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La cause de tout ce tumulte, d’après ce que nous comprenions, était ce fameux sceau de l’empereur. Mais nous ne voyions pas en quoi cela posait un problème. J’avais toujours cm que ma grand-mère était secrètement loyaliste. Beaucoup de gens de son âge Tétaient ; et après tout elle était une traditionaliste, prêtresse du culte de Junon Teutonica, n’appréciant guère la résurgence récente d’anciens cultes de dieux germaniques – des dieux « païens », disait-elle – au point de se disputer avec mon père devant son insistance à vouloir nous donner les noms que nous portons. Elle aurait donc dû se féliciter de posséder quelque chose ayant appartenu aux Césars. Mais comme je l’ai déjà dit, nous n’étions que des enfants. Nous avions oublié que la République se montrait sans pitié pour tous ceux qui continuaient de soutenir les Césars. Et que, malgré les convictions politiques personnelles de ma grand-mère, notre père était le seul chef incontesté à la maison, et c’était un Républicain convaincu.

« Je crois savoir que vous avez fouiné près de la vieille maison dans les bois, me dit mon père, une semaine plus tard. Je ne veux plus que vous vous en approchiez. Tu m’as bien entendu ? Je ne veux plus que vous vous en approchiez. »

Et il devait en être ainsi, puisqu’il s’agissait de toute évidence d’un ordre. Nous n’avons donc pas désobéi à notre père.

Mais quelques jours plus tard, j’entendis des garçons plus âgés du village parler de faire une descente sur la maison hantée. Marcus Aurelius Schwarzchild avait de toute évidence parlé du fantôme et de son fusil en or à d’autres que moi, et ils voulaient s’emparer de l’arme. « On est cinq contre un, entendis-je quelqu’un dire. On devrait avoir le dessus, fantôme ou pas.

— Et si c’était un fusil fantôme ? dit un autre. Un fusil fantôme ne nous servirait pas à grand-chose.

— Ça n’existe pas, un fusil fantôme, dit le premier. Les fusils n’ont pas de fantômes. Et on ne devrait pas avoir de mal à l’enlever des mains d’un fantôme. »

Je répétai ce que j’avais entendu à Friya.

« Qu’est-ce qu’on doit faire ? demandai-je.

— Il faut le prévenir. Ils vont lui faire du mal, Tyr.

— Mais Père a dit…

— Quand même. Il faut que le vieil homme aille se cacher. Sinon, nous aurons son sang sur les mains. »

Il ne servait à rien de discuter avec elle. Soit je l’accompagnais jusqu’au pavillon de chasse, soit elle y allait toute seule. Ce qui ne me laissait guère de choix. J’ai prié Woden pour que mon père ne l’apprenne pas, ou du moins qu’il me pardonne s’il venait à le faire ; nous sommes donc partis dans les bois, en passant devant la source d’Agrippa, les statues du petit garçon, l’arbre de Baldur, jusqu’au petit sentier désormais familier au-delà de l’arbre aux feuilles brillantes.

« Il y a un problème, dit Friya tandis que nous approchions du pavillon. Je le sens. »

Friya avait toujours eu ce genre d’étranges pressentiments. J’ai lu la peur dans ses yeux et elle me la communiqua aussitôt.

Nous avons avancé prudemment. Il n’y avait aucun signe de Quintus Fabius. En arrivant à la porte, nous avons constaté qu’elle était légèrement entrouverte et hors de ses gonds, comme si on l’avait forcée. Friya me prit par le bras en se tournant vers moi. Je pris une profonde inspiration.

« Attends-moi ici », dis-je, avant d’entrer.

Le spectacle était effarant. On avait mis la maison à sac – meubles brisés, placards renversés, sculptures en miettes. Quelqu’un avait lacéré les tableaux. La collection d’armes et d’armures avait disparu.

J’allais de pièce en pièce, à la recherche de Quintus Fabius. Mais il était introuvable. Il y avait toutefois des traces de sang sur le sol du hall principal, encore frais et poisseux.

Friya attendait devant l’entrée, tremblante, retenant ses larmes.

