— Certes, avait renchéri Yarwyck. Le mauvais, le pis et le pire : piètre choix. Autant nous présenter une meute de loups, messire, et nous demander par lequel nous préférons avoir la gorge arrachée. »
Il en alla encore de même avec Durlieu. Satin servit pendant que Jon leur narrait son audience avec la reine. Marsh écouta avec attention, ignorant le vin chaud, tandis que Yarwyck buvait une coupe, et une deuxième. Mais Jon n’avait pas plus tôt fini que le lord Intendant déclarait : « Sa Grâce est sage. Qu’ils meurent. »
Jon se rassit. « Est-ce là le seul conseil que vous puissiez offrir, messire ? Tormund nous amène quatre-vingts hommes. Combien devrions-nous en envoyer ? Ferons-nous appel aux géants ? Aux piqueuses de Longtertre ? Si nous avons des femmes avec nous, cela pourrait tranquilliser le peuple de la mère Taupe.
— Eh bien, envoyez donc des femmes. Et des géants. Envoyez des marmots au sein. Est-ce là ce que vous désirez entendre, messire ? » Bowen Marsh frictionna la cicatrice qu’il avait remportée à la bataille du pont des Crânes. « Envoyez-les tous. Plus nous en perdrons, et moins nous aurons de bouches à nourrir. »
Yarwyck ne fut pas plus utile. « Si les sauvageons de Durlieu ont besoin d’être sauvés, que des sauvageons aillent là-bas s’en charger. Tormund connaît la route de Durlieu. À l’écouter parler, il est capable de tous les sauver avec son membre énorme. »
Tout ceci était inutile, jugea Jon. Inutile, vain et sans espoir. « Merci de vos conseils, messires. »
Satin les aida à rendosser leurs capes. Quand ils traversèrent l’armurerie, Fantôme vint les renifler, la queue dressée, le poil hérissé. Mes frères. La Garde de Nuit avait besoin de chefs avec la sagesse de mestre Aemon, le savoir de Samwell Tarly, le courage de Qhorin Mimain, la force entêtée du Vieil Ours, la compassion de Donal Noye. Mais elle ne disposait que d’eux.
Dehors, la neige tombait dru. « Y a un vent du sud, observa Yarwyck. Il rabat la neige tout contre le Mur. Zavez vu ? »
Il disait vrai. L’escalier en zigzag était enseveli pratiquement jusqu’au premier palier, constata Jon, et les portes de bois des cellules de glace et des réserves avaient disparu derrière un mur de blanc. « Combien y a-t-il d’hommes en cellules de glace ? demanda-t-il à Bowen Marsh.
— Quatre vivants. Deux morts. »
Les cadavres. Jon les avait presque oubliés. Il avait espéré apprendre quelque chose des corps qu’ils avaient ramenés du bosquet de barrals, mais les morts s’étaient entêtés à demeurer morts. « Il faudra dégager ces cellules.
— Dix intendants et dix pelles devraient y suffire, déclara Marsh.
— Employez également Wun Wun.
— À vos ordres. »
Dix intendants et un géant eurent vite raison des congères, mais même quand les portes furent de nouveau dégagées, Jon ne fut pas satisfait. « Ces cellules seront de nouveau enfouies, au matin. Nous ferions mieux de déplacer les prisonniers avant qu’ils périssent étouffés.
— Karstark aussi, m’sire ? interrogea Fulk la Puce. On pourrait pas le laisser grelotter jusqu’au printemps, lui ?
— Si seulement. » Cregan Karstark avait pris coutume de hurler la nuit, ces derniers temps, et de cribler d’excréments gelés quiconque venait lui apporter à manger. Cela ne l’avait pas rendu populaire auprès de ses gardes. « Menez-le à la tour du lord Commandant. Il sera très bien, enfermé dans le soubassement. » Quoique en partie effondré, l’ancien séjour du Vieil Ours serait plus chaud que les cellules de glace. Ses caves étaient dans l’ensemble demeurées intactes.
Cregan donna des coups de pied aux gardes quand ils passèrent la porte, se tordit et les bouscula lorsqu’ils s’emparèrent de lui, allant jusqu’à essayer de les mordre. Mais le froid l’avait affaibli, et les hommes de Jon étaient plus massifs, plus jeunes et plus vigoureux. Ils le traînèrent au-dehors, toujours se débattant, et le halèrent jusqu’à son nouveau domicile, à travers une neige qui leur montait jusqu’aux cuisses.
