La dévote qui partageait la cabine de Yalson portait le nom de Dorolow. Elle était dodue, avec la peau blanche et les cheveux blonds, et ses oreilles démesurées s’incurvaient vers le bas pour aller se rattacher à ses joues. Elle parlait d’une voix flûtée qu’elle-même considérait pourtant comme assez grave, et ses yeux larmoyaient abondamment. Ses gestes étaient secs, rapides et nerveux.
L’aîné de la Compagnie était un certain Aviger, petit homme buriné à la peau brune et au cheveu rare. Il avait des bras et des jambes étonnamment souples qui lui permettaient, par exemple, de nouer ses mains derrière son dos et de les ramener au-dessus de sa tête d’un seul mouvement. Il logeait avec un dénommé Jandraligeli, un mondlidicien d’âge moyen qui, grand et mince, arborait les cicatrices rituelles de sa planète-mère avec une fierté impénitente et des allures de perpétuel dédain. Il s’appliquait avec ferveur à ne tenir aucun compte de Horza mais, d’après Yalson, il agissait ainsi vis-à-vis de chaque nouvelle recrue. Jandraligeli passait une grande partie de son temps à nettoyer et faire briller sa combinaison et son fusil-laser, anciens mais bien entretenus.
Il y avait aussi deux femmes, Gow et kee-Alsorofus, qui se consacraient presque entièrement l’une à l’autre et dont on disait qu’elles faisaient des choses toutes seules dans leur cabine ; cela semblait d’ailleurs irriter les moins tolérants, c’est-à-dire la quasi-totalité des membres de la Compagnie. Elles étaient toutes deux assez jeunes, et parlaient mal le marain. Horza se dit qu’il ne fallait peut-être pas chercher plus loin la cause de leur isolement, mais s’aperçut finalement qu’elles étaient de toute façon timides. De taille et de constitution moyennes, elles avaient les traits acérés, la peau grise et les yeux comme des flaques d’encre. Horza songeait qu’elles faisaient bien de ne pas regarder trop souvent les autres en face ; avec des prunelles pareilles, l’expérience pouvait se révéler désagréable.
Quant à Mipp, c’était un gros homme sinistre à la peau noire comme le jais. Il savait piloter manuellement le vaisseau quand Kraiklyn n’était pas à bord et que la Compagnie avait besoin d’assistance directe sur le terrain, et pouvait prendre le relais aux commandes de la navette. On le disait habile au tir, avec son canon à plasma ou son arme à projectiles rapide, mais aussi sujet aux excès, notamment quand il s’enivrait dangereusement à l’aide des liquides toxiques qu’il se procurait auprès de l’autocuisine. Horza l’entendit une ou deux fois vomir dans un box voisin des toilettes. Mipp partageait sa cabine avec un autre ivrogne, Neisin, qui était plus sociable et chantait tout le temps. Il prétendait avoir quelque chose de terrible à oublier et, s’il buvait plus copieusement et plus régulièrement que Mipp, il lui arrivait – quand il avait dépassé sa dose habituelle – de se taire brusquement puis d’éclater en sanglots entrecoupés de grandes inspirations sonores. Il était petit, d’une maigreur nerveuse, avec une tête compacte et rasée ; Horza se demandait où pouvait bien aller tout le liquide qu’il absorbait, et aussi d’où venaient toutes ses larmes. Peut-être y avait-il une sorte de court-circuit entre sa gorge et ses canaux lacrymaux.
