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Tous les plans de Quentyn avaient déserté son crâne. Il entendait Caggo Tue-les-Morts crier des ordres à ses épées-louées. Les chaînes, il les envoie chercher les chaînes, se dit le prince de Dorne. Le plan avait été de nourrir les bêtes et de les entraver en profitant de leur torpeur, exactement comme l’avait fait la reine. Un dragon, ou de préférence les deux.

« Encore de la viande », appela Quentyn. Une fois que les animaux seraient rassasiés, ils deviendraient somnolents. Il avait vu la méthode fonctionner avec des serpents, à Dorne, mais ici, avec ces monstres… « Apportez… apportez… »

Viserion s’élança du plafond, déployant ses ailes de cuir blême, les ouvrant totalement. La chaîne brisée qui pendait à son cou se balançait follement. Sa flamme illumina la fosse, or pâle veiné de rouge et d’orange, et l’air vicié explosa en une nuée de cendres chaudes et de soufre, sous les battements répétés des ailes blanches.

Une main saisit Quentyn par l’épaule. La torche lui vola des doigts pour aller rebondir sur le sol, puis plongea dans la fosse, toujours allumée. Il se retrouva face à face avec un singe d’airain. Gerris. « Quent, ça ne va pas marcher. Ils sont trop sauvages, ils… »

Le dragon vint se poser entre les Dorniens et la porte, avec un rugissement qui aurait mis en fuite mille lions. Sa tête oscillait d’un côté à l’autre, tandis qu’il inspectait les intrus – les Dorniens, les Erre-au-Vent, Caggo. Finalement et plus longuement, la bête fixa la Belle Meris, en la flairant. La femme, comprit Quentyn. Il sait que c’est une femme. Il cherche Daenerys. Il veut sa mère et ne comprend pas son absence.

Quentyn s’arracha à la poigne de Gerris. « Viserion », appela-t-il. Le blanc est Viserion. L’espace d’un demi-battement de cœur, il craignit de s’être mépris. « Viserion », appela-t-il à nouveau, tâtonnant pour empoigner le fouet qui lui pendait à la ceinture. Elle a dompté le noir avec un fouet. Je dois en faire autant.

Le dragon connaissait son nom. Il tourna la tête, et son regard s’attarda pendant trois longs battements de cœur sur le prince dornien. Des feux livides brûlaient derrière les noirs poignards brillants de ses crocs. Ses yeux étaient des lacs d’or fondu et de la fumée montait de ses naseaux.

« Couché », ordonna Quentyn. Puis il toussa, et toussa à nouveau.

L’air était chargé de fumée et l’odeur de soufre le prenait à la gorge.

Viserion perdit tout intérêt. Le dragon se retourna vers les Erre-au-Vent et avança lourdement vers la porte. Peut-être flairait-il le sang des gardes morts, ou la viande dans la carriole de boucher. À moins qu’il vînt seulement maintenant de s’apercevoir que la porte était ouverte.

Quentyn entendit crier les épées-louées, Caggo qui réclamait des chaînes et la Belle Meris qui hurlait à quelqu’un de s’écarter. Le dragon se mouvait au sol de façon pataude, comme un homme qui avançait sur les genoux et les coudes, mais plus rapidement que ne l’aurait cru le prince dornien. Lorsque les Erre-au-Vent tardèrent trop à lui dégager le passage, Viserion poussa un nouveau rugissement. Quentyn entendit le cliquetis des chaînes, le vrombissement grave d’une arbalète.

« Non, hurla-t-il, non, pas ça, pas ça », mais il était trop tard. L’imbécile, eut-il juste le temps de penser tandis que le vireton ricochait sur le cou de Viserion pour disparaître dans les ténèbres. Une ligne de feu fulgura dans son sillage – du sang de dragon, luisant de rouge et d’or.

L’arbalétrier cherchait un nouveau carreau quand les crocs du dragon se refermèrent sur son cou. L’homme portait un masque de Bête d’Airain, la face terrible d’un tigre. Lorsqu’il lâcha son arme pour tenter d’écarter les mâchoires de Viserion, la flamme se vomit par la gueule du tigre. Les yeux de l’homme crevèrent avec de douces détonations, et le bronze se mit à couler autour de ses orbites. Le dragon arracha un morceau de chair, l’essentiel du cou de l’épée-louée, puis l’avala pendant que le cadavre embrasé s’écroulait à terre.

