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Il leva les yeux sur Mipp.

— Et toi, ça va ? demanda-t-il tout en connaissant d’avance la réponse.

— Non, répondit doucement l’autre en secouant la tête. Ce fou furieux m’a eu à la jambe, et quelque part dans le dos.

Horza scruta l’arrière de la combinaison de Mipp, là où elle s’appuyait au dossier, et aperçut dans la partie horizontale du siège une perforation qui se prolongeait par une longue et sombre éraflure sur la surface de la combinaison. Horza reporta son attention sur le plancher de la cabine.

— Merde ! Ce truc est plein de trous.

Le sol était criblé de cratères, dont deux juste au-dessous du siège de Mipp ; la traînée noirâtre avait été provoquée par un tir-laser, dont un autre avait dû toucher Mipp.

— J’ai l’impression que ce salaud m’a tiré en plein dans le cul, Horza, déclara Mipp en s’efforçant de sourire. Alors comme ça c’était bien vrai, cette histoire de bombe atomique, hein ? C’est elle qui a explosé. Ça m’a neutralisé tous mes instruments électroniques. Seuls les contrôles optiques fonctionnent encore. Foutue navette, inutilisable…

— Mipp, laisse-moi prendre les commandes.

Ils étaient maintenant perdus dans les nuages ; l’écran cristallin ne laissait filtrer qu’une vague lueur cuivrée. Mipp secoua la tête.

— Impossible. Tu ne sauras pas la piloter… dans l’état où elle est.

— Écoute, il faut qu’on y retourne. Les autres ont peut-être pu…

— Impossible. Ils seront tous morts, fit Mipp en serrant encore plus fort les manettes, les yeux rivés à l’écran. Bon Dieu, elle m’échappe. (Il examina tour à tour tous les moniteurs et secoua tristement la tête.) Je le sens.

— Ah, merde ! s’écria Horza, impuissant. Et les radiations ? ajouta-t-il subitement.

Il était bien connu qu’avec une combinaison correctement conçue, quand on survivait à l’explosion proprement dite ainsi qu’à l’onde de choc, on résistait également aux radiations. Mais Horza n’était pas si sûr que sa combinaison réponde à cette définition. Il lui manquait bon nombre d’instruments, et notamment un indicateur de radiations, ce qui, en soi, était mauvais signe. Mipp scruta un petit cadran sur le tableau de bord.

— Les radiations…, fit-il en secouant à nouveau la tête. Non, rien de grave de ce côté-là. Faible taux de neutrons… (Il grimaça de douleur.) Plutôt propre, comme bombe. Sûrement pas ce qu’escomptait ce salaud. Il devrait la ramener au magasin…

Mipp eut un petit rire étranglé, désespéré.

— Il faut y retourner, insista Horza.

Il s’efforça de se représenter Yalson fuyant la zone d’écrasement en bénéficiant d’une meilleure avance que Lamm et lui. Il voulait se convaincre qu’elle avait réussi, qu’elle s’était trouvée assez loin de la bombe au moment de l’explosion, et que le navire finirait par s’immobiliser une fois que le glacier de métal aurait progressivement ralenti pour enfin se figer. Mais comment s’échapperaient-ils du Mégavaisseau, elle et les autres, en admettant qu’ils aient survécu ? Il essaya le communicateur de la navette, mais le trouva aussi mort que celui de sa combinaison.

— Tu ne réussiras pas à les faire sortir de là, fit Mipp. On ne se relève pas d’entre les morts. Je les ai entendus ; la communication a été coupée au moment où je leur disais…

— Mipp, ils ont changé de canal, c’est tout. Tu n’as donc pas entendu Kraiklyn ? Ils sont passés sur une autre fréquence parce que Lamm gueulait sans arrêt.

Recroquevillé dans son siège, Mipp fit non de la tête.

— Je n’ai rien entendu de tel, déclara-t-il au bout d’un temps. Ce n’est pas ce que j’ai compris, moi. J’essayais de leur parler de la glace…, de leur décrire sa taille, sa hauteur. Non, Horza ; crois-moi, ils sont morts.

