Le Veuf ricana. « Le Cavalier du dragon.
— Je dis que c’est un imbécile », lança Symon Dos-Zébré.
Non, rien qu’un enfant. Ser Barristan n’avait pas oublié les folies de sa propre jeunesse. « Ne dites pas de mal des morts. Le prince a payé un prix effroyable pour son geste.
— Et les autres Dorniens ? demanda Tal Taraq.
— Prisonniers, pour l’heure. » Aucun des Dorniens n’avait opposé la moindre résistance. Archibald Ferboys étreignait le corps brûlé et fumant de son prince quand les Bêtes d’Airain l’avait découvert, comme ses mains brûlées pouvaient en témoigner. Il les avait utilisées pour étouffer les flammes qui avaient englouti Quentyn Martell. Gerris Boisleau se tenait au-dessus d’eux, l’épée à la main, mais il avait lâché l’arme à l’instant où les sauterelles avaient paru. « Ils partagent une cellule.
— Qu’ils partagent un gibet, jugea Symon Dos-Zébré. Ils ont lâché deux dragons sur la ville.
— Ouvrez les arènes et donnez-leur des épées, les pressa le Félin moucheté. Je les tuerai tous deux tandis que tout Meereen hurlera mon nom.
— Les arènes de combat demeureront closes, déclara Selmy. Le sang et le bruit ne serviraient qu’à attirer les dragons.
— Tous les trois, peut-être, suggéra Marselen. Le monstre noir est venu une première fois, pourquoi pas une autre ? Cette fois, avec notre reine. »
Ou sans elle. Si Drogon revenait à Meereen sans que Daenerys le chevauchât, le sang et les flammes exploseraient dans la cité, de cela ser Barristan ne doutait nullement. Toute jeune fille qu’elle fût, Daenerys Targaryen était la seule chose qui les retenait ensemble.
« Sa Grâce reviendra quand elle reviendra, coupa ser Barristan. Nous avons conduit mille moutons dans l’arène de Daznak, rempli l’arène de Ghrazz de taureaux et l’Arène d’or de bêtes qu’Hizdahr zo Loraq avait collectées pour ses jeux. » Jusqu’ici les deux dragons manifestaient du goût pour le mouton, revenant à l’arène de Daznak chaque fois qu’ils avaient faim. Si l’un ou l’autre chassait des hommes à l’intérieur ou à l’extérieur de la ville, ser Barristan n’en avait pas encore entendu parler. Les seuls Meereeniens que les dragons avaient tués depuis Harghaz le Héros avaient été les esclavagistes assez sots pour s’opposer à Rhaegal quand il avait cherché à établir son antre au sommet de la pyramide d’Hazkar. « Nous avons des sujets plus pressants à discuter. J’ai envoyé la Grâce Verte chez les Yunkaïis pour arranger la libération de nos otages. Je l’attends vers midi avec leur réponse.
— Avec des mots, déclara le Veuf. Les Corbeaux Tornade connaissent les Yunkaïis. Leurs langues sont des vers qui se tortillent dans un sens ou un autre. La Grâce Verte reviendra avec des mots de vers, pas avec le capitaine.
— Qu’il plaise à la Main de la reine de se rappeler : les Judicieux détiennent Héro, également, glissa Ver Gris. Ainsi que le seigneur du cheval Jhogo, Sang-coureur de la reine.
— Sang de son sang, renchérit Rommo le Dothraki. Il faut le libérer. L’honneur du khalasar l’exige.
— Il sera libéré, assura ser Barristan, mais nous devons d’abord attendre de voir si la Grâce Verte peut accomplir… »
Skahaz Crâne-ras frappa du poing sur la table. « La Grâce Verte n’accomplira rien. En ce moment même, peut-être conspire-t-elle avec les Yunkaïis, alors que nous siégeons ici. Pour arranger, disiez-vous ? Arranger ? Et quelle sorte d’arrangements ?
— Une rançon, lui répondit ser Barristan. Pour chaque homme, son poids en or.
— Les Judicieux n’ont nul besoin de notre or, ser, déclara Marselen. Ils sont plus riches que vos seigneurs ouestriens, tous autant qu’ils sont.
— Leurs mercenaires voudront de l’or, cependant. Que sont des otages, pour eux ? Si les Yunkaïis refusent, cela plantera une lame entre leurs employés et eux. » Du moins je l’espère. C’était Missandei qui lui avait suggéré cette astuce. Jamais une telle idée ne lui serait venue à lui. À Port-Réal, les pots-de-vin étaient du ressort de Littlefinger, tandis que lord Varys avait pour tâche de susciter les divisions parmi les ennemis de la Couronne. Ses propres attributions avaient été plus directes. Âgée de onze ans – et cependant Missandei est aussi habile que la moitié des hommes assis à cette table, et plus sage que n’importe lequel d’entre eux. « J’ai donné pour instruction à la Grâce Verte de ne présenter cette offre que lorsque tous les commandants yunkaïis seront rassemblés pour l’entendre.
