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Il éclata de rire, se plia en deux, frappa des deux mains sur le sol du hangar, puis se releva d’un bond et sourit à la ronde. Dorolow se gratta les oreilles d’un air perplexe. Lamm lui jeta un regard noir par-dessus le canon de son fusil tandis que Horza et Yalson s’entre-regardaient en secouant la tête sans comprendre. Lénipobra s’avança en dansant et en mimant les mouvements de la boxe vers Jandraligeli, qui haussa un sourcil et regarda le grand jeune homme maigre s’agiter devant lui.

— On se prépare à employer un matériel de guerre digne de la fin de l’univers, et ce jeune crétin en ferait presque dans sa culotte.

— Oh, tu n’es qu’un trouble-fête, Ligeli, dit Lénipobra au mondlidicien.

Il interrompit sa danse et laissa retomber ses poings ; puis il tourna les talons et partit d’un pas chaloupé en direction de la navette. Au moment de croiser Yalson et Horza, il murmura :

— Yalson, c’est quoi, au fait, le s-s-saupoudrage EAM ?

— Effondrement Anti-Matière, petit.

Lénipobra poursuivit son chemin et Yalson sourit.

Horza, lui, rit sans bruit en voyant le jeune homme hocher la tête dans le col ouvert de sa combinaison, puis franchir la porte arrière de la navette.

La Turbulence Atmosphérique Claire tangua. La navette émergea du hangar et fila sous la face inférieure de l’Orbitale de Vavatch, laissant l’astronef suivre son erre tel un minuscule poisson d’argent sous la coque de quelque immense et sombre navire.

Sur un petit écran, fixé à un bout du compartiment principal de la navette depuis sa dernière expédition, les silhouettes en combinaison pouvaient contempler à loisir la courbe apparemment infinie que dessinait le matériau de base ultradense de l’Orbitale en partant s’enfoncer, sous la lumière des étoiles, dans les profondeurs obscures de l’espace. On avait l’impression de voler à l’envers sous une planète de métal ; de tous les spectacles offerts par la galaxie en matière d’artefacts engendrés par le pouvoir de la volonté, celui-ci n’aurait été éclipsé (au niveau de ce que la Culture appelait le « facteur de saisissement ») que par un Anneau de grande taille, ou encore par une Sphère.

La navette longea quelque mille kilomètres de subsurface unie. Puis, subitement, apparut au-dessus d’elle un triangle de ténèbres, une surface oblique à la substance encore plus lisse que le matériau de base, mais limpide, translucide, et qui surgissait de ce dernier pour fendre l’espace comme le fil d’un poignard de cristal, et cela sur deux mille kilomètres : le Mur-Limite. Il s’agissait en l’espèce du Mur bordé par l’océan, à l’opposé du filament de terres qu’ils avaient distingué en approchant à bord de la TAC. Les dix premiers kilomètres de la grande courbe aplatie étaient du même noir que l’espace. À cet endroit-là, la surface réfléchissante apparaissait seulement lorsque des étoiles s’y miraient, et devant cette image de perfection, on avait la tête qui tournait ; on contemplait une perspective apparente longue de plusieurs années-lumière, alors qu’en fait la surface en question ne se trouvait qu’à quelques milliers de mètres.

— Bon sang, qu’est-ce que c’est grand ! murmura Neisin.

L’appareil continua de s’élever et, au-dessus de lui naquit, à travers le mur, une aura lumineuse, une radieuse étendue de bleu.

