— Toutes vos questions recevront des réponses. Tournez votre regard vers les cieux, lord Snow. Et quand vous aurez vos réponses, faites-moi venir. L’hiver est presque sur nous, à présent. Je suis votre seul espoir.
— Un espoir de sot. » Jon se détourna et s’en fut.
Dehors, Cuirs errait dans la cour. « Toregg est revenu, rapporta-t-il quand Jon parut. Son père a installé son peuple à Bouclier de Chêne et sera de retour cet après-midi avec quatre-vingts combattants. Qu’en a dit la reine à barbe ?
— Sa Grâce ne peut fournir aucune assistance.
— Trop occupée à s’épiler les poils du menton, c’est ça ? » Cuirs cracha par terre. « Peu importe. Les hommes de Tormund et les nôtres suffiront. »
Ils suffiront pour que nous parvenions là-bas, peut-être. C’était le voyage de retour qui inquiétait Jon Snow. En revenant, ils seraient ralentis par des milliers de membres du peuple libre, nombre d’entre eux malades et affamés. Un fleuve d’humanité se mouvant moins vite qu’un fleuve de glace. Cela les laisserait vulnérables. Des créatures mortes dans les bois. Des créatures mortes dans les eaux. « Combien d’hommes suffisent ? demanda-t-il à Cuirs. Cent ? Deux cents ? Cinq cents ? Mille ? Devrais-je prendre plus d’hommes, ou moins ? Une patrouille plus réduite atteindrait plus vite Durlieu… Mais à quoi bon les épées, sans vivres ? La mère Taupe et son peuple en étaient déjà venus à dévorer leurs morts. Pour les nourrir, il aurait besoin de chariots et de charrettes, et de bêtes de trait pour les tirer – des chevaux, des bœufs, des chiens. Plutôt que de filer à travers bois, ils seraient condamnés à se traîner. « Il reste beaucoup de décisions à prendre. Fais passer le mot. Je veux voir tous les chefs dans la salle aux Écus quand débutera la garde du soir. Tormund devrait être rentré, à ce moment-là. Où puis-je trouver Toregg ?
— Avec le petit monstre, probablement. Il s’est entiché d’une des nourrices, à ce que je me suis laissé dire. »
Il s’est entiché de Val. Elle avait une sœur reine, pourquoi pas elle aussi ? Tormund avait autrefois songé à se proclamer Roi d’au-delà du Mur, avant que Mance ne l’emporte sur lui. Toregg le Grand caressait peut-être le même rêve. Plutôt lui que Gerrick Sangderoi. « Laisse-les en paix, dit Jon. Je parlerai à Toregg plus tard. » Il leva les yeux, au-delà de la tour du Roi. Le Mur était d’un blanc terne, le ciel au-dessus plus blanc. Un ciel de neige. « Prie simplement pour que nous n’essuyions pas une nouvelle tempête. »
Devant l’armurerie, Mully et la Puce montaient la garde en grelottant. « Vous ne devriez pas être à l’intérieur, plutôt que dans ce vent ? leur demanda Jon.
— Ça f’rait du bien, m’sire, répondit Fulk la Puce, mais vot’ loup est pas d’humeur à avoir d’la compagnie, aujourd’hui. »
Mully opina. « L’a failli me bouffer, j’ vous l’ dis.
— Fantôme ? » Jon était abasourdi.
« Sauf si Vot’ Seigneurie a un aut’ loup blanc, ouais. J’ l’ai jamais vu comme ça, m’sire. Tout sauvage, j’veux dire. »
Il disait vrai, comme Jon le découvrit par lui-même, quand il se glissa par les portes. Le loup géant blanc ne tenait pas en place. Il allait et venait, d’un bout à l’autre de l’armurerie, longeant la forge froide dans un sens puis dans l’autre. « Du calme, Fantôme, appela Jon. Aux pieds. Assis, Fantôme. Aux pieds. » Et pourtant, quand il fit mine de le toucher, le loup se hérissa et montra les crocs. C’est ce foutu sanglier. Même ici, Fantôme renifle sa sale odeur.