« Nous arrivons trop tard », dis-je.

Bien entendu, ce n’était pas les garçons du village qui avaient fait cela. Ils n’auraient jamais pu se livrer à un travail aussi poussé. Je compris alors – comme Friya certainement, bien que nous fûmes trop écœurés pour en parler entre nous – que grand-mère avait dû dire à notre père que nous avions trouvé un trésor impérial dans la vieille maison, et que lui, en bon citoyen qu’il était, l’avait répété aux questeurs. Ils avaient mené leur enquête, trouvé Quintus Fabius, reconnu en lui un César, comme l’avait fait Friya. Ainsi mon désir de rapporter un cadeau à ma grand-mère avait scellé le destin du vieil homme. Je suppose qu’il n’aurait guère vécu longtemps, faible comme il était ; mais la culpabilité de ce que j’avais causé malgré moi ne m’a jamais quitté.

Quelques années plus tard, alors que la forêt avait pratiquement disparu, la vieille maison brûla accidentellement. J’étais un jeune homme alors et faisais partie de l’équipe de pompiers qui a éteint le feu. Pendant un bref répit, j’ai posé la question au capitaine des pompiers, un questeur à la retraite nommé Lucentius : « C’était un pavillon de chasse impérial à une époque, non ?

— Il y a bien longtemps, oui. »

Je l’ai observé de près sous les lumières vacillantes de l’incendie. C’était un homme âgé, de la génération de mon père.

J’ai continué prudemment. « Quand j’étais gosse, on racontait qu’un des derniers frères de l’empereur y avait trouvé refuge. Et que les questeurs avaient fini par le retrouver et le tuer. »

Il parut pris au dépourvu. Comme surpris et un peu gêné. « Vous avez entendu parler de ça ?

— Je me demandais s’il y avait du vrai là dedans. Que c’était un César, je veux dire. »

Lucentius détourna le regard. « Ce n’était qu’un clochard, c’est tout, dit-il d’une voix étouffée. Un vieux menteur. Il a sans doute raconté des histoires à dormir debout à de pauvres gosses crédules, mais ce n’était qu’un clochard, un vieux clochard sale et menteur. » Il me lança un regard curieux. Puis il s’éclipsa pour aller hurler après un de ses hommes qui enroulait son tuyau à l’envers.

Un vieux clochard sale, oui. Menteur, je ne crois pas.

Il est toujours resté vivant dans mes pensées jusqu’à aujourd’hui, pauvre vieille relique de l’Empire. Et aujourd’hui que je suis moi-même un vieillard, peut-être du même âge que lui à cette époque, je comprends mieux le sens de ses paroles. Pas lorsqu’il disait que seul un empereur pouvait maintenir la paix, car les Césars n’étaient après tout que des hommes, guère différents des consuls qui les ont remplacés. Mais lorsqu’il soutenait que l’ère de l’Empire avait été une ère de paix, il n’avait peut-être pas tout à fait tort, même si la guerre était un concept qui n’était pas tout à fait inconnu sous l’Empire. Car je comprends aujourd’hui que la guerre peut parfois être une forme de paix : les guerres civiles et les guerres de Réunification furent les combats d’un Empire divisé essayant de rassembler ses morceaux pour retrouver la paix. Ces sujets étaient complexes. La Seconde République n’est pas aussi vertueuse que mon père semblait le croire, ni l’ancien Empire apparemment aussi corrompu. La seule chose qui semble incontestable, c’est que l’hégémonie mondiale de Rome au cours de ces deux mille ans, d’abord sous l’Empire puis sous la République, malgré quelques agitations, nous a évité des troubles plus graves encore. Et si Rome n’avait jamais existé ? Si chaque région avait été libre de faire la guerre à ses voisins dans l’espoir de devenir un empire semblable à celui des Romains ? Imaginez une telle folie ! Mais les dieux nous ont donné les Romains, et les Romains nous ont apporté la paix : une paix certes imparfaite, mais la meilleure peut-être que pouvait espérer un monde imparfait. Du moins est-ce mon avis.