La grenade explosa en l’air, juste au-dessous du balcon.
Horza se releva d’un bond alors que lui parvenaient des échos de détonations du côté de l’autel. Il se précipita vers la porte qui s’ouvrait au bout du balcon ; la main tendue, il agrippa au passage l’angle moelleux de la paroi et y prit appui pour virer sur lui-même et retomber à genoux. Il dégagea l’arme des mains inertes du moine au moment même où le balcon commençait à se détacher de la paroi dans un craquement de verre pilé. Horza se rejeta en arrière, dans le couloir. Le balcon bascula d’un coup dans le vide en entraînant un nuage scintillant de débris, et s’écrasa à grand fracas dans la salle ; la silhouette indistincte du moine défunt s’envola à sa suite.
Horza vit, tout en bas, d’autres silhouettes se disperser dans l’obscurité et fit feu au moyen de l’arme qu’il venait de s’approprier. Puis il se retourna et explora du regard le passage où il se tenait, en se demandant s’il conduisait à la salle de l’autel, ou encore à l’extérieur du temple. Il examina cette nouvelle arme : elle semblait plus efficace que la sienne. Il tomba à quatre pattes et, la bandoulière de son vieux pistolet passée à l’épaule, s’éloigna précipitamment de l’ouverture, qui donnait à présent directement sur le vide. Le couloir faiblement éclairé tournait à droite. Horza se redressa progressivement à mesure qu’il s’éloignait de l’ouverture et ne se préoccupa plus d’éventuelles grenades. À cet instant, les événements commencèrent à se précipiter dans la salle qu’il laissait derrière lui.
La première chose qu’il vit fut son ombre ; projetée devant lui, elle palpitait et dansait sur le mur arrondi du passage. Puis une véritable cacophonie s’éleva, suivie d’une succession d’ondes de choc qui le firent vaciller et lui mirent les oreilles à rude épreuve. Il abaissa promptement sa visière et s’accroupit à nouveau tout en se retournant vers la salle où surgissaient des explosions de lumière. Malgré son casque, il crut distinguer des cris au milieu des rafales et des déflagrations. Il repartit en courant vers l’ouverture et se retrouva à son point de départ, plaqué au sol, fouillant la salle du regard.
Au moment où il comprit ce qui se passait, il baissa la tête aussi promptement que possible et prit appui sur ses coudes pour se propulser en arrière. Il résista à son envie de fuir et, calant l’arme du moine dans un coin de l’ouverture, la tête tournée, vida son chargeur au jugé en direction de l’autel. Lorsque l’arme cessa de tirer, il la jeta et recommença avec la sienne, jusqu’à ce que celle-ci s’enraye à son tour. Alors il se coula dans le passage et s’enfuit en courant. Le reste de la Compagnie était sûrement en train de faire la même chose, du moins ceux qui le pouvaient.
Ce qu’il avait vu aurait dû lui paraître incroyable ; il n’avait regardé qu’une seconde dans le hall – juste assez pour qu’une image quasi statique ait le temps de se former sur sa rétine ; pourtant, il avait très bien saisi ce qu’il avait sous les yeux, et ce qui se déroulait en bas. Tout en courant, il se demanda pourquoi le Temple de la Lumière était à l’épreuve des lasers. Parvenu à une nouvelle jonction en T, il s’arrêta.
Il assena un coup de crosse dans l’angle du mur, à travers la mousse ; le métal rencontra une surface dure qu’il ébrécha indubitablement, mais Horza sentit également quelque chose céder sous la pression. Mettant à profit les faibles cellules lumineuses incrustées dans sa combinaison de chaque côté de sa visière, il inspecta ce que dissimulait la mousse.
— Oh, mon Dieu…, souffla-t-il.
Il heurta un autre endroit du mur et y regarda de plus près. Il se remémora le scintillement qu’il avait attribué à du verre sous la mousse de l’escalier lorsqu’il s’était fait mal au bras, ainsi que les craquements sous son genou quand il se trouvait sur le balcon. Alors il appuya son épaule contre la paroi élastique et sentit son cœur se soulever.
