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Cela en faisait six. Six, sur vingt-sept. Selmy en aurait préféré davantage, mais six était un bon début. Les autres, plus jeunes pour la plupart, étaient plus familiarisés avec le métier à tisser, la charrue et le pot de chambre qu’avec l’épée et le bouclier, mais ils travaillaient dur et apprenaient vite. Quelques années comme écuyers, et ser Barristan pourrait présenter à sa reine six chevaliers supplémentaires. Quant à ceux qui ne seraient jamais prêts, ma foi, tous les enfants n’étaient pas destinés à devenir chevaliers. Le royaume a besoin de fabricants de bougies, d’aubergistes et d’armuriers, également. C’était aussi vrai à Meereen que ça l’était en Westeros.

En les regardant s’entraîner, ser Barristan étudia la possibilité d’adouber chevaliers sur-le-champ Tumco et Larraq, et peut-être aussi l’Agneau rouge. Il fallait un chevalier pour faire un chevalier et, si les événements devaient mal tourner au soir venu, l’aube pourrait le trouver mort ou emprisonné dans un cachot. Qui adouberait ses écuyers, alors ? D’un autre côté, la réputation d’un jeune chevalier dépendait en partie au moins de l’honneur de celui qui lui avait conféré ce titre. Il ne serait pas bon du tout pour les jeunes que l’on apprît qu’ils avaient reçu leurs éperons d’un traître, et cela pourrait les expédier dans l’oubliette voisine de la sienne. Ils méritent mieux, décida ser Barristan. Plutôt une longue vie d’écuyer qu’une brève existence de chevalier sali.

Tandis que l’après-midi se fondait dans le soir, il demanda à ses protégés de déposer leurs épées et leurs boucliers et de se réunir autour de lui. Il leur parla de ce qu’être chevalier signifiait. « C’est la chevalerie qui fait le véritable chevalier, et non une épée, dit-il. Sans honneur, un chevalier n’est qu’un vulgaire tueur. Mieux vaut mourir avec honneur que de vivre sans lui. » Les jeunes le regardaient d’un air étrange, lui parut-il, mais un jour, ils comprendraient.

Ensuite, revenu au sommet de la pyramide, ser Barristan trouva Missandei parmi des empilements de rouleaux et de livres, en train de lire. « Reste ici cette nuit, mon enfant, lui conseilla-t-il. Quoi qu’il arrive, quoi que tu voies ou que tu entendes, ne quitte pas les appartements de la reine.

— Ma personne entend. Si elle peut demander…

— Il ne vaut mieux pas. » Ser Barristan sortit seul sur les jardins en terrasse. Je ne suis pas fait pour ceci, songea-t-il en contemplant la cité déployée devant lui. Les pyramides s’éveillaient, une par une, des lanternes et des torches s’animant d’une palpitation lumineuse tandis que s’amassaient les ombres dans les rues en contrebas. Complots, ruses, chuchotements, mensonges, des secrets qui en contiennent d’autres, et je ne sais comment, j’y suis désormais mêlé.

Peut-être aurait-il dû y être habitué, à présent. Le Donjon Rouge aussi avait ses secrets. Et même Rhaegar. Le prince de Peyredragon ne lui avait jamais accordé la confiance qu’il avait placée en Arthur Dayne. Harrenhal en avait fourni la preuve. L’année du printemps trompeur.

Le souvenir en demeurait amer. Le vieux lord Whent avait annoncé le tournoi peu après une visite de son frère, ser Oswell Whent de la Garde Royale. Avec Varys pour chuchoter à son oreille, le roi Aerys s’était convaincu que son fils conspirait à le déposer, que le tournoi de Whent n’était qu’une ruse pour offrir à Rhaegar un prétexte de rencontrer autant de grands seigneurs qu’on en pourrait rassembler. Aerys n’avait plus posé le pied hors du Donjon Rouge depuis Sombreval, et pourtant, subitement, il annonça qu’il accompagnerait le prince Rhaegar à Harrenhal ; dès lors, tout avait mal tourné.

