En armes et armure, le vieux chevalier attendit, assis dans la pénombre de sa petite chambre jouxtant les appartements de la reine. Les visages de tous les rois qu’il avait servis et faillis flottèrent devant ses yeux dans l’obscurité, ainsi que ceux des frères qui avaient servi à ses côtés dans la Garde Royale. Il se demanda combien d’entre eux auraient agi comme il se préparait à le faire. Certains, sûrement. Mais pas tous. D’aucuns n’auraient pas hésité à tuer le Crâne-ras pour la traîtrise de sa conduite. À l’extérieur de la pyramide, il commença à pleuvoir. Assis dans le noir, ser Barristan écoutait. On croirait des larmes, pensa-t-il. On dirait que pleurent des rois morts.
Vint l’heure de partir.
La Grande Pyramide de Meereen avait été construite en écho à cette Grande Pyramide de Ghis dont Lomas Grandpas avait jadis visité les ruines colossales. Comme son antique prédécesseur dont les salles de marbre rouge étaient désormais le séjour des chauves-souris et des araignées, la pyramide meereenienne s’enorgueillissait de trente et trois niveaux, nombre apparemment sacré pour les dieux de Ghis. Ser Barristan entama seul la longue descente, sa cape blanche ondulant derrière lui tandis qu’il progressait. Il emprunta la voie de service, non point le grand escalier de marbre veiné, mais la volée de marches plus étroite, plus abrupte et plus directe dissimulée dans l’épaisseur des murs de brique.
Douze niveaux plus bas, il trouva le Crâne-ras qui attendait, ses traits ingrats toujours cachés par le masque qu’il avait porté le matin, la chauve-souris vampire. Six Bêtes d’Airain se tenaient auprès de lui. Toutes arboraient des faciès d’insectes, identiques entre eux.
Des sauterelles, se rendit compte Selmy. « Groleo, dit-il.
— Groleo, répondit une des sauterelles.
— J’ai encore d’autres sauterelles, si besoin est, dit Skahaz.
— Six devraient suffire. Et les hommes aux portes ?
— Des hommes à moi. Vous n’aurez pas de problèmes. »
Ser Barristan empoigna le Crâne-ras par le bras. « Ne versez de sang que si vous le devez. Demain, nous réunirons un conseil et nous annoncerons à la cité ce que nous avons fait, et pourquoi.
— Comme vous voudrez. Que la fortune vous sourie, vieil homme. »
Chacun partit de son côté. Les Bêtes d’Airain se rangèrent derrière ser Barristan tandis qu’il poursuivait sa descente.
Les appartements du roi étaient enfouis au cœur même de la pyramide, aux seizième et dix-septième niveaux. En atteignant ces étages, Selmy trouva les portes conduisant à l’intérieur de l’édifice fermées par des chaînes, avec deux Bêtes d’Airain postées en sentinelles. Sous les cagoules de leurs capes cousues de loques, l’une était un rat, l’autre un taureau.
« Groleo, annonça ser Barristan.
— Groleo, répondit le taureau. Troisième salle à droite. » Le rat déverrouilla la chaîne. Ser Barristan et son escorte pénétrèrent dans un étroit corridor de service en brique rouge et noire, éclairé par des torches. Leurs pas résonnèrent sur le sol tandis qu’ils croisaient deux pièces pour entrer dans la troisième sur la droite.
Devant les portes en bois dur donnant sur les appartements du roi se tenait Cuir d’acier, un combattant d’arène plus jeune, pas encore considéré comme un membre du premier cercle. Ses joues et son front étaient marqués de complexes tatouages en vert et noir, d’antiques glyphes de sorcier valyrien censés conférer à sa chair et à sa peau la dureté de l’acier. Des inscriptions similaires couvraient son torse et ses bras ; savoir si elles arrêteraient réellement une épée ou hache restait à démontrer.