Le corbeau de Mormont semblait agité, lui aussi. « Snow, ne cessait de glapir l’oiseau. Snow, snow, snow. » Jon le chassa, demanda à Satin d’allumer un feu, puis il l’envoya chercher Bowen Marsh et Othell Yarwyck. « Et apporte un pichet de vin chaud, par la même occasion.
— Trois coupes, m’sire ?
— Six. Mully et la Puce ont l’air d’avoir besoin d’un petit quelque chose de chaud. Tu en auras besoin aussi. »
Lorsque Satin fut parti, Jon s’assit et jeta un nouveau coup d’œil sur les cartes des territoires au nord du Mur. Le trajet le plus court jusqu’à Durlieu suivait la côte… à partir de Fort-Levant. Les bois étaient moins denses en bord de mer, le pays pour l’essentiel des plaines, des collines moutonnantes et des marais salants. Et quand les tempêtes d’automne s’abattaient en hurlant, la côte recevait du grésil, de la grêle et des pluies verglaçantes, plutôt que de la neige. Les géants se trouvent à Fort-Levant, et d’après Cuirs, certains nous aideront. À partir de Châteaunoir, le chemin était plus difficile, passant directement par le cœur de la forêt hantée. Si la neige monte déjà à une telle épaisseur au Mur, jusqu’où atteindra-t-elle là-bas ?
Marsh entra en reniflant, Yarwyck avec la mine sombre. « Encore une tempête, annonça le Premier Constructeur. Comment pouvons-nous travailler par un temps pareil ? J’ai besoin de davantage d’ouvriers.
— Emploie le peuple libre », répondit Jon.
Yarwyck secoua la tête. « Ils causent plus d’ennuis qu’ ça n’en vaut la peine, ceux-là. Négligents, étourdis, paresseux… y a des bons charpentiers çà et là, je dis pas, mais c’est à peine si on trouve un maçon et, pour les forgerons, pas grand-monde. L’échine est solide, ça se peut, mais ils ne font pas ce qu’on leur dit. Et nous, avec toutes ces ruines à retransformer en forteresses. C’est pas possible, messire. J’ vous le dis en vérité. C’est pas faisable.
— Ce sera fait, assura Jon, ou ils vivront dans des ruines. »
Un lord avait besoin autour de lui d’hommes sur lesquels il pouvait compter pour le conseiller avec honnêteté. Marsh et Yarwyck n’étaient pas des lèche-bottes, et c’était fort bien… Mais ils ne lui étaient que rarement utiles. De plus en plus, il constatait qu’il connaissait leur réaction avant même de la leur demander.
Surtout en ce qui concernait le peuple libre, où leur désapprobation était chevillée dans l’os. Lorsque Jon avait confié La Roque à Soren Fend-l’Écu, Yarwyck avait protesté que l’endroit était trop isolé. Comment savoir quelles vilenies Soren pourrait ourdir, là-bas, dans les collines ? Quand il avait attribué Bouclier de Chêne à Tormund Fléau-d’Ogres et Porte Reine à Morna Masque Blanc, Marsh avait fait observer que désormais Châteaunoir aurait de chaque côté des ennemis à même de les isoler aisément du reste du Mur. Quant à Borroq, Othell Yarwyck clamait que les bois au nord de La Roque regorgeaient de sangliers sauvages. Qui savait si le change-peau n’allait pas lever sa propre armée de pourceaux ?
Mont-Frimas et La Givrée étaient encore dépourvues de garnisons, aussi Jon leur avait-il demandé leur opinion sur ceux des chefs et seigneurs de guerre sauvageons restants qui conviendraient le mieux pour les tenir. « Nous avons Brogg, Gavin le Troqueur, le grand Morse… Howd l’Errant marche seul, d’après Tormund, mais il y a encore Harle le Veneur, Harle Beauminois, Doss l’Aveugle… Ygon Père-Ancien dirige un groupe, mais la plupart sont ses propres fils et petits-fils. Il a dix-huit épouses, dont la moitié ont été volées au cours de razzias. Lequel de ceux-ci…
— Aucun, avait tranché Bowen Marsh. Je connais tous ces hommes par leurs actes. Nous devrions leur passer la corde autour du col, et non leur donner nos châteaux.