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Quand il a été certain que personne ne pouvait plus nous voir, il s'est lâché et ses larmes ont coulé. Je n'avais jamais vu un copain pleurer ainsi — sauf Christophe lorsqu'il s'était pété la jambe en sautant du muret du préau juste après avoir hurlé : « J'ai embrassé Nathalie ! » En l'occurrence, mon camarade m'a raconté, en hoquetant, que chez lui la situation était intenable. Tous les soirs des cris, tous les soirs des portes qui claquent. Ses parents étaient sur le point de divorcer. À l'époque — voilà quarante ans — le mot nous faisait encore peur. Il était synonyme de catastrophe familiale. Mais ce n'était pas le pire : la veille, sa mère lui avait déclaré qu'il en était en grande partie responsable.

Depuis cette effroyable accusation, il était sous le choc, dévasté. Il s'en voulait à mort parce qu'à cet âge-là, on croit ce que disent les grands, surtout quand c'est votre mère. Alors il avait décidé de ne pas rentrer chez lui. Fuguer, fuir, ne pas faire de nouveaux dégâts et ne plus en subir. Sans savoir où aller. Le genre de plan qu'on se joue quand on a dix ans. Dans quel état faut-il être pour abandonner sa base ? Il n'avait sur lui qu'un billet de cinquante francs plié en quatre, mais il avait calculé qu'il pouvait tenir au moins un mois. Dans mon univers plutôt stable et bienveillant, ce qu'il affrontait a fait l'effet d'une bombe. J'ai été incapable d'avoir une réaction adaptée. J'étais juste bouleversé avec lui. Je lui ai proposé de venir chez moi.

Ma mère n'aimait pas quand je ramenais un copain à l'improviste mais cette fois-là, elle n'a rien dit. En voyant nos têtes, sans doute a-t-elle senti que ce coup-ci, c'était sérieux. Elle nous a préparé un goûter. Des tartines beurrées avec du chocolat Poulain saupoudré dessus. Il est resté une heure et demie. J'ai convaincu ma mère d'appeler la sienne pour lui dire que tout allait bien et lui épargner un retour sévère. Je lui ai offert deux petites voitures, une Simca verte et une Panhard noire. Et je l'ai raccompagné chez lui.

Je pense que cette nuit-là, j'ai aussi mal dormi que lui. J'étais inquiet de ce qu'il pouvait faire, mais je me suis aussi demandé ce que l'on éprouve lorsque ceux qui sont supposés vous défendre vous rendent responsable d'un drame. Et surtout, que devient-on lorsque son foyer s'écroule ? Comment survit-on à un séisme de magnitude 10 sur l'échelle d'un cœur de gosse ?

Cette journée a été le théâtre de deux situations inédites pour moi. C'était la première fois que je passais mon bras autour des épaules d'un mec qui pleure. On ne fait pas ça facilement à dix ans. Et c'est cette nuit-là que je me suis juré de me demander chaque soir ce que je fais là, pourquoi j'y vis et pour qui j'ai envie d'y rester. Je le fais toujours.

Je ne peux pas vous donner le prénom de mon copain, parce qu'aujourd'hui, il va bien. Il a une vie épanouie en famille et je ne veux pas le gêner. On se voit moins, mais il y a un truc à part entre nous. Nous devions avoir trente ans lorsque nous en avons reparlé pour la première fois. C'est lui qui s'est assis à côté de moi, dehors, sur un banc et plus sur un tronc, au soir du mariage d'un ami commun. Il m'a fait remarquer qu'on avait parcouru un sacré bout de chemin depuis ce jour-là. J'ai osé lui demander pourquoi c'était à moi qu'il avait choisi de se confier. Il m'a répondu : « Je n'en sais rien. Je n'ai pas réfléchi. Je t'aimais bien, tu faisais tout le temps le pitre, mais au moment où je me suis dit que je ne reverrais peut-être jamais notre village, ni l'école, tu es le seul à qui j'ai eu le courage de dire au revoir. »

Vingt ans plus tard, on a pleuré comme des cons, et c'est lui qui m'a posé la main sur l'épaule.