Même sans cela, Cuir d’acier paraissait formidable – un jeune homme svelte à la musculature nerveuse, qui dominait ser Barristan d’un demi-pied. « Qui va là ? » lança-t-il en élevant sa longue hache sur le côté de façon à leur barrer le passage. Lorsqu’il vit ser Barristan, et les sauterelles d’airain à sa suite, il l’abaissa de nouveau. « Vieux ser.
— N’en déplaise au roi, je dois m’entretenir avec lui.
— Il est tard.
— Il est tard, mais l’affaire est pressante.
— Je peux demander. » Cuir d’acier cogna la hampe de sa longue hache contre la porte menant aux appartements du roi. Un judas coulissa. L’œil d’un enfant apparut. Une voix d’enfant appela à travers le vantail. Cuir d’acier répondit. Ser Barristan entendit le bruit d’une lourde barre qu’on retirait. La porte s’ouvrit.
« Vous seulement, précisa Cuir d’acier. Les Bêtes attendront ici.
— À votre guise. » Ser Barristan adressa un signe de tête aux sauterelles. L’une d’elles lui rendit le signe. Seul, Selmy se glissa par la porte.
Sombres et aveugles, cernés de toutes parts par des murs de brique épais de huit pieds, les appartements que le roi avait faits siens étaient spacieux et luxueux, à l’intérieur. De fortes poutres en chêne noir soutenaient les hauts plafonds. Le sol était couvert de tapis de soie venus de Qarth. Sur les murs étaient accrochées des tapisseries inestimables, anciennes et très fanées, dépeignant la gloire de l’Antique Empire de Ghis. La plus grande figurait les derniers survivants d’une armée valyrienne défaite passant sous le joug pour être enchaînés. L’arche qui menait à la chambre royale était gardée par deux amants en bois de santal, sculptés, polis et huilés. Ser Barristan les jugea de mauvais goût, mais sans doute avaient-ils pour rôle d’exciter les sens. Plus vite nous quitterons ce pays, mieux cela vaudra.
Un brasero de fer procurait l’unique lumière. Auprès de lui se tenaient deux des échansons de la reine, Draqaz et Qezza. « Miklaz est parti réveiller le roi, expliqua Qezza. Pouvons-nous vous apporter du vin, ser ?
— Non. Je vous remercie.
— Vous pouvez vous asseoir, proposa Draqaz en indiquant un banc.
— Je préfère rester debout. » Il entendait des voix passer sous l’arche, venues de la chambre à coucher. L’une d’elles était celle du roi.
Il fallut encore un bon petit moment avant que le roi Hizdahr zo Loraq, quatorzième de ce Noble Nom, émergeât en bâillant, nouant la ceinture qui refermait sa robe de chambre. Celle-ci était en satin vert, richement ornementée de perles et de fil d’argent. En dessous, le roi était totalement nu. C’était une bonne chose. Un homme nu se sent vulnérable et est moins enclin à des actes d’héroïsme suicidaire.
La femme que ser Barristan aperçut en train de jeter un coup d’œil par l’arche, derrière une tenture vaporeuse, était nue elle aussi, ses seins et ses hanches masqués en partie seulement par la soie qui volait.
« Ser Barristan. » Hizdahr bâilla de nouveau. « Quelle heure est-il ? Y a-t-il des nouvelles de ma douce reine ?
— Aucune, Votre Grâce. »
Hizdahr poussa un soupir. « Votre Magnificence, je vous prie. Quoiqu’à cette heure-ci, il serait plus juste de dire Votre Somnolence. » Le roi alla vers la desserte se verser une coupe de vin, mais il n’en restait qu’un filet au fond de la carafe. Un éclair d’agacement traversa son visage. « Miklaz, du vin. Tout de suite.
— Oui, Votre Excellence.
— Emmène Draqaz avec toi. Une bouteille d’Auré de La Treille, et une de rouge, le liquoreux. Et pas votre pisse jaune, merci bien. Et la prochaine fois que je trouve ma carafe à sec, je pourrais bien faire tâter de la badine à tes jolies petites fesses roses. » Le garçon détala à toutes jambes, et le roi se tourna de nouveau vers Selmy. « J’ai rêvé que vous aviez retrouvé Daenerys.