Les autres Erre-au-Vent battaient en retraite. Tout ceci dépassait ce que même la Belle Meris était capable de soutenir. La tête cornue de Viserion balançait entre eux et sa proie, mais, au bout d’un moment, il oublia les mercenaires et ploya le cou pour arracher une nouvelle bouchée sur le mort. Le bas d’une jambe, cette fois-ci.

Quentyn laissa son fouet se dérouler. « Viserion », appela-t-il, plus fort cette fois-ci. Il pouvait y arriver, il allait réussir, son père l’avait expédié à l’autre bout de la terre à cette fin, il n’y faillirait pas. « Viserion ! » Il fit siffler la mèche en l’air avec un claquement qui résonna contre les parois noircies.

La tête pâle se leva. Les grands yeux dorés se rétrécirent. Des fumerolles montèrent en spirale des naseaux du dragon.

« Couché », ordonna le prince. Il ne faut pas lui laisser flairer ta peur. « Couché, couché, couché ! » Il ramena le fouet et en cingla le museau du dragon. Viserion émit un chuintement.

Et soudain un vent chaud le bouscula et il entendit le bruit d’ailes de cuir, l’air s’emplit de cendres et d’escarbilles, un rugissement monstrueux se répercuta sur les briques calcinées et carbonisées, il entendit ses amis pousser des cris affolés. Gerris criait son nom, encore et encore, et le mastodonte beuglait : « Derrière vous, derrière vous, derrière vous ! »

Quentyn se retourna et jeta son bras gauche devant son visage pour protéger ses yeux du souffle de fournaise. Rhaegal, se répéta-t-il, le vert, c’est Rhaegal.

Quand il leva son fouet, il vit que la lanière brûlait. Sa main aussi. Toute sa personne, il était tout entier embrasé.

Oh, pensa-t-il. Puis il se mit à hurler.

Jon

« Qu’ils meurent », trancha la reine Selyse.

C’était la réponse à laquelle s’attendait Jon Snow. Voilà une reine qui ne faillit jamais à décevoir. Cela n’amortissait pas le coup pour autant. « Votre Grâce, s’entêta-t-il, ils meurent de faim par milliers, à Durlieu. Beaucoup sont des femmes…

— … et des enfants, oui. Cela est fort triste. »

La reine attira sa fille plus près d’elle et l’embrassa sur la joue. La joue que ne flétrit pas la léprose, ne manqua pas d’observer Jon. « Nous sommes navrée pour les petits, bien entendu, mais nous devons nous montrer raisonnable. Nous n’avons pas de nourriture pour eux, et ils sont trop jeunes pour aider le roi mon époux dans ses guerres. Mieux vaut qu’ils renaissent dans la lumière. »

Ce qui était simplement une façon plus atténuée de dire : qu’ils meurent.

La salle était envahie de monde. La princesse Shôren se tenait près du siège de sa mère, debout, Bariol assis en tailleur à ses pieds. Derrière la reine se dressait ser Axell Florent. Mélisandre d’Asshaï restait plus près du feu, le rubis à sa gorge palpitant à chacun de ses souffles. La femme rouge avait elle aussi sa cour – l’écuyer Devan Mervault et deux des gardes que lui avait laissés le roi.

Les protecteurs de la reine Selyse étaient rangés le long du mur, une ligne de chevaliers étincelants : ser Malegorn, ser Benethon, ser Narbert, ser Patrek, ser Dorden, ser Brus. Avec tant de sauvageons assoiffés de sang qui infestaient Châteaunoir, Selyse conservait nuit et jour ses boucliers liges autour d’elle. Tormund Fléau-d’Ogres avait rugi en l’apprenant. « Elle a peur qu’on l’enlève, c’est ça ? J’espère qu’ t’as pas été lui parler d’ la taille de mon membre, Jon Snow, y a d’ quoi terrifier n’importe quelle femme. J’ai toujours rêvé d’en avoir une moustachue. » Puis il rit sans pouvoir s’arrêter.