« Que souhaiterait le lord Commandant que nous fassions de ses cadavres ? demanda Marsh une fois que les vivants eurent été déplacés.
— Laissez-les. » Si la tempête les ensevelissait, fort bien. Il serait sans doute nécessaire de les brûler, tôt ou tard, mais pour l’heure, ils étaient entravés par des chaînes de fer à l’intérieur de leurs cellules. Cela, et le fait d’être morts, devraient suffire à les garder inoffensifs.
Tormund Fléau-d’Ogres calcula son retour à la perfection, se présentant avec fracas, accompagné de ses guerriers, quand les pelles eurent terminé tout l’ouvrage. Ne semblaient l’avoir accompagné que cinquante hommes, en lieu des quatre-vingts promis à Cuirs par Toregg, mais on n’appelait pas Tormund Haut-Parleur pour rien. Le sauvageon arriva, le visage rubicond, criant qu’on lui apportât une corne de bière et quelque chose de chaud à manger. Il avait de la glace dans la barbe et plus encore pris dans sa moustache.
Quelqu’un avait déjà parlé à Poing-la-Foudre de Gerrick Sangderoi et de sa nouvelle mise. « Roi des Sauvageons ? rugit Tormund. Har ! Roi de mon cul velu, plutôt !
— Il a l’air fort royal, commenta Jon.
— Il a une petite bite rouge pour accompagner tout son poil roux, voilà ce qu’il a. Raymun Barberouge et ses fils sont morts à Lonlac, grâce à tes foutus Stark et au Géant Soûl. Pas le petit frère. Zêtes jamais demandé pourquoi on l’appelait le Choucas rouge ? » La bouche de Tormund se fendit en un sourire aux dents écartées. « Premier à détaler du champ de bataille, oh ouais. On a composé une chanson là-d’sus, par la suite. Le barde cherchait une image pour l’ décrire : un vol rapide et bas, couvert de sang. Alors… » Il s’essuya le nez. « Si les chevaliers de vot’ reine veulent de ses filles, grand bien leur fasse.
— Filles, piailla le corbeau de Mormont. Filles, filles. »
Cela fit de nouveau éclater de rire Tormund. « Là, voilà un oiseau qui a du bon sens. Combien t’en demandes, Snow ? J’ t’ai donné un fils, la moindre des choses s’rait de me donner ce foutu oiseau.
— Je le ferais volontiers, répondit Jon, mais tu serais bien capable de le manger. »
Cela aussi fit rugir de rire Tormund. « Manger », croassa le corbeau sur un ton sombre, dans des battements d’ailes noires. « Grain ? Grain ? Grain ?
— Il faut que nous discutions de la patrouille, poursuivit Jon. Je veux que nous parlions d’une seule voix dans la salle aux Écus, nous devons… » Il s’interrompit quand Mully pointa le nez par la porte, la mine sombre, pour annoncer que Clydas avait apporté une lettre.
« Dis-lui de te la laisser. Je la lirai plus tard.
— À vos ordres, m’sire, sauf que… Clydas a pas l’air d’êt’ dans son état normal… Il est plus blanc que rose, si vous voyez c’ que je veux dire… pis, il tremble.
— Noires ailes, noires nouvelles, marmonna Tormund. C’est pas ce que vous dites, chez les Agenouillés ?
— On dit aussi : Saigne le rhume, mais, pour la fièvre, festoie, lui répondit Jon. On dit : Ne bois jamais avec un Dornien par pleine lune. On dit beaucoup de choses. »
Mully ajouta son grain de sel. « Ma grand-mère, elle disait toujours : Les amis d’été fondent comme neige d’été, mais les amis d’hiver sont amis à jamais.
— Je pense que ça suffira, comme sagesse, pour le moment, coupa Jon Snow. Aie l’obligeance de faire entrer Clydas. »
Mully n’avait pas eu tort : le vieil intendant tremblait, en effet, le visage aussi pâle que les neiges au-dehors. « Je me conduis comme un sot, lord Commandant, mais… cette lettre m’épouvante. Vous voyez, ici ? »