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— Toi ! tonna-t-il. Je suis le Querl père-espion de la flotte, lui hurla-t-il sous le nez en secouant la créature à six pattes par l’avant de sa combinaison. File immédiatement dans ma cabine, prends le petit casque spatial qui s’y trouve et apporte-le au sas de secours situé par bâbord arrière. Aussi vite que possible. Cet ordre supplante tous les autres et ne peut être annulé. Exécution !

Il projeta le medjel dans la bonne direction ; la créature courait déjà en l’air avant même de retomber.

Xoralundra rabattit son propre casque, jusque-là calé sur ses charnières en position dorsale, puis en releva la visière. Il parut sur le point de s’adresser à Horza, mais le haut-parleur de son casque se remit à crépiter ; une voix se fit entendre et l’expression du Querl changea. Le crachotement cessa, et seule demeura la plainte ininterrompue du signal d’alarme.

— Le navire de la Culture se cachait sous les couches superficielles du soleil de ce système, fit amèrement Xoralundra, plus pour lui-même qu’au bénéfice de Horza.

— À l’intérieur du soleil ? (Horza n’en croyait pas ses oreilles. Par-dessus son épaule, il jeta un coup d’œil à la porte de la cellule, comme si ce pouvait être la faute de Balvéda.) Ces chiens sont de plus en plus malins.

— En effet, aboya le Querl qui pivota rapidement sur un pied. Suivez-moi, humain.

Horza obtempéra et partit au pas de course derrière Xoralundra. Puis le géant fit brusquement halte et l’humain s’écrasa contre l’Idiran. Il leva les yeux et vit se retourner son grand visage sombre aux traits si différents des siens ; le regard de Xoralundra passa par-dessus lui et se fixa sur le soldat, toujours au garde-à-vous devant la porte. Une expression indéchiffrable se peignit fugitivement sur le visage de l’Idiran.

— Garde ! lança-t-il d’un ton retenu. (Le soldat au fusil-laser se retourna.) Exécutez cette femme.

Sur ces mots, Xoralundra repartit à grandes enjambées vers le bout du couloir. Horza resta quelques instants immobile à observer d’abord la silhouette du Querl qui s’éloignait, puis le garde qui vérifiait le bon fonctionnement de sa carabine, commandait l’ouverture de la porte et pénétrait dans la cellule. Cela fait, l’humain s’engouffra dans la coursive à la poursuite du vieil Idiran.

— Querl ! s’étrangla le medjel.

L’animal dérapa, puis s’arrêta enfin devant le sas, tenant devant lui le casque de la combinaison. Xoralundra le lui arracha et l’ajusta promptement sur la tête de Horza.

— Vous trouverez un gauchisseur dans le sas, dit-il à l’humain. Fuyez aussi loin que possible. La flotte sera là dans neuf heures standards environ. Normalement, vous n’aurez rien à faire ; c’est votre combinaison qui appellera au secours, en code, par réaction IFF. Moi-même…

Le croiseur gîta et Xoralundra s’interrompit. Une forte détonation se fit entendre ; Horza fut soulevé de terre par l’onde de choc. Grâce à son trio de jambes, l’Idiran, lui, n’avait pratiquement pas bougé. Le medjel fut projeté dans sa direction et poussa un glapissement. L’idiran jura et le chassa à coups de pied. Le navire recommença à gîter, de nouvelles sonneries d’alarme retentirent. Horza perçut une odeur de brûlé. Un magma de sons qui pouvaient aussi bien être des explosions que des voix idiranes lui parvint des hauteurs du vaisseau.

— Je vais tenter de m’enfuir aussi, poursuivit Xoralundra. Dieu soit avec vous, humain.

Horza n’eut pas le temps de répondre ; déjà l’Idiran rabattait violemment sa visière et le poussait dans le sas, qui se referma derrière lui. Le croiseur fut pris de puissants sursauts, et Horza se retrouva projeté contre une paroi. Il scruta la petite pièce sphérique, cherchant désespérément des yeux le gauchisseur annoncé ; puis il finit par le découvrir et, après une courte lutte, le détacha de ses aimants muraux et le boucla dans son dos.

— Prêt ? fit une voix dans son oreille.

