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Non, cela ne l’étonnerait pas outre mesure. Peut-être testaient-ils tous les individus qu’ils évacuaient de Vavatch. Une seconde leur suffirait ; un échantillon cellulaire, un squame, un cheveu… On pouvait même supposer qu’il avait déjà été testé, par exemple au moyen d’un micromissile dépêché par la navette avec pour mission de prélever un fragment de tissu organique… Il laissa retomber sa tête ; les muscles de son cou le faisaient souffrir, comme tous les autres, comme la totalité de son corps malmené, meurtri, harassé.

Ça suffit, se morigéna-t-il. Assez pensé en termes d’échec. Cesse de t’apitoyer sur ton propre sort. Tire-toi plutôt de ce mauvais pas. Tu as encore tes dents et tes ongles… et aussi ton cerveau. Attends ton heure…

— Car, hélas ! roucoulait Fwi-Song, les êtres sans Dieu, les plus haïs de tous, indignes entre les indignes, les Athées, les Anathématiques nous ont envoyé cet instrument du Néant, du Vide… (Horza leva les yeux et le vit désigner la navette.) Mais notre foi ne faiblira pas ! Nous résisterons à la tentation du Néant qui règne entre les étoiles, domaine des êtres sans Dieu, des Anathématisés du Vide : Nous demeurerons partie de ce qui fait partie de nous ! Nous ne pactiserons pas avec le grand Blasphème de la Matérialité. Nous resterons à l’image du roc et de l’arbre : fermes, enracinés, solides, loyaux et à toute épreuve !

Les bras de Fwi-Song s’écartèrent à nouveau ; il s’exprimait à présent sur le mode tonitruant. L’homme à la voix bourrue, à la peau blême et sale, cria quelque chose à l’assistance, qui lui répondit sur le même ton. De l’autre côté du feu, le prophète sourit à Horza. La bouche de Fwi-Song était un trou noir d’où saillaient, quand ses lèvres souriaient, quatre petits crocs qui luisaient au soleil.

— Et c’est comme ça que vous traitez tous vos invités ? demanda Horza en essayant de ne pas tousser avant la fin de sa phrase.

Il s’éclaircit la gorge. Le sourire de Fwi-Song s’effaça.

— Tu n’es pas un invité, cadeau-de-la-mer, don-du-sel, mais une récompense : à nous de te garder, à moi de t’utiliser. Présent de la mer, du soleil et du vent, offert par le Destin. Hi-hi. (Le sourire de Fwi-Song réapparut, accompagné d’un gloussement de jeune fille, et une de ses grosses mains vint se poser sur ses lèvres pâles.) Le Destin reconnaît son prophète et lui fait parvenir de goûteuses gâteries ! Et juste au moment où certains membres de mon troupeau commençaient à douter, en plus ! N’est-ce pas, monsieur Premier ?

La tête-tourelle se tourna vers la silhouette filiforme de l’homme au visage pâle, qui se tenait, les bras croisés, auprès du géant. M. Premier hocha la tête.

— Le Destin est notre jardinier, dit-il, et notre loup. Il arrache les mauvaises herbes afin d’honorer les plus résistantes. Ainsi parle le prophète.

— Et la parole qui meurt dans la bouche survit dans l’oreille de celui qui la reçoit, ajouta Fwi-Song en retournant son énorme tête vers Horza.

Le prophète…, songea Horza. Au moins, je sais maintenant qu’il est de sexe mâle. Si cela peut m’être d’une quelconque utilité.

— Puissant prophète, reprit M. Premier. (Le sourire de Fwi-Song s’élargit, mais l’obèse ne quitta pas Horza des yeux. L’autre poursuivit :) Le don-de-la-mer devrait connaître le sort qui l’attend. Peut-être Vingt-septième, ce traître, ce lâche…

— Oh, oui ! (Fwi-Song frappa à nouveau dans ses mains et un sourire illumina son visage. L’espace d’une seconde, Horza crut distinguer de petits yeux blancs au fond des fentes tournées vers lui.) Oh, oui, oui ! Faites venir le lâche, que ce qui doit être soit à présent accompli.

