— … crétin !
Le haut-parleur se mit à bourdonner, puis se tut tout à fait. Horza jura et s’immobilisa en position accroupie. Il manipula les commandes du communicateur, sur le côté de son casque, en priant silencieusement pour que le haut-parleur revienne à la vie. Ses gants trop grands pour lui le gênaient. Le haut-parleur ne voulut rien savoir. Horza poussa un nouveau juron et se remit sur pied ; écartant les joncs et les herbes hautes, il reprit sa progression vers le mur d’enceinte.
— … jectiles à l’intérieur ! hurla tout à coup une voix.
C’est… trement facile !
Il ne réussit pas à l’identifier, et le haut-parleur redevint aussitôt silencieux.
Il arriva au pied du mur couvert de mousse qui jaillissait des broussailles selon une inclinaison de quarante degrés environ. Un peu plus loin, deux membres de la Compagnie l’escaladaient lourdement ; ils étaient presque parvenus au sommet, c’est-à-dire à quelque sept mètres de hauteur. Horza vit une silhouette bondir en zigzag dans les airs et disparaître derrière le parapet. Il entreprit l’ascension du mur, que les proportions encombrantes de sa combinaison rendirent plus malaisée que prévu ; il atteignit néanmoins le faîte sans tomber et, une fois sur le parapet, sauta dans un large chemin de ronde. Une muraille couverte de mousse, semblable à la première, montait vers l’étage supérieur. À la droite de Horza, la paroi tournait à angle droit sous une petite tour ; à sa gauche, le chemin de ronde semblait disparaître à l’intérieur d’un mur perpendiculaire dépourvu d’ouvertures. Selon le plan de Kraiklyn, Horza était à présent censé poursuivre dans cette direction et tomber enfin sur une porte. Il partit donc, au petit trot, vers le mur nu.
Un casque surgit tout à coup sous le rebord de la première muraille et Horza voulut s’écarter tout en s’accroupissant, au cas où, mais un bras apparut à son tour, au même endroit ; puis le casque et le bras émergèrent tout à fait et il reconnut Gow.
Horza s’élança et, relevant sa visière, reçut en pleine figure l’air de Marjoin, chargé de senteurs de jungle. Il entendit crépiter un tir de projectiles à l’intérieur du temple, ainsi que la lointaine détonation sourde d’une rafale explosive de Microhowitzer. Il courut vers un étroit passage percé dans la paroi inclinée à demi dissimulée sous les grappes de végétation moussue. Prête à faire feu, Gow était à genoux sur les débris épars de la porte en bois massif qui avait dû jadis en barrer l’accès. Horza alla s’agenouiller auprès d’elle et lui montra son casque.
— Mon communicateur est en panne. Qu’est-ce qui s’est passé ? Elle effleura un bouton sur son poignet et répondit par l’intermédiaire du haut-parleur extérieur de son casque :
— Jusqu’ici, O.K. Pas de mal. Eux sur les tours. (Elle pointa un doigt vers le haut.) Eux pas entrer en volant. Ennemis avoir seulement armes à projectiles, eux se replier. (Elle hocha la tête ; elle se retournait constamment pour jeter un coup d’œil dans le passage obscur. Horza acquiesça à son tour et Gow lui tapota le bras.) Moi dire à Kraiklyn toi entrer, d’accord ?
— Ouais, mais dis-lui aussi que mon communicateur ne marche plus, O.K. ?
— Ouais, moi lui dire. Zallin même problème avant. Toi faire attention, O.K. ?
— Ouais, toi aussi.
Il se releva et pénétra dans le temple en écartant à coups de pied les planches brisées et autres gravats de grès éparpillés sur la mousse par l’éclatement de la porte. Le couloir, plongé dans les ténèbres, partait dans trois directions différentes. Il se retourna vers Gow et les lui désigna.
— Celui du milieu, c’est ça ?
La silhouette accroupie qui se détachait sur le ciel de l’aurore hocha la tête.
— Ouais, c’est ça. Toi aller au milieu.
