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— On devrait leur lâcher une bombe sur la gueule ! déclara Lamm. Les écrabouiller, ces salauds de moines.

Pas de commentaire. Yalson se leva lentement, sortit du hangar et, la tête basse, son casque dans une main et son arme dans l’autre, gravit d’un pas lourd l’escalier menant au pont supérieur.

— Je crains qu’on n’ait plus de radar, annonça Wubslin en refermant une trappe d’inspection. (Il sortit de sous le nez de la navette en roulant sur lui-même.) Cette première salve ennemie…

Sa voix s’éteignit.

— Au moins, on n’a pas de blessés, fit Neisin. (Il regarda Dorolow.) Ça va mieux, tes yeux ? (L’interpellée hocha la tête mais garda les paupières closes. Neisin acquiesça à son tour.) C’est bien pis quand il y a des blessés. On a eu de la chance. (Il plongea la main dans un petit paquetage accroché à l’avant de sa combinaison et en sortit un petit récipient métallique. Il suça la tétine qui en formait l’extrémité et grimaça.) Ouais, on a eu de la chance. Et ça n’a pas traîné pour eux non plus. (Il se mit à branler du chef sans regarder personne en particulier, indifférent au fait que personne ne semblait l’écouter.) Vous avez vu, tous ceux qu’on a perdus étaient de la même… Je veux dire qu’ils allaient par deux… ou par trois… non ?

Il but une nouvelle gorgée et secoua la tête. À côté de lui, Dorolow lui tendit la main. Neisin la dévisagea, surpris, puis lui tendit sa petite fiasque. Elle en prit une gorgée et la lui rendit. Neisin regarda autour de lui, mais personne d’autre n’en voulait.

Horza restait silencieux. Il fixait obstinément l’éclairage froid du hangar en essayant de ne plus revoir la scène à laquelle il avait assisté dans les profondeurs obscures du temple.

La Turbulence Atmosphérique Claire sortit de son orbite en employant ses propulseurs à fusion et se dirigea vers le bord externe du puits de gravité de Marjoin, où elle pourrait mettre à feu ses propulseurs à gauchissement. Elle ne reçut aucun signal des Bratsilakins, et ne bombarda pas le Temple de la Lumière. Au lieu de cela, elle se dirigea vers l’Orbitale de Vavatch.

À partir des transmissions radio en provenance de la planète, ils reconstituèrent ce qui s’était passé là-bas, ce qui avait poussé les moines et les prêtres à s’armer de manière aussi conséquente. Deux des nations de Marjoin étaient en guerre et, situé à la frontière entre ces deux pays, le temple se tenait perpétuellement prêt à riposter. L’un des deux États était vaguement socialiste, et l’autre d’inspiration plutôt religieuse ; les prêtres du Temple de la Lumière constituaient une des sectes de cette foi militante. Le conflit avait partiellement pour origine les hostilités d’envergure galactique qui se déroulaient autour de la planète, en plus d’en être un reflet miniature et approximatif. Et c’était ce reflet-là, se dit Horza, qui avait causé la mort des membres de la Compagnie, autant que les éclairs-laser réfléchis par le cristal.

Horza n’était pas très sûr de pouvoir dormir cette nuit-là. Il resta couché, tout éveillé, pendant des heures, à écouter les cauchemars discrets de Wubslin. Puis on frappa doucement à la porte de leur cabine, et Yalson vint s’asseoir sur sa couchette. Elle posa la tête sur son épaule et tous deux se tinrent un instant enlacés. Au bout d’un moment, elle le prit par la main et l’entraîna silencieusement dans la coursive, dans la direction opposée au mess – où la lumière et les accents distants de la musique indiquaient qu’un Kraiklyn insomniaque se relaxait grâce à une petite fiasque et une bande holoson – jusqu’à la cabine qu’avaient partagée Gow et kee-Alsorofus.

Là, dans la pénombre, sur un petit lit imprégné d’odeurs étranges et plein de textures inconnues, ils rejouèrent une scène éternelle qui, dans leur cas – et ils le savaient pertinemment –, représentait une hybridation presque inéluctablement stérile entre deux espèces, deux cultures que séparaient des milliers d’années-lumière. Puis ils s’endormirent.

