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Il examina la populace bigarrée qui attendait les navettes un peu à l’écart, puis se remémora une des pensées de Kraiklyn : le commandant jugeait qu’il avait déjà gaspillé trop d’argent. Alors il détourna les yeux et les reporta sur le reste de la foule.

Et il était bien là. Le commandant de la Turbulence Atmosphérique Claire se tenait debout, les bras croisés et les pieds écartés, sa combinaison à demi recouverte par une cape grise, dans une file de gens attendant qui un bus, qui un taxi, à trente mètres de Horza. Celui-ci plongea vers l’avant et se pencha jusqu’à se retrouver au niveau du visage du géant, qu’il voyait donc à l’envers.

— Merci. Vous pouvez me reposer, à présent.

— Je n’ai pas de monnaie, gronda l’autre en se baissant.

La vibration produite par sa voix traversa tout le corps de Horza.

— Ça ne fait rien. Gardez tout.

Il sauta des épaules du géant et fila vers sa cible en évitant les gens sur son passage.

Il consulta le terminal qu’il portait au poignet gauche : il restait deux heures et demie avant l’explosion finale. Horza traversa la cohue en se faufilant entre les gens, en les poussant et en s’excusant tour à tour. Il vit en chemin un grand nombre de personnes consulter leur montre, leur terminal ou leur écran ; il entendit beaucoup de petites voix synthétiques caqueter l’heure, et beaucoup de voix humaines la répéter d’un ton angoissé.

Enfin il atteignit la file d’attente. Étonnamment disciplinée, songea Horza avant de remarquer que, là aussi, des gardes y mettaient bon ordre. Kraiklyn était presque arrivé en tête de file, où un autobus finissait de se remplir. Survoleurs et véhicules de surface attendaient derrière lui. Un garde tenant un notécran vint poser une question au commandant de la TAC, qui répondit en lui désignant un des appareils.

Horza contempla la procession et l’estima à plusieurs centaines de personnes. S’il y prenait place, il perdrait Kraiklyn. Il regarda autour de lui, cherchant un autre moyen de le suivre.

Quelqu’un lui rentra violemment dans le dos ; des cris et des voix s’élevèrent et, en se retournant pour voir ce qui se passait, le Métamorphe découvrit une pléiade d’individus vêtus de couleurs vives. Une femme masquée portant une robe argentée très moulante vociférait à l’adresse d’un petit homme aux longs cheveux dont l’habillement se composait en tout et pour tout de bandelettes vert foncé entrecroisées sur son corps, et qui la regardait d’un air perplexe. Elle lui lançait des hurlements incohérents, et se mit tout à coup à le gifler ; sous le regard des badauds, il battit en retraite en secouant la tête. Horza s’assura qu’on ne lui avait rien volé au moment du choc, puis chercha à nouveau un moyen de transport quelconque, un taxi vendant ses services à la criée.

Un aéro passa au-dessus de leurs têtes en lâchant une pluie de tracts rédigés dans une langue que Horza ne comprenait pas.

— … Sarble, dit à son compagnon un homme à la peau transparente au moment où tous deux sortaient tant bien que mal de la cohue et passaient à côté de Horza.

Tout en marchant, le premier s’efforçait de consulter un petit écran de terminal, et Horza entr’aperçut une chose qui le stupéfia. Il régla son propre terminal sur le même canal.

Il avait apparemment sous les yeux une vue de l’incident auquel il avait assisté dans l’auditorium, quelques heures plus tôt : la petite émeute qui avait éclaté sur la terrasse au-dessus de la sienne lorsque, selon la rumeur, Sarble l’Œil s’était fait prendre par les gardes. Horza fronça les sourcils et regarda son écran de plus près.

C’était bien le même endroit, le même incident ; celui qui avait filmé la scène se trouvait pratiquement au même endroit et à la même distance que lui-même sur le moment. Il grimaça et s’efforça de scruter l’écran, de saisir d’où cette image avait bien pu être prise. Puis elle disparut, et fut remplacée par divers instantanés représentant des créatures d’apparence excentrique en train de prendre du bon temps dans l’auditorium tandis que la partie de Débâcle suivait son cours en arrière-fond.

… Si je m’étais levé, songea Horza, si je m’étais rapproché un tant soit peu…

C’était la femme.

La femme aux cheveux blancs qu’il avait vue tout en haut de l’arène et qui manipulait sans arrêt son diadème. Elle se tenait sur sa terrasse, tout près de sa chaise longue à lui quand l’incident s’était produit. C’était elle, Sarble l’Œil. Sans doute le diadème recelait-il un appareil photo, sans doute l’homme qu’on avait arrêté n’était-il qu’un leurre, un agent.

Horza éteignit son écran. Il eut un sourire, puis secoua la tête comme pour chasser de ses pensées cette petite révélation qui ne lui était d’aucune utilité. Il fallait qu’il trouve un moyen de transport.

Il s’engagea d’un pas pressé dans la foule en se faufilant entre attroupements et files, cherchant du regard un véhicule libre, une porte ouverte, les yeux électroniques d’un taxi racoleur. Il entrevit la file d’attente où se trouvait Kraiklyn. Ce dernier se tenait devant la porte ouverte d’un véhicule de surface rouge et parlementait avec le chauffeur ainsi que deux autres personnes qui attendaient dans la queue.

Horza se sentait gagné par l’écœurement. Il se mit à transpirer. Il aurait voulu ruer, écarter de son chemin tous ceux qui se pressaient autour de lui. Puis il repartit en sens inverse. Décidément, il lui faudrait soudoyer quelqu’un pour pouvoir prendre place à la tête de la file où se trouvait Kraiklyn. Il n’en était plus qu’à cinq mètres lorsque celui-ci cessa de se disputer avec les autres et monta dans le taxi, qui s’éloigna aussitôt. Horza le suivit du regard, sentit le cœur lui manquer et serra les poings. À ce moment-là il aperçut la femme aux cheveux blancs. Elle portait un grand manteau bleu, mais sa capuche glissa comme la femme s’extrayait de la foule au bord du trottoir, où un homme de haute taille la prit par les épaules et fit un signe en direction de l’esplanade. Elle rabattit promptement sa capuche sur ses yeux.

Horza plongea la main dans sa poche et la referma sur son arme. Puis il s’avança vers le couple… juste au moment où un aéroglisseur noir mat aux courbes gracieuses surgissait de nulle part et, dans un sifflement, venait s’arrêter devant eux. La porte située sur son flanc pivota sur ses gonds et la femme qui n’était autre que Sarble l’Œil se pencha pour la franchir ; Horza s’avança promptement et lui tapota l’épaule. Elle se retourna brusquement. Son compagnon fit un pas vers Horza, qui pointa visiblement son arme à travers le tissu de sa poche. Voyant cela, l’autre s’immobilisa, hésitant ; la femme se figea, un pied dans l’encadrement de la porte.