— Ils refuseront quand même, insista Symon Dos-Zébré. Ils répéteront qu’ils veulent voir les dragons morts, et le roi rétabli.
— Je prie pour que vous ayez tort. » Et crains que vous n’ayez raison.
« Vos dieux sont loin, ser Grand-Père, commenta le Veuf. Je ne crois pas qu’ils entendent vos prières. Et quand les Yunkaïis nous renverront la vieille pour vous cracher à la gueule, qu’adviendra-t-il, alors ?
— Le feu et le sang », répondit Barristan Selmy à voix basse, si basse.
Un long moment, personne ne dit mot. Puis Belwas le Fort se claqua la panse et dit : « Mieux que le foie et oignons », et Skahaz Crâne-ras regarda par les fentes de son masque de loup et dit : « Vous rompriez la paix du roi Hizdahr, vieillard ?
— Je la fracasserais. » Jadis, il y avait très longtemps, un prince l’avait nommé Barristan le Hardi. Une partie de cet enfant vivait encore en lui. « Nous avons installé un fanal au sommet de la pyramide où se dressait auparavant la Harpie. Du bois sec imbibé d’huile, couvert pour le protéger de la pluie. Si l’heure devait sonner, et je prie pour qu’elle ne vienne point, nous allumerons ce fanal. Les flammes seront votre signal de vous déverser par les portes pour attaquer. Chacun de vous aura un rôle à jouer, aussi chacun doit être prêt à tout instant, du jour ou de la nuit. Nous détruirons nos ennemis, ou nous serons nous-mêmes détruits. » Il leva la main pour faire signe à ses écuyers qui attendaient. « J’ai fait préparer des cartes pour vous montrer la disposition de nos ennemis, leurs camps, les lignes de siège et les trébuchets. Si nous réussissons à écraser les esclavagistes, les épées-louées les abandonneront. Je sais que vous avez des inquiétudes et des questions. Exposez-les ici. Quand nous quitterons cette table, nous devons tous penser avec un même esprit, vers un même objectif.
— Mieux vaut envoyer chercher à manger et à boire, alors, suggéra Symon Dos-Zébré. Tout cela prendra du temps. »
Cela prit le reste de la matinée et la majeure partie de l’après-midi. Capitaines et commandants se disputèrent au-dessus des cartes comme des poissonnières autour d’un seau de crabes. Points faibles et forts, comment tirer le meilleur parti de leur petite compagnie d’archers, savoir s’il fallait utiliser les éléphants pour briser les lignes yunkaïies ou les tenir en réserve, qui aurait l’honneur de conduire la première vague, s’il valait mieux déployer la cavalerie sur les flancs ou en avant-garde.
Ser Barristan laissa chaque homme exposer son opinion. Tal Toraq estimait qu’ils devraient marcher sur Yunkaï dès qu’ils auraient rompu les lignes ; la Cité Jaune serait pratiquement sans défense, aussi les Yunkaïis n’auraient-ils pas d’autre choix que de lever le siège pour les suivre. Le Félin moucheté proposa de mettre l’ennemi au défi de produire un champion capable de l’affronter, lui, en combat singulier. L’idée séduisit Belwas le Fort, mais il insista pour que ce fût lui qui combattît et non le Félin. Camarron du Compte avança un plan pour s’emparer des vaisseaux amarrés le long du fleuve et profiter de la Skahazadhan pour amener trois cents combattants d’arène prendre les Yunkaïis à revers. Chacun des présents s’accorda à déclarer que les Immaculés constituaient leurs meilleures troupes, mais aucun n’était d’accord sur la meilleure façon de les employer. Le Veuf voulait utiliser les eunuques comme un poing de fer de façon à enfoncer le cœur des défenses yunkaïies. Marselen jugeait qu’il vaudrait mieux les placer à chaque extrémité de la ligne de bataille principale, où ils pourraient repousser chaque tentative de l’ennemi pour les prendre de flanc. Symon Dos-Zébré souhaitait les scinder en trois blocs à répartir au sein des trois compagnies d’affranchis. Ses Frères Libres étaient braves et piaffaient de combattre, affirmait-il, mais sans les Immaculés pour leur donner une armature, il craignait que ses troupes sans expérience n’eussent pas la discipline nécessaire face à des épées-louées aguerries.