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Il tenta de produire une impulsion-sueur dans la partie inférieure de sa jambe droite ; il n’avait pas pratiqué cette méthode depuis l’entraînement au combat singulier dispensé par l’Académie de Heibohre, mais cela valait la peine d’essayer. Tout était bon, du moment qu’il avait une chance de desserrer l’étreinte de l’autre. Mais la tentative resta infructueuse. Il avait dû oublier comment on s’y prenait, ou bien ses glandes artificiellement vieillies ne pouvaient plus réagir assez vite. Quoi qu’il en fût, il restait prisonnier. Zallin se remettait du coup. Il secoua la tête, et ses cheveux miroitèrent sous les lumières du hangar ; alors il referma son autre main sur la cheville de Horza.

Le Métamorphe marchait en rond sur les mains, un pied captif, l’autre pendant dans le vide, s’efforçant de prendre appui sur le pont. Zallin le regarda fixement et se mit à faire de grands gestes circulaires, comme pour lui arracher le pied droit. Horza interpréta correctement la manœuvre et, de tout son corps, anticipa le déplacement ; il se retrouva à son point de départ, un pied prisonnier des mains de Zallin et ses propres paumes frappant le sol de biais, à mesure qu’il s’efforçait de s’adapter aux mouvements de l’autre. Je pourrais l’attaquer aux jambes ; leur foncer dessus et y planter mes dents, songea Horza en cherchant désespérément quoi faire. Dès qu’il ralentira le rythme, j’aurai ma chance. Ils n’y verront que du feu. Il suffit simplement que je… Alors, bien sûr, cela lui revint. Ils les lui avaient arrachées. Ces vieux salauds – et Balvéda par la même occasion – allaient finalement le tuer, cette dernière depuis sa tombe. Tant que Zallin tiendrait ainsi son pied, le combat ne pouvait avoir qu’une seule issue.

Oh, et puis tant pis. Je le mords quand même. Cette pensée le surprit lui-même ; elle fut conçue et exécutée avant même qu’il ait vraiment eu le temps de l’envisager. Il se retrouva brusquement en train de tirer sur sa jambe prisonnière tout en poussant de toutes ses forces sur ses deux mains ; puis il se jeta dans les jambes de Zallin et planta les dents qui lui restaient dans le mollet droit du jeune homme.

— Aaaah ! hurla ce dernier.

Horza serra encore les mâchoires et sentit l’autre relâcher un tant soit peu son étreinte autour de sa cheville. Il releva brusquement la tête dans l’intention d’emporter un morceau de chair. Il avait l’impression que sa rotule allait exploser et son tibia se briser mais il se concentra sur sa bouchée de chair vive et se projeta aussi fort qu’il put contre le corps de Zallin. Celui-ci lâcha prise.

Horza l’imita et s’éloigna précipitamment de l’adolescent, dont les deux mains s’abattaient en direction de sa tête. Le Métamorphe se releva ; sa cheville et son genou lui faisaient mal, mais n’avaient pas subi de dommages. Zallin s’avança en boitant ; le sang ruisselait sur son mollet. Horza changea de tactique, se précipita sur lui et le frappa en plein ventre, sous la garde rudimentaire que formaient ses bras énormes. Zallin porta ses deux mains au niveau de son estomac et, obéissant à un réflexe, s’accroupit. En arrivant à sa hauteur, Horza frappa des deux mains sur le cou de l’autre.

Normalement, le coup aurait dû tuer son adversaire ; mais Zallin était fort, et Horza encore faible. Ce dernier recouvra son équilibre, se retourna, et faillit heurter certains des mercenaires alignés contre la paroi ; le combat s’était déplacé d’un bout à l’autre du hangar. Avant qu’il ait pu le frapper à nouveau, Zallin se redressa, le visage enlaidi par l’agressivité et la frustration. Il poussa un cri et fonça tête baissée sur Horza, qui se contenta de faire un pas de côté. Mais le jeune homme trébucha dans sa course et, par le plus grand des hasards, son crâne vint percuter le ventre de Horza.