Je ne sais pas pourquoi j'attire ce genre de moments, ce type de contacts, mais le fait est qu'ils sont finalement ma raison de vivre. J'y suis sensible au-delà de tout.

Je vais être honnête avec vous — on se connaît un peu. Le soir, quand je me demande pourquoi j'existe et avec qui je vis, je n'ai plus vraiment d'incertitude. Pascale, mes enfants, mes proches, et même vous, êtes une réponse imparable qui efface mes doutes pourtant nombreux. Des gens pour qui trembler, des gens avec qui avancer, des gens pour qui imaginer.

Sans doute parce que je suis presque en paix, je conseille à tous ceux que j'aime de se poser leurs questions existentielles et de ne jamais avoir peur des réponses. Accepter ou réagir. Aucune alternative n'est viable. C'est le seul moyen d'être soi-même. Je vous souhaite à tous de trouver votre place, d'être en phase avec vous-mêmes et de ne faire que ce que vous croyez. Ce n'est pas une formule sortie d'un bouquin de développement personnel, c'est la meilleure leçon que l'on puisse tirer de cette chienne de vie. Du fond du cœur, je vous souhaite d'y parvenir.

Depuis Le Premier Miracle, j'ai vécu un mariage et quatre enterrements. J'aurais préféré la proportion inverse, comme dans le film. Chaque jour m'apprend à ne pas perdre de temps, à aller vers ce qui compte. Vous me poussez à cela. Je vous en remercie.

Vous êtes nombreux à me lire. Vous connaissez ma gratitude à votre égard. Certains d'entre vous sont devenus plus que de simples connaissances. Alors si vous m'y autorisez, publiquement, je souhaite remercier quelques personnes pour les magnifiques rencontres qu'elles incarnent. À chaque fois, ces gens ont eu la bonté de venir vers moi. Merci pour cela.

À Emmanuelle pour les sublimes levers de soleil vus de son gros camion qui sillonne l'Europe ; à Marie-Louise pour sa magnifique tribu et sa sagesse qui éclaire ; à Ingrid pour son courage qui la conduira au bonheur ; à Nicolas pour ses vignes champenoises, son humanité, sa moustache et sa hache ; à Brigitte pour sa passion généreuse des auteurs et des livres ; à Marjorie pour ses doutes qui dessinent un cœur immense ; à Nelly pour sa discrète bienveillance qui fait vivre un superbe groupe ; à Nathalie et Thomas pour l'énergie et le regard sur la vie que nous partageons ; à Maïté pour son humour qui ne sévit pas qu'à la radio belge et son intégrité face à la vie ; à Sophie-Véronique et Dominique pour cette alliance chaleureuse de talent et d'élégance ; à Aurore parce que la voir grandir est une chance ; à Claire, ses enfants et sa nouvelle vie ; à Yvan et Dominique pour leur regard complice qui n'exclut jamais personne ; à Jean-Luc et Marie-Claire pour leur touchante aptitude à chercher l'émotion partout où elle est, à Anne et sa joyeuse bande à travers la France.

Chacun de ces prénoms correspond à une histoire magnifique. La liste n'est pas exhaustive et j'aurais pu en remplir des pages. Que ceux qui n'y figurent pas encore me pardonnent.

Je veux aussi remercier particulièrement Juliette Franquet, à qui j'ai emprunté son nom, son charme et son énergie pour mon personnage. Te rencontrer a été un véritable plaisir.

Merci aux libraires qui me soutiennent au quotidien, avec une très affectueuse pensée à Fabio Agosta, Valérie Alletto, Jean-Michel Blanc, Julie Boucher, Véronique Bruneau, Valérie Caffier, Sandrine Dantard, Frédéric Delbert, Adeline Giry, Juliette Jeanroy, Eric Lafraise, Danièle Lanoë, Martin et Émilie Montbarbon (tous mes vœux bande de jeunes !), Angélique Müller, Pascal Pannetier, Maëlle Rey, Charlotte Roux, Samantha Sabba, Julien Tenat, Brigitte Ternisien, Betty Trouillet et Caroline Vallat. Là encore, je ne peux pas citer toutes celles et tous ceux qui m'appuient et vous prie de m'en excuser.