea Cersei Lannister. Oh oui.
Tyrion
La pile de parchemins atteignait une altitude formidable. Tyrion la considéra et poussa un soupir. « J’avais compris que vous étiez une bande de frères. Est-ce là l’amour qu’un frère porte à son semblable ? Où est la confiance ? L’amitié, la camaraderie, la profonde affection que seuls des hommes qui ont combattu et saigné ensemble pourront jamais connaître ?
— Chaque chose en son temps, répondit Brun Ben Prünh.
— Quand tu auras signé », précisa Pot-à-l’Encre en aiguisant une plume. Kasporio le Rusé toucha la garde de son épée. « Si tu préfères commencer tout de suite à saigner, je s’rai ravi d’ te rendre service.
— Comme c’est aimable de ta part, susurra Tyrion. Mais je ne crois pas, non. »
Pot-à-l’Encre plaça les parchemins devant Tyrion et lui tendit la plume. « Voici ton encre. De l’ancienne Volantis, qu’elle vient. Elle durera aussi longtemps que du noir de mestre qui se respecte. Il te suffit de signer et de me remettre les billets. Je me charge du reste. »
Tyrion lui adressa un sourire torve. « Est-ce que je peux les lire, d’abord ?
— Si tu veux. Elles disent toutes la même chose, dans leurs grandes lignes. Excepté celles du bas, mais nous y viendrons en temps utile. »
Oh, j’en suis bien persuadé. Pour la plupart des hommes, rejoindre une compagnie ne coûtait rien, mais il n’était pas la plupart des hommes. Il trempa la plume dans l’encrier, se pencha sur le premier parchemin, suspendit son mouvement, leva le regard. « Vous préférez que je signe Yollo ou Hugor Colline ? »
Brun Ben plissa les yeux. « Tu préfères qu’on te restitue aux héritiers de Yezzan, ou simplement qu’on te décapite ? »
Avec un rire, le nain signa le parchemin Tyrion de la maison Lannister. Le passant sur sa gauche à Pot-à-l’Encre, il feuilleta la pile au-dessous. « Il y en a… combien, cinquante ? Soixante ? Je croyais qu’il y avait cinq cents Puînés.
— Cinq cent treize à l’heure actuelle, précisa Pot-à-l’Encre. Quand tu signeras notre registre, tu seras le cinq cent quatorzième.
— Donc, il n’y en a qu’un sur dix qui reçoit une note ? Ça ne paraît pas très équitable. Je vous croyais tous très partageurs, dans les compagnies libres. » Il signa une nouvelle feuille.
Brun Ben gloussa. « Oh, très partageurs. Mais pas à parts égales. En cela, les Puînés ne diffèrent guère d’une famille…
— Et toutes les familles ont leurs cousins retardés. » Tyrion signa une autre note. Le parchemin craqua fermement quand il le fit glisser vers le trésorier. « Il y a des cellules dans les profondeurs de Castral Roc où le seigneur mon père garde les pires des nôtres. » Il plongea sa plume dans l’encrier. Tyrion de la maison Lannister, griffonna-t-il, promettant de payer au porteur du billet cent dragons d’or. Chaque trait de plume m’appauvrit un peu plus… Ou m’appauvrirait, si je n’étais pas déjà un va-nu-pieds. Un jour, il se mordrait peut-être les doigts de ces paraphes. Mais pas aujourd’hui. Il souffla sur l’encre humide, fit glisser le parchemin vers le trésorier, et signa celui de dessous. Et le suivant. Et le suivant. Et le suivant. « Tout ceci me peine terriblement, je tiens à ce que vous le sachiez, leur déclara-t-il entre deux signatures. À Westeros, on considère que la parole d’un Lannister vaut de l’or. »
Pot-à-l’Encre haussa les épaules. « Nous ne sommes pas à Westeros. Sur cette rive du détroit, nous couchons nos promesses par écrit. » Chaque fois qu’on lui remettait une feuille, il saupoudrait le paraphe de sable fin afin d’absorber l’excès d’encre, puis secouait la feuille avant de la ranger. « Les dettes tracées sur du vent tendent à… s’oublier, disons.
— Pas par nous. » Tyrion signa une nouvelle feuille. Et encore une autre. Il avait trouvé son rythme, à présent. « Un Lannister paie toujours ses dettes. »
Prünh ricana. « Certes, mais la parole d’une épée-louée ne vaut rien. »
Ma foi, la tienne, en tout cas, songea Tyrion, et que les dieux en soient remerciés. « C’est vrai, mais je ne serai pas une épée-louée tant que je n’aurai pas signé votre registre.