Bilan : un

Fal ’Ngeestra regardait dériver les ombres des nuages sur la plaine lointaine, à dix kilomètres d’elle et à un kilomètre d’altitude ; elle poussa un soupir et releva la tête pour embrasser du regard les monts coiffés de neige, tout au bout de la steppe déserte. La chaîne de montagnes se dressait à une trentaine de kilomètres, mais ses pics se découpaient très nettement dans l’air limpide, qu’ils emplissaient de roc et de blancheur resplendissante. Même à cette distance, et vus à travers une telle couche d’atmosphère, l’œil frémissait sous leur éclat.

Elle se détourna et foula les larges dalles de la terrasse du chalet en traînant un peu la jambe, ce qui ne convenait guère à son jeune âge. Au-dessus de sa tête, la tonnelle débordait de fleurs rouges et blanches et projetait au sol des ombres parfaitement quadrillées. La jeune femme traversa les motifs réguliers d’ombre et de lumière ; sa chevelure se ternissait et se parait d’or tour à tour, à mesure que sa démarche saccadée l’amenait dans l’ombre ou au contraire en plein jour.

La grosse silhouette gris métallisé du drone nommé Jase apparut tout au bout de la terrasse : il sortait justement du chalet. Fal sourit en l’apercevant et prit place sur un banc de pierre qui saillait du muret, intercalé entre la terrasse et le panorama. On avait beau être en altitude, la journée était tiède et il n’y avait pas de vent ; Fal épongea un léger voile de transpiration sur son front tandis que le vieux drone traversait en flottant dans les airs l’espace qui les séparait. Les rais de soleil obliques se succédèrent sur sa coque selon un rythme régulier. La machine se posa sur les dalles au pied du banc de manière que sa partie supérieure, large et plane, arrive au niveau de la tête de Fal.

— Quelle belle journée, n’est-ce pas, Jase ? fit cette dernière en reportant son regard sur les monts lointains.

— En effet, répondit le drone.

Il était doté d’une voix exceptionnellement grave et riche en tonalités, qu’il ne se privait d’ailleurs pas d’exploiter à fond. Depuis un millier d’années ou plus, les drones de la Culture possédaient des champs-auras dont la coloration variait selon leur humeur, ce qui leur conférait un équivalent de langage gestuel et facial. Mais Jase était vieux. Il avait été fabriqué bien avant l’invention des champs-auras, et avait toujours refusé les remaniements nécessaires à leur installation. Il préférait se fier à sa voix pour exprimer ses sentiments, ou bien demeurer insondable.

— Quel dommage ! reprit Fal en secouant la tête, les yeux toujours rivés aux lointains sommets enneigés. Comme j’aimerais pouvoir faire de l’escalade !

Elle émit un petit bruit de dépit en contemplant sa jambe droite, tendue toute raide devant elle. Elle s’était fait une fracture huit jours plus tôt en escaladant les montagnes qui s’élevaient de l’autre côté de la plaine, et sa jambe était à présent prise dans un réseau d’attelles constitué de fines bandes-champs et dissimulé sous un fuseau moulant très à la mode.

Normalement, songea-t-elle, Jase devrait profiter de l’occasion pour me faire la leçon : Il est recommandé dans ce cas de se munir d’un harnais flotteur, ou d’emmener un drone sauveteur ; en tout cas, on ne part jamais seul. Pourtant, l’antique machine resta muette. Fal tourna vers elle son visage au hâle éclatant.

— Alors, Jase, que venais-tu m’annoncer ? On a besoin de mes services ?

— Je le crains, en effet.

Fal s’installa aussi confortablement que possible sur son banc de pierre et croisa les bras. Jase fit jaillir de sa coque un court champ de force afin de soutenir la jambe raide de la jeune fille, qui lui semblait placée dans une mauvaise position, tout en sachant très bien qu’en fait, les attelles magnétiques en supportaient tout le poids.