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— Vous ne pouvez l’épouser. Elle a un mari.

— Elle n’aime pas Hizdahr zo Loraq.

— Quel rapport entre l’amour et le mariage ? Un prince devrait savoir cela. Votre père s’est marié par amour, à ce qu’on dit. Quelle joie en a-t-il retiré ? »

Tant et moins. Doran Martell et son épouse norvoshie avaient passé une moitié de leur mariage séparés et l’autre à se disputer. C’était le seul acte inconsidéré qu’avait jamais commis son père, à l’en croire, la seule fois qu’il avait suivi son cœur au lieu de sa tête, et il avait eu tout loisir de le regretter amèrement. « Tous les risques ne conduisent pas à la ruine, insista-t-il. C’est mon devoir. Mon destin. » Tu es censé être mon ami, Gerris. Pourquoi faut-il que tu te gausses de mes espoirs ? J’ai assez de doutes sans que tu jettes de l’huile sur le feu de ma peur. « Ce sera ma grande aventure.

— Il y a des hommes qui meurent, dans les grandes aventures. »

Il n’avait pas tort. Cela aussi figurait dans les contes. Le héros part avec ses amis et ses compagnons, affronte maints dangers, rentre triomphalement chez lui. Mais certains de ses compagnons ne rentrent pas du tout. Le héros ne meurt jamais, toutefois. Il faut que je sois le héros. « Je n’ai besoin que de courage. Veux-tu que Dorne se souvienne de moi pour mon échec ?

— Dorne risque peu de longtemps se souvenir de nous. »

Quentyn suçait la brûlure sur sa paume. « Dorne se souvient d’Aegon et de ses sœurs. On n’oublie pas si aisément des dragons. Ils se souviendront de Daenerys, aussi.

— Pas si elle est morte.

— Elle est vivante. » Il le faut. « Elle est perdue, mais je peux la retrouver. » Et quand j’y arriverai, elle me regardera avec ces mêmes yeux dont elle couve son épée-louée. Une fois que je me serai montré digne d’elle.

« À califourchon sur un dragon ?

— Je monte à cheval depuis l’âge de six ans.

— Et vous avez vidé les étriers à deux ou trois reprises.

— Ce qui ne m’a jamais empêché de remonter en selle.

— Vous n’avez jamais vidé les étriers mille pieds au-dessus du sol, fit observer Gerris. Et il est rare que les chevaux transforment leurs cavaliers en cendres et os calcinés. »

Je connais les dangers. « Je ne veux pas en entendre davantage. Tu as ma permission de partir. Trouve-toi un navire et file à la maison, Gerris. » Le prince se leva, souffla la chandelle et retourna se glisser dans son lit aux draps trempés de sueur. J’aurais dû embrasser une des jumelles Boisleau, peut-être même les deux. J’aurais dû les embrasser tant que j’en avais la possibilité. J’aurais dû aller à Norvos voir ma mère et le lieu qui lui a donné le jour, afin qu’elle sache que je ne l’avais pas oubliée. Il entendait la pluie tomber, dehors, tambourinant contre les briques.

Le temps que l’heure du loup les rattrape, il pleuvait avec constance, une chute d’eau qui s’abattait en un torrent dur et froid qui ne tarderait pas à changer les rues en briques de Meereen en rivières. Les trois Dorniens déjeunèrent dans la froidure qui prélude à l’aube – un repas simple, à base de fruits, de pain et de fromage, arrosé de lait de chèvre. Lorsque Gerris fit mine de se verser une coupe de vin, Quentyn le retint. « Pas de vin. Il sera bien temps de boire après.

— Espérons », répondit Gerris.

Le mastodonte jeta un coup d’œil en direction de la terrasse. « J’ savais qu’il allait pleuvoir, commenta-t-il d’un ton morose. J’avais mal dans les os, hier au soir. Ils m’ font toujours souffrir avant que le temps vire à la pluie. Ça va pas plaire aux dragons. Le feu et l’eau, ça se mélange pas, c’est un fait reconnu. On allume un bon feu pour la cuisine, une bonne flambée, et puis il se met à pleuvoir comme vache qui pisse, et voilà : vot’ bois est tout trempé, et les flammes sont mortes. »

Gerris rit doucement. « Les dragons ne sont pas de bois, Arch.