Surpris, Horza fit un bond, puis cria :

— Oui, oui ! Allez-y !

Le sas ne s’ouvrit pas de manière conventionnelle mais se retourna comme un gant et le lança dans l’espace, où il s’enfonça en tournoyant sur lui-même, entouré d’une petite galaxie de particules de glace, laissant en arrière le disque aplati du croiseur. Il voulut repérer le vaisseau de la Culture, puis se morigéna : il se trouvait probablement à des trillions de kilomètres. La guerre moderne n’est décidément plus à l’échelle humaine, songea-t-il. On pouvait maintenant pulvériser et détruire des vaisseaux à partir de positions inimaginablement éloignées, oblitérer des planètes depuis l’extérieur de leur propre système et transformer des étoiles en novæ à des années-lumière de distance… et tout cela sans savoir très bien pourquoi on se battait.

Il eut une dernière pensée pour Balvéda, puis chercha à tâtons la poignée de commande de sa volumineuse unité-gauchisseur. Du bout des doigts il trouva les boutons adéquats et regarda les étoiles se tordre et se déformer autour de lui tandis que l’unité les expédiait, lui et sa combinaison, loin du vaisseau idiran touché.

Il manipula un moment son récepteur de poignet en essayant de capter des signaux en provenance de la Main de Dieu 137, mais n’obtint qu’un crépitement de parasites. La combinaison se manifesta une seule fois, pour lui dire : « Énergie/unité-gauchissement/à moitié/dépensée. » Horza surveilla l’appareil par l’intermédiaire d’un petit écran serti à l’intérieur du casque.

Il se rappela que les Idirans adressaient une prière à leur Dieu avant d’entrer en gauchissement. Un jour où il se trouvait en compagnie de Xoralundra à bord d’un vaisseau engagé dans le processus, le Querl avait pressé le Métamorphe de répéter la prière après lui. Horza avait protesté en disant qu’elle ne revêtait aucun sens à ses yeux ; que non seulement le Dieu idiran entrait en contradiction avec ses convictions personnelles, mais aussi que la prière était formulée dans une langue idirane morte qu’il ne comprenait pas. Il s’était entendu répondre avec une certaine froideur que c’était l’intention qui comptait. De la part d’un être essentiellement classé par les Idirans comme un animal (le terme qu’ils employaient pour désigner les humanoïdes pouvait au mieux se traduire par « biomaton »), seule l’attitude dévote était requise ; son cœur, son esprit n’entraient pas en considération. Horza avait bien essayé de mentionner l’immortalité de son âme, mais Xoralundra avait éclaté de rire. C’était la première fois qu’il le voyait rire, et après cela, il n’avait plus jamais obtenu ce genre de réaction de la part du vieux guerrier. Une âme immortelle dans un corps mortel, voyez-vous ça !

Lorsque le gauchisseur eut dépensé toute son énergie, Horza l’éteignit. Un essaim d’étoiles se cristallisa autour de lui. Il manipula les commandes, puis se débarrassa de l’unité. Tous deux se séparèrent, lui-même s’éloignant dans une direction tandis que l’unité partait en tourbillonnant dans une autre ; ses réglages s’ajustèrent pour qu’elle consacre ses dernières réserves à induire en erreur quiconque essaierait de la suivre à la trace.

Par la seule force de sa volonté, Horza s’efforça de ralentir progressivement son rythme respiratoire et son rythme cardiaque. Puis il fit connaissance avec sa combinaison, en éprouva les diverses fonctions et possibilités. À l’odeur et au toucher, elle lui fit l’impression d’être neuve, et évoquait un engin de type Rairch. Or, les combinaisons Rairch étaient des modèles haut de gamme. On disait que la Culture en fabriquait de meilleures, mais on disait que la Culture faisait tout mieux que les autres, et ça ne l’empêchait pas de perdre la guerre. Horza testa les lasers intégrés et chercha le pistolet qui devait être caché quelque part. Il finit par mettre la main dessus ; c’était un canon à plasma miniature qui se fondait discrètement dans la manche gauche de sa combinaison. Il eut envie de tirer, mais il n’y avait rien à viser. Il le rengaina donc.