Le coup fut d’autant plus douloureux et démoralisant qu’il était inattendu. Horza tomba et roula sur lui-même en s’efforçant par la même occasion de faire basculer son agresseur par-dessus lui, mais celui-ci s’abattit sur lui, au contraire, et le cloua au sol. Le Métamorphe se tortilla en vain. Il était coincé.

Zallin se redressa légèrement en prenant appui sur une de ses paumes, et leva l’autre derrière sa tête tout en rivant un regard mauvais sur son adversaire à terre. Horza se rendit brusquement compte qu’il n’avait plus d’issue. Il regarda s’élever et reculer ce poing, prit conscience de son propre corps aplati au sol et de ses bras immobilisés, et sut que tout était fini. Il avait perdu la partie. Il se prépara à tourner la tête aussi vite que possible afin d’esquiver ce coup susceptible de lui fracasser à tout moment les os de la face, et s’efforça une nouvelle fois de bouger les jambes ; mais c’était sans espoir. Il eut envie de fermer les yeux, puis se ravisa. Peut-être l’Homme va-t-il me prendre en pitié. Il a bien vu que je savais me battre. Je n’ai pas eu de chance, c’est tout. Peut-être va-t-il arrêter ça et…

Le poing de Zallin s’immobilisa, tel le couperet suspendu tout en haut de la guillotine juste avant qu’on ne le libère.

Et ne s’abattit pas. Comme Zallin se raidissait, son autre main calée sur le pont, qui supportait le poids de son torse, dérapa et se déroba brusquement : elle avait glissé sur son propre sang. Il poussa un grognement de surprise. En s’effondrant sur Horza, il pivota légèrement ; le Métamorphe sentit sur son corps la pression s’atténuer. Zallin roula sur lui-même, et Horza en profita pour se soulever de terre, puis rouler dans la direction opposée. Il se retrouva au pied des mercenaires qui observaient l’affrontement. La tête de Zallin heurta le plancher ; le choc ne fut pas très rude, mais avant que le jeune homme ait pu réagir, Horza se jeta sur son dos, referma ses mains autour de son cou et tira vers l’arrière le crâne aux cheveux d’argent. Puis il enfourcha Zallin et l’immobilisa.

L’autre ne bougeait plus. Un gargouillement sortait de sa gorge prisonnière. Il avait suffisamment de force pour repousser le Métamorphe, se retourner sur le dos et l’écraser ; mais avant qu’il ait pu faire quoi que ce soit, une seule contraction des mains de Horza lui aurait rompu le cou.

Zallin avait les yeux levés vers Kraiklyn, qui se tenait presque en face de lui. Hors d’haleine, baigné de sueur, Horza plongea à son tour son regard dans les yeux profondément enfoncés de l’Homme. Zallin se tortilla un peu, puis sentit Horza raidir ses avant-bras et se tint tranquille.

Ils avaient tous les yeux rivés sur lui, tous ces mercenaires, pirates ou boucaniers, quel que fût le nom qu’ils se donnaient. Ils faisaient cercle contre les deux parois du hangar et regardaient Horza. Mais seul Kraiklyn le regardait dans les yeux.

— On n’est pas obligés d’aller jusqu’au bout, haleta Horza. (Il contempla un instant les cheveux argentés de son ennemi, dont quelques mèches étaient plaquées sur son crâne par la transpiration. Puis il revint à Kraiklyn.) J’ai gagné. Vous n’avez qu’à débarquer le gamin à votre prochaine escale. Ou me débarquer moi. Je ne tiens pas à le tuer.

Sa jambe droite était en contact avec une substance tiède et gluante répandue sur le pont. Il comprit que c’était le sang qui s’écoulait du mollet blessé de Zallin. Kraiklyn arborait une expression curieusement distante. Le pistolet-laser ressortit souplement de son baudrier, trouva sa place dans la main gauche du commandant et visa Horza en plein front. Dans le silence absolu qui régnait, ce dernier l’entendit se mettre en marche avec un cliquètement suivi d’un bourdonnement, à un mètre à peine de son crâne.

— Alors tu vas mourir, l’informa Kraiklyn d’une voix neutre, égale. Je n’ai pas de place à bord pour un homme qui ne sait pas s’offrir de temps en temps un bon petit meurtre.