— Ils se trouvaient à bonne distance de nous, Mipp, répliqua posément Horza. Au moins un kilomètre. Ils en ont probablement réchappé, au contraire. S’ils étaient à l’abri, s’ils se sont mis à courir en même temps que nous… Ils étaient plus loin vers l’arrière. Ils sont sans doute vivants, Mipp. Il faut retourner les chercher.

— On ne peut pas faire ça. Je suis sûr qu’ils sont morts. Même Neisin. Il est allé faire un tour… après votre départ. J’ai dû décoller sans lui. Pas pu le prendre à bord. Non, ils sont morts, tous.

— Mipp, reprit le Métamorphe. Ce n’était pas une bombe atomique de forte puissance.

L’autre rit, puis poussa un gémissement.

— Et alors ? Tu n’as pas vu cet iceberg, Horza. Il était…

À ce moment-là la navette piqua du nez. Le Métamorphe se retourna rapidement vers l’écran, mais on y distinguait seulement le rougeoiement du nuage qu’ils traversaient de part en part.

— Oh, mon Dieu ! murmura Mipp. On est fichus.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Mais rien ne va, répondit l’autre avec un haussement d’épaules qui lui arracha une grimace. Je crois qu’on tombe, mais comme je n’ai plus ni altimètre, ni indicateur de vitesse, ni communicateur, ni instruments de navigation, rien… Si on est secoués, c’est à cause des trous dans la coque et des portes ouvertes.

— On perd de l’altitude ? fit Horza en le regardant.

— Oui. Tu veux commencer à lâcher du lest ? Eh bien vas-y. Jette tout ce que tu veux par-dessus bord. Ça nous fera toujours regagner un peu d’altitude.

La navette plongea à nouveau.

— Tu parles sérieusement ? demanda Horza en faisant mine de se lever.

L’autre opina.

— On tombe. Oui, je suis sérieux. Nom de nom, même si on rebroussait chemin on ne pourrait plus franchir le Mur-Limite, même si l’un de nous, ou les deux…

La voix de Mipp s’éteignit. Horza réussit à s’extraire de son siège et à repasser la porte.

L’habitacle passagers n’était que fumée, brume et vacarme. La même lueur diffuse pénétrait toujours par les portes arrière. Horza tenta d’arracher les sièges à la paroi, mais en vain. Il contempla alors le corps brisé et le visage noirci de Lénipobra. La navette piqua à nouveau du nez. L’espace d’une seconde, Horza sentit son poids décroître à l’intérieur de sa combinaison. Il attrapa le jeune défunt par le bras et le traîna jusqu’à la passerelle. Puis il le poussa par-dessus bord et, telle une coque vide, le cadavre s’enfonça dans la brume où il disparut bientôt. La navette gîta d’un côté, puis de l’autre, et faillit déséquilibrer Horza.

Il trouva quelques objets épars à jeter : un casque de combinaison surnuméraire, une cordelette, un harnais anti-g, un lourd trépied de mitraillette. Puis il mit la main sur un petit extincteur. Il regarda autour de lui mais ne vit aucune flamme ; d’autre part, la fumée ne s’épaississait pas. Il s’en empara et regagna la cabine de pilotage. Là aussi, la fumée semblait se dissiper.

— Comment on s’en sort ? s’enquit-il.

— Je ne sais pas. (Il désigna l’autre siège.) On peut le débloquer. Balance-le aussi.

Horza trouva les loquets qui le maintenaient fixé au sol, les défit et traîna le siège jusqu’à la passerelle ; là, il le jeta, ainsi que l’extincteur.

— Il y a un système de verrouillage sur les parois côté cabine, lança Mipp. (Un grognement de douleur, puis :) Il sert à détacher les sièges.

Horza localisa les attaches en question et poussa sur leurs rails muraux la première puis la seconde rangée de sièges, avec leurs sangles et leurs filets de sécurité, jusqu’à ce qu’elles s’engagent dans l’ouverture, rebondissent sur l’extrémité de la passerelle puis disparaissent en tournoyant dans la brume lumineuse. Il sentit la navette tanguer à nouveau.