Personne n’était encore allé jusqu’à concevoir un temple entier à l’épreuve des lasers, ni même une salle de grandes dimensions. Cela se serait révélé horriblement coûteux et, de surcroît, parfaitement superflu sur une planète de troisième niveau. Non, le plus probable était que l’intérieur du temple (il se rappela le grès dans lequel était pratiquée l’ouverture donnant sur l’extérieur) était constitué de blocs de cristal, car c’était bien cela qui se cachait sous la mousse. Qu’on y dirige un tir de laser, et la mousse se vaporisait instantanément en permettant ainsi aux surfaces sous-jacentes de renvoyer le plus gros de la décharge, ainsi que les rafales ultérieures qui viendraient s’abattre au même endroit. Il reporta son attention sur le deuxième point d’impact de sa crosse, plongea son regard dans le matériau transparent qu’il avait mis au jour, et distingua le reflet terne des lumières de sa combinaison que lui renvoyait – à l’intérieur – une surface réfléchissante. Il s’écarta et s’engagea en courant dans la branche droite du couloir ; il dépassa plusieurs portes en bois massif, puis dévala quelques marches en spirale qui descendaient vers une flaque de lumière.
Ce qu’il avait vu dans le hall, c’était un capharnaüm illuminé de lasers. Un unique coup d’œil à ce chaos, coïncidant avec une série d’éclairs lumineux, avait gravé dans ses yeux une image qu’il croyait voir encore. À une extrémité du hall, des moines aplatis sur l’autel actionnaient sans relâche des armes qui jetaient des étincelles annonciatrices d’explosifs chimiques ; tout autour d’eux surgissaient de noires explosions de fumée à mesure que la mousse se vaporisait. À l’autre bout du hall se trouvaient plusieurs membres de la Compagnie, debout, couchés ou vacillant sur leurs pieds ; leurs ombres se dessinaient, gigantesques, sur le mur derrière eux. Ils faisaient feu sans ménager leurs munitions, et leurs armes expédiaient dans le mur opposé des décharges qui revenaient les frapper en se répercutant sur les couches internes de blocs de cristal, dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence. Deux d’entre eux étaient d’ores et déjà aveuglés, à en juger par leurs postures de tir maladroites : les bras tendus devant eux, ils tenaient d’une main une arme qui crachait le feu.
Horza savait très bien que sa combinaison – et en particulier sa visière – était incapable d’arrêter une décharge laser, que celle-ci se situe dans le spectre visible ou dans la gamme des rayons X. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était se tenir en dehors de la ligne de tir et balancer tous les projectiles dont il disposait, en espérant prendre au dépourvu quelques-uns des moines. Sans doute avait-il eu beaucoup de chance de ne pas être touché pendant le bref laps de temps où il avait risqué un regard dans la salle. À présent, la seule solution était la fuite. Il essaya de hurler dans le micro de son casque, mais le communicateur ne voulut rien savoir ; sa voix rendit un son creux à l’intérieur de sa combinaison, et il ne s’entendit même pas dans son haut-parleur d’oreille.
Soudain, il aperçut devant lui une silhouette vague, accroupie et aplatie contre le mur, dans le rai de lumière qui provenait d’un autre passage. Horza se jeta dans l’encadrement d’une porte. L’inconnu ne broncha pas.
Il voulut se servir de son fusil, que ses heurts répétés contre les parois de cristal avaient manifestement débloqué ; une rafale, et la silhouette s’effondra mollement au sol. Horza repassa le seuil et alla l’examiner.
C’était un autre moine ; sa main sans vie serrait encore une arme, et son visage blême baignait dans la lumière tombant du couloir voisin. Derrière lui, sur le mur, la mousse était criblée de traces de brûlures ; intact, translucide, le cristal apparaissait au travers. En plus des trous percés par les tirs de Horza, la tunique du moine, à présent imprégnée de sang rouge, arborait une série de brûlures laser. Horza risqua un regard à l’angle du couloir et se retrouva en pleine lumière.