Tzbalik Odraye était le petit génie informatique – autodidacte – de l’équipage. Puisque, en théorie, Mipp et lui pouvaient passer outre les instructions programmées par Kraiklyn sur l’ordinateur non conscient, et donc s’enfuir à bord du vaisseau, ils n’étaient jamais autorisés à demeurer ensemble à bord lorsque le commandant était à terre. En réalité, Odraye n’était pas si calé que ça en informatique, ainsi que Horza s’en rendit compte en lui faisant subir un interrogatoire serré mais en apparence innocent. Toutefois, cet homme grand et légèrement bossu au long visage jaunâtre en savait sans doute suffisamment pour résoudre tout problème affectant le cerveau du vaisseau, qui semblait plutôt conçu pour durer que pour se lancer dans des subtilités philosophiques. Tzbalik Odraye était logé avec Rava Gamdol, qui devait venir du même endroit que Yalson, à en juger par sa peau et son fin duvet ; pourtant, il disait que non. Yalson restait vague sur ce sujet, et ces deux-là ne s’aimaient guère. Rava était lui aussi du genre reclus ; il avait barricadé sa couchette et y avait installé un éclairage discret, ainsi qu’un ventilateur. Il lui arrivait de passer plusieurs jours d’affilée dans son petit espace bien à lui, où il s’enfermait avec un récipient plein d’eau pour en ressortir avec un autre plein d’urine. Tzbalik Odraye faisait de son mieux pour ne pas voir son camarade de cabine, et niait énergiquement souffler la fumée odorante de son herbe de Cifetressi dans les trous d’aération du petit box de Rava.
La dernière cabine était occupée conjointement par Lénipobra et Lamm. Le premier était le cadet de la Compagnie ; c’était un jeune homme décharné qui bégayait et arborait une chevelure d’un roux tapageur. Il était très fier de sa langue tatouée et la montrait chaque fois qu’il en avait l’occasion. Le dessin, qui représentait une femme, était grossier dans les deux sens du terme. Lénipobra faisait office de médico de bord, et on le voyait rarement sans son petit livre-écran, lequel contenait un des plus récents manuels médicaux pan-humains. Il l’exhiba fièrement devant Horza, sans oublier quelques pages animées ; l’une démontrait en couleurs crues la technique de base du traitement à appliquer en cas de brûlures laser profondes, pour les configurations les plus répandues d’appareils digestifs. Lénipobra trouvait ce spectacle des plus réjouissants. Horza se dit qu’il devrait redoubler d’efforts pour ne pas se faire blesser pendant l’assaut du Temple de la Lumière. Le médico improvisé avait des bras très longs et très maigres et marchait à quatre pattes environ un quart du temps, sans que Horza réussisse à savoir si c’était un comportement naturel chez son espèce, ou bien pure affectation de sa part.
Lamm était plus petit que la moyenne, mais fort musclé et d’allure très compacte. Il arborait une double paire de sourcils, ainsi que des cornes greffées saillant d’une chevelure raréfiée mais très noire, et surmontant un visage qu’il s’efforçait habituellement de rendre agressif et menaçant. Il prenait rarement la parole entre les opérations, et quand il parlait, c’était pour raconter ses guerres, énumérer les individus qu’il avait tués, les armes qu’il avait maniées, et ainsi de suite. Lamm se considérait comme le second de Kraiklyn, malgré la politique d’égalité que pratiquait le commandant de bord à l’encontre de ses membres d’équipage. De temps en temps, Lamm avertissait ses camarades qu’on ne devait pas lui causer de souci. Il était bien armé, mortellement dangereux, et sa combinaison comportait même un engin atomique dont il disait qu’il préférerait l’amorcer plutôt que d’être fait prisonnier. Il espérait apparemment convaincre son monde que, si on le dérangeait, il pouvait déclencher sa fameuse bombe dans un simple accès de dépit.
— On peut savoir pourquoi vous me regardez comme ça ? fit la voix de Lamm au milieu d’une véritable tempête d’électricité statique tandis que Horza se faisait ballotter en tous sens par la navette dans sa combinaison trop grande pour lui.
Le Métamorphe se rendit compte qu’il fixait son vis-à-vis ; il effleura un bouton sur son cou et répondit :
— Je pensais à autre chose.
— Je ne veux pas que vous me regardiez comme ça.
— Il faut bien regarder quelque chose, lança-t-il sur le ton de la plaisanterie à l’homme en combinaison noire et visière grise qui agita sa main libre, l’autre tenant son fusil-laser.