Si j’avais été meilleur chevalier… Si j’avais désarçonné le prince dans cette dernière joute, comme j’en avais désarçonné tant d’autres, c’est à moi que serait revenu le choix de la reine d’amour et de beauté…

Rhaegar avait élu Lyanna Stark de Winterfell. Barristan Selmy aurait choisi autrement. Non point la reine, qui n’était pas présente. Ni Elia de Dorne, bien qu’elle fût bonne et douce ; si elle avait été choisie, on aurait pu éviter bien des guerres et des maux. Son choix se serait porté sur une jeune pucelle, fraîchement arrivée à la cour, une des damoiselles de compagnie d’Elia… bien que, comparée à Ashara Dayne, la princesse dornienne ne fût qu’une fille de cuisine.

Même après toutes ces années, ser Barristan se rappelait encore le sourire d’Ashara, l’éclat de son rire. Il lui suffisait de clore les paupières pour la voir, avec ses longs cheveux bruns qui tombaient sur ses épaules et ces obsédants yeux mauves. Daenerys a les mêmes yeux. Parfois, lorsque la reine le regardait, il avait l’impression de contempler la fille d’Ashara…

Mais la fille d’Ashara était mort-née, et la gente dame de Selmy s’était peu après précipitée d’une tour, folle de chagrin à cause de l’enfant qu’elle avait perdu, peut-être aussi à cause de l’homme qui l’avait déshonorée à Harrenhal. Elle avait péri sans savoir que ser Barristan l’aimait. Comment l’eût-elle su ? Il était un chevalier de la Garde Royale, voué au célibat. Rien de bon n’aurait pu venir d’un aveu de ses sentiments. Rien de bon n’est venu du silence, non plus. Si j’avais désarçonné Rhaegar et couronné Ashara reine d’amour et de beauté, se serait-elle tournée vers moi plutôt que vers Stark ?

Il ne le saurait jamais. Mais de tous ses échecs, aucun autre ne hantait Selmy autant que celui-là.

Le ciel était couvert, l’air chaud, moite, étouffant, et cependant quelque chose dans l’atmosphère lui donnait des fourmillements le long de l’échine. La pluie, jugea-t-il. Un orage monte. Si ce n’est pas pour ce soir, ce sera demain. Ser Barristan se demanda s’il vivrait assez longtemps pour le voir. Si Hizdahr a sa propre Araignée, je suis déjà pratiquement mort. Si les choses devaient en arriver là, il avait l’intention de mourir comme il avait vécu, sa longue épée à la main.

Lorsque les dernières lueurs se furent estompées à l’ouest, derrière les voiles des vaisseaux qui sillonnaient la baie des Serfs, ser Barristan retourna à l’intérieur, appela deux serviteurs et leur demanda de chauffer de l’eau pour un bain. L’entraînement avec ses écuyers durant l’après-midi lui avait laissé une impression d’être souillé, suant.

L’eau, quand elle arriva, était juste tiède, mais Selmy s’attarda dans le bain jusqu’à ce qu’elle fût froide, et se frictionna l’épiderme à presque se l’écorcher. Aussi propre qu’il pouvait l’être, il se leva, se sécha et revêtit une tenue blanche. Bas, petit linge, tunique en soie, gambison, tout cela lavé de frais et décoloré. Par-dessus, il revêtit l’armure que la reine lui avait offerte en témoignage d’estime. La cotte était dorée, finement ouvragée, ses mailles souples comme un bon cuir, les plates nappées d’émail, dur comme la glace et éclatant comme la neige fraîchement tombée. Son poignard se logea sur une hanche, son épée sur l’autre, accrochée à un baudrier en cuir blanc aux boucles dorées. En tout dernier lieu, il décrocha sa longue cape blanche et la fixa sur ses épaules.

Le heaume, il le laissa à son crochet. L’étroite fente pour les yeux limitait son champ de vision, et il avait besoin de voir, pour ce qui venait. Les salles de la pyramide étaient sombres, la nuit, et les ennemis pouvaient arriver d’un côté ou de l’autre. D’ailleurs, aussi splendides à voir que fussent les ailes de dragons ornées qui décoraient le heaume, elles pouvaient trop aisément retenir une épée ou une hache. Il les garderait pour son prochain tournoi, si les Sept lui en accordaient un.