M. Premier s’adressa d’une voix vibrante aux humains émaciés regroupés autour du feu. Quelques-uns se levèrent et disparurent derrière Horza, en direction de la forêt. Les autres se mirent à chanter et psalmodier.

Au bout de quelques minutes, le Métamorphe entendit un cri, suivi d’une série de hurlements, de glapissements de plus en plus rapprochés. Enfin les hommes revinrent avec un tronc d’arbre court et épais tout à fait comparable à celui auquel était attaché Horza. Un jeune homme y était suspendu et se balançait en se débattant tout en vociférant dans la même langue inconnue. Le Métamorphe vit la sueur et la salive dégoutter du visage du jeune homme pour aller ensuite souiller le sable. Le tronc d’arbre était épointé à une extrémité, celle qu’ils plantèrent dans le sol de l’autre côté du feu, de manière que les deux prisonniers se retrouvent face à face.

— Ceci, libation apportée par la mer et à moi destinée, dit Fwi-Song à Horza en indiquant le jeune homme qui, tremblant et gémissant, roulait des yeux fous et bavait, ceci est mon méchant garçon, baptisé Vingt-septième à sa seconde naissance. Il était l’un de nos fils très respectés et fort aimés, un des oints, un de nos frères-morceaux de choix, une de nos papilles-sœurs sur la vaste langue de la vie. (L’obèse gloussait tout en parlant, comme s’il se rendait compte de l’absurdité du rôle qu’il jouait mais ne pouvait s’empêcher d’en rajouter.) Cette écharde issue de notre arbre, ce grain de sable issu de notre plage, ce dépravé a osé courir vers le véhicule sept fois maudit envoyé par le Vide. Il a méprisé le fardeau dont nous lui avions fait cadeau afin de l’honorer ; il a choisi de nous abandonner et de fuir sur le sable quand l’ennemi venu d’ailleurs nous a survolés hier. Il n’a pas eu confiance en notre grâce salvatrice et a préféré se tourner vers un instrument de ténèbres et de néant, vers l’ombre macérée des êtres sans âme, les Anathématiques. (Fwi-Song contempla l’homme qui tremblait toujours contre son piquet sous les yeux de Horza, et son visage prit une expression sévère, chargée de reproche.) Par la grâce du Destin, le traître qui a fui nos rangs et mis en danger la vie de son prophète a été repris, afin qu’il prenne conscience de ses funestes égarements et fasse pénitence de son crime odieux.

Le bras de Fwi-Song retomba. Sa tête boursouflée opina.

M. Premier appela les êtres rassemblés autour du feu, qui se tournèrent vers le dénommé Vingt-septième et entonnèrent un chant. Les odeurs répugnantes revinrent piquer les yeux et les narines de Horza.

Pendant que les autres psalmodiaient sous le regard de l’obèse, M. Premier et deux des disciples femmes se mirent à fouir le sable pour en extraire deux sacs. Ils retirèrent de ceux-ci de minces bandelettes de tissu, dont ils entreprirent ensuite de recouvrir leurs corps. Tandis que M. Premier se parait, Horza aperçut une arme à projectiles d’allure assez encombrante glissée dans un baudrier de ficelle sous sa tunique crasseuse. Il en conclut que c’était avec cela qu’on avait tiré sur la navette, lorsqu’il avait survolé l’île avec Mipp.

Le jeune homme ouvrit les yeux, vit les trois individus enveloppés dans leurs bandelettes et se mit à crier.

— Vois comme l’âme éperdue réclame à grands cris son châtiment, comme elle supplie qu’on lui accorde le remords, la paix de la souffrance régénératrice, fit en souriant Fwi-Song, qui regardait Horza. Notre enfant Vingt-septième sait ce qui l’attend, et si son corps – dont la faiblesse a d’ores et déjà été révélée – se rompt dès avant la tempête, son âme, elle, s’écrie : « Oui ! Oui, puissant prophète ! Viens à mon secours ! Fais que je devienne partie intégrante de toi ! Accorde-moi ta force ! Viens à moi ! » N’est-ce pas là un son bien doux aux oreilles, bien ennoblissant pour l’âme ?