La navette pénétra dans la lumière du soleil à peine filtrée par le mur transparent et déboucha dans l’espace vide qui s’ouvrait derrière le Mur-Limite. Deux kilomètres plus loin commençait l’atmosphère, toute raréfiée qu’elle fût ; pourtant l’appareil poursuivit son ascension dans le néant, suivant la courbe du mur en direction de son sommet. Elle en franchit le fil tranchant, à deux mille kilomètres d’altitude par rapport à la base de l’Orbitale, puis entama la descente le long de la face opposée, vers l’intérieur. Elle passa dans le champ magnétique de l’Orbitale, zone où d’infimes particules magnétisées de poussière artificielle arrêtaient une partie des rayons du soleil, assurant ainsi à l’océan une température plus basse qu’ailleurs et donnant naissance aux différents climats de Vavatch. La navette tombait toujours : elle traversa d’abord des nuages d’ions, puis de gaz raréfiés, pour entrer enfin dans une atmosphère légère et sans nuages frémissant sous les courants aériens provoqués par l’accélération de Coriolis. Le ciel passa du noir au bleu. L’Orbitale de Vavatch, cette boucle de liquide de quatorze millions de kilomètres, paraissait suspendue, nue, dans l’espace, étirée devant l’appareil en pleine chute tel un gigantesque tableau circulaire.

— Bon, au moins il fait jour, remarqua Yalson. Reste à espérer que le chef ne se trompe pas en prétendant localiser avec précision cette merveille de navire.

Des nuages s’affichèrent sur l’écran. La navette plongeait vers un paysage trompeur en réalité constitué de vapeur d’eau. Celle-ci semblait s’étendre à l’infini contre la surface incurvée de l’Orbitale qui, même à cette altitude, semblait plate, avant de jaillir brusquement vers la noirceur de la voûte céleste. Ils apercevaient également le bleu du véritable océan, mais beaucoup plus loin, encore qu’on en distinguât aussi quelques taches plus rapprochées.

— Ne vous en faites pas pour la couverture nuageuse, annonça Kraiklyn par l’intermédiaire du haut-parleur de la cabine. Elle se dissipera en fin de matinée.

La navette continuait de descendre et d’approcher la surface en fendant une atmosphère de plus en plus dense. On entra bientôt dans les premiers nuages de haute altitude. Horza s’agita un peu dans sa combinaison ; depuis que la TAC s’était ajustée à l’Orbitale en termes de trajectoire et de vélocité et depuis qu’on en avait désactivé l’anti-g, l’appareil et la Compagnie subissaient une gravité artificielle – due à la rotation – égale à celle de l’artefact, voire supérieure puisqu’ils étaient stationnaires par rapport à la base, mais plus éloignés dans l’espace. Vavatch, dont les constructeurs d’origine provenaient d’une planète à gravité plus forte, subissait une rotation destinée à créer une « gravité » supérieure de vingt pour cent environ à celle qu’acceptait la moyenne des êtres humains, et pour laquelle était réglé le générateur de la TAC. Aussi, comme les autres, Horza se sentait-il plus lourd que d’habitude. Déjà sa combinaison l’irritait en frottant contre sa peau.

Les nuages emplirent l’écran de gris.

— Le voilà ! s’écria Kraiklyn sans essayer de dissimuler son enthousiasme.

Il ne leur avait pas parlé depuis un bon quart d’heure, et ils commençaient à montrer des signes de nervosité. La navette avait tangué plusieurs fois, d’un côté puis de l’autre, comme pour chercher à repérer l’Olmédréca. De temps en temps, l’écran s’éclaircissait et laissait voir en dessous les couches nuageuses, puis s’embrumait à nouveau lorsqu’ils entraient dans une masse ou une colonne de vapeur. Une fois, il s’était même couvert de cristaux de glace.

— J’aperçois les plus hautes tours !

Tous se levèrent et se rassemblèrent devant l’écran. Lamm et Jandraligeli furent les seuls à ne pas quitter leur siège.

— Merde, il était temps ! fit Lamm. Je me demande bien pourquoi il faut si longtemps pour trouver un engin de quatre K de long.

— Pas facile sans radar, répliqua Jandraligeli. Personnellement, je me félicite qu’on ne lui ait pas foncé en plein dedans en traversant ces maudits nuages.

— Merde, proféra encore Lamm en inspectant à nouveau son arme.

— … Regardez-moi ça, fit Neisin.

Au milieu d’un désert de nuages, tel un immense canyon arraché à une planète de vapeur, au-delà des kilomètres de couches successives et perdu dans un espace si vaste que le panorama s’estompait au lieu de prendre fin ; malgré l’atmosphère limpide que laissaient entrevoir les zones dégagées, l’Olmédréca avançait.