— Y en a, si. Le vieux roi Aegon, le coureur de jupons, il a construit des dragons de bois pour nous conquérir. D’accord, ça a mal fini. »

Pour nous aussi, ça le pourrait, songea le prince. Il n’avait cure des folies et des échecs d’Aegon l’Indigne, mais il était rempli de doutes et de craintes. Les plaisanteries forcées de ses amis ne servaient qu’à lui donner une migraine. Ils ne comprennent pas. Tout dorniens qu’ils soient, moi, je suis Dorne. Dans bien des années, lorsque je serai mort, ce sera cette ballade qu’on chantera sur moi. Il se leva avec brusquerie. « Il est l’heure. »

Ses amis se mirent debout. Ser Archibald termina son lait de chèvre et essuya du revers d’une main énorme la moustache que le lait lui avait dessinée sur la lèvre supérieure. « Je vais chercher nos tenues de baladins. »

Il revint avec le ballot qu’ils avaient récupéré auprès du Prince en Guenilles à leur deuxième rencontre. À l’intérieur se trouvaient trois longues capes capuchonnées, composées de myriades de petits carrés de tissu cousus ensemble, trois gourdins, trois épées courtes, trois masques en bronze poli. Un taureau, un lion et un singe.

Tout le nécessaire pour devenir une Bête d’Airain.

« Ils risquent de demander un mot de passe, les avait mis en garde le Prince en Guenilles en leur remettant le paquet. Ce sera chien.

— Vous en êtes certain ? lui avait demandé Gerris.

— Assez pour parier une vie dessus. »

Le prince ne se méprit pas sur le sens de ces mots. « La mienne.

— Probablement.

— Comment avez-vous appris leur mot de passe ?

— Nous avons rencontré des Bêtes d’Airain, et Meris le leur a aimablement demandé. Un prince devrait savoir qu’on ne pose pas de telles questions, Dornien. À Pentos, nous avons un dicton : Ne demande jamais au boulanger ce qu’il met dans sa tourte. Mange donc. »

Mange donc. Ça ne manquait pas de sagesse, supposa Quentyn.

« Je serai le taureau », annonça Arch.

Quentyn lui tendit le masque approprié. « Pour moi, le lion.

— Ce qui me laisse faire le singe. » Gerris appliqua le masque de singe contre son visage. « Comment font-ils pour respirer là-dedans ?

— Contente-toi de le porter. » Le prince n’était pas d’humeur à plaisanter.

Le ballot contenait également un fouet – un méchant ouvrage en vieux cuir doté d’une poignée en bronze et en os, assez résistante pour écorcher un bœuf. « C’est pour quoi faire ? s’enquit Arch.

— Daenerys a employé un fouet pour mater le monstre noir. » Quentyn enroula la lanière et l’accrocha à sa ceinture. « Arch, amène également ta masse. Nous pourrions en avoir besoin. »

Pénétrer de nuit dans la Grande Pyramide de Meereen n’était pas entreprise aisée. Chaque jour au coucher du soleil, on fermait et barrait les portes, et elles restaient closes jusqu’au point du jour. Des gardes étaient postés à chaque entrée, d’autres patrouillaient sur la première terrasse, d’où ils surplombaient toute la rue. Naguère, la garde était assurée par des Immaculés. Désormais, des Bêtes d’Airain s’en chargeaient. Et cela ferait toute la différence, espérait Quentyn.

On relevait les gardes au lever du soleil, mais il restait encore une heure avant l’aube quand les trois Dorniens descendirent par l’escalier de service. Autour d’eux, les murs étaient bâtis de brique de cent couleurs, mais les ombres les muaient toutes en gris jusqu’à ce que les touchât la lumière de la torche que portait Gerris. Ils ne rencontrèrent personne au cours de la longue descente. On n’entendait qu’un son, le frottement de leurs bottes sur le sol usé.