Horza se mit en marche. Le couloir était lui aussi tapissé de mousse. À quelques mètres d’intervalle, de faibles ampoules jaunâtres fixées au mur répandaient des flaques de lumière terne que la mousse noire semblait absorber. L’étroit passage aux parois moelleuses et au sol spongieux le fit frissonner, bien qu’il y régnât une température plutôt douce. Il s’assura que son arme était bien opérationnelle. Il n’entendait pas d’autre son que celui de sa propre respiration.
Horza parvint à un croisement en T, où il prit à droite. Une volée de marches se présenta devant lui. Il les escalada quatre à quatre, et ses bottes trop grandes pour lui le firent trébucher ; il tendit le bras devant lui pour amortir sa chute et ressentit une vive douleur. Un paquet de mousse se détacha de la marche et, au-dessous, Horza vit briller une surface sous l’éclairage jaune des appliques murales. Recouvrant son équilibre, il secoua son bras endolori et reprit son ascension en se demandant pourquoi les bâtisseurs du temple avaient conçu un escalier aux marches de verre. Arrivé en haut, il s’engagea dans un couloir assez court ; celui-ci donnait sur une deuxième volée de marches qui s’incurvaient sur la droite et qui, cette fois, n’étaient pas éclairées. Vu son nom, ce temple est remarquablement obscur, songea Horza. Il déboucha sur un petit balcon.
Le manteau du moine était sombre, de la même couleur que la mousse, et Horza ne le vit qu’au moment où il tourna vers lui son visage pâle en même temps que son arme.
Le Métamorphe se jeta de côté en se plaquant contre le mur qui se dressait sur sa gauche ; simultanément, il braqua le pistolet qu’il tenait à hauteur de hanche et fit feu. L’arme du moine tressauta et lâcha une courte rafale en direction du plafond tandis que l’inconnu basculait en arrière. Les détonations répercutèrent dans l’espace vide et noir qui s’étendait au-delà du balcon. Horza s’accroupit au pied du mur sans cesser de viser la silhouette tombée en tas à deux ou trois mètres de lui. Puis il tendit le cou et, dans la pénombre, distingua ce qui restait du visage du moine ; alors il se détendit quelque peu. L’homme était bien mort. Horza se détacha du mur et alla s’agenouiller près de la balustrade. Il apercevait maintenant une salle de vastes proportions, éclairée par quelques petits globes suspendus au plafond. Le balcon saillait à mi-hauteur d’un des murs dans le sens de la longueur, et le Métamorphe discerna tout au fond un genre d’estrade ou d’autel. Il y avait si peu de lumière qu’il n’aurait pu en jurer, mais il lui sembla voir bouger en bas des silhouettes obscures. Il se demanda si c’étaient les membres de la Compagnie et rassembla ses souvenirs : avait-il remarqué d’autres portes en montant vers le balcon ? Lui-même était censé se trouver au niveau de la salle. Il maudit son communicateur hors d’usage et décréta qu’il devait prendre le risque d’appeler ceux qu’il distinguait en bas.
Il se pencha par-dessus la balustrade. En tirant en l’air, le moine avait déclenché une pluie de verre brisé qui craqua sous le genou de Horza, heureusement protégé par sa combinaison. Ce dernier n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche pour lancer son appel : sous ses pieds, une voix haut perchée retentit ; elle s’exprimait en une langue composée de couinements et de déclics. Il s’immobilisa et resta silencieux. Ce pouvait tout aussi bien être Dorolow, mais pourquoi parlerait-elle tout à coup une autre langue que le marain ? La voix s’éleva de nouveau. Puis il crut en entendre une autre, mais à ce moment-là des tirs laser et des rafales de projectiles résonnèrent brièvement dans la salle, du côté opposé à l’autel. Il plongea et, lorsque le vacarme se tut, crut entendre quelque chose cliqueter derrière lui.
Il fit volte-face en contractant son doigt sur la détente, mais ne vit personne. Il n’y avait là qu’un petit objet rond, à peu près de la taille d’un poing d’enfant, qui oscilla sur le rebord de la balustrade avant de s’abattre bruyamment dans la mousse, à un mètre de lui environ. Il le repoussa d’un coup de pied et plongea derrière le cadavre du moine.