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Horza voulut parler, mais tout à coup sa gorge était sèche. Il n’en croyait pas ses yeux. Ses lèvres remuèrent, et il les humecta d’un coup de langue, qui elle aussi lui parut sèche. La femme fit mine de se lever de table, mais d’un geste de la main il lui intima l’ordre de rester où elle était. Alors elle se rassit lentement, et il réussit à articuler :

— Tout va bien. À plus tard. Vous… vous restez là pour le moment.

Puis il se détacha du chambranle et revint d’un pas mal assuré vers la cabine de Kraiklyn. Sa bague s’ajusta dans l’orifice de la porte, qui s’ouvrit toute grande. Le Métamorphe faillit s’écrouler dans la pièce.

Dans un état proche de la transe, il referma la porte et resta un instant immobile, les yeux rivés à la cloison qui lui faisait face ; puis, lentement, il s’assit par terre.

Il avait conscience d’être encore un peu sonné, il savait que sa vision restait floue, qu’il n’entendait toujours pas très bien. Il se rendait bien compte que la chose était vraiment peu probable, et que s’il ne se trompait pas, les événements prenaient décidément une bien mauvaise tournure pour lui.

Mais il était sûr, absolument sûr de son fait. La même certitude qu’il avait éprouvée en voyant Kraiklyn monter la rampe inclinée menant à la table de Débâcle, là-bas, dans l’arène.

Comme s’il n’avait pas subi assez de chocs pour la soirée, le spectacle de cette femme assise à la table du mess avait réussi à le rendre muet et à paralyser son esprit. Qu’allait-il faire maintenant ? Il se sentait incapable de réfléchir. Le traumatisme continuait de résonner dans sa tête ; et l’image en restait obstinément imprimée sur sa rétine.

La femme du mess était Pérosteck Balvéda.

8. Finalités de l’Invention

C’est peut-être un clone, songea Horza. Une coïncidence. Il était assis par terre dans la cabine de Kraiklyn – maintenant la sienne –, et regardait fixement les portes du placard mural, au fond de la pièce. Il avait conscience de devoir agir, mais n’arrivait pas à savoir en quel sens. Son cerveau refusait d’encaisser davantage de coups et de chocs. Le Métamorphe avait besoin de se poser un moment pour réfléchir.

Il essaya bien de se dire qu’il avait mal vu, que ce n’était pas réellement elle, qu’il était fatigué, désorienté, qu’il devenait paranoïaque et commençait à s’imaginer des choses. Mais il savait pertinemment que c’était Balvéda ; sous une forme suffisamment altérée pour que seul un ami intime, ou alors un Métamorphe, puisse la reconnaître, mais c’était assurément elle, bien vivante et probablement armée jusqu’aux dents…

Il se leva machinalement, le regard fixe. Puis il ôta ses vêtements mouillés et sortit de la cabine pour se diriger vers la salle d’eau, où il les mit à sécher avant de se laver minutieusement. De retour dans sa cabine, il trouva une tunique, qu’il enfila. Ensuite il entreprit d’inspecter la petite chambre tout encombrée et finit par mettre la main sur un enregistreur vocal. Il rembobina la bande et se mit à écouter.

— … euh…, y compris…, euh, Yalson. (La voix de Kraiklyn sortit du petit haut-parleur.) Qui à mon avis était, euh… occupée avec euh…, Horza Gobuchul. Elle… se montre plutôt brusque ces temps-ci et… je ne reçois pas d’elle le soutien qu’elle…, que je devrais recevoir… Il faudra que je lui dise un mot si ça continue, mais euh…, pour le moment, avec les réparations et tout ça…, il ne me paraît pas utile de… Ce n’est pas que je remette au lendemain, mais…, enfin, je me dis simplement qu’on verra bien comment elle se comporte après l’explosion de l’Orbitale, une fois qu’on sera en route.

« Euh…, il y a aussi cette nouvelle…, Gravante… Pas mal. J’ai comme l’impression qu’elle a besoin de recevoir des ordres…, besoin d’autorité, de discipline… Je ne crois pas qu’elle puisse entrer…, euh…, en conflit avec les autres. C’est surtout Yalson qui…, euh…, qui m’inquiétait, mais je ne pense pas que…, enfin, je crois que tout ira bien. Évidemment, avec les femmes, euh…, on ne peut jamais savoir mais…, elle me plaît… Il me semble qu’elle a de la classe et peut-être… Je ne sais pas… Peut-être qu’elle ferait un bon second, si elle fait ses preuves.

« Il me faut vraiment davantage de membres. Euh…, ça ne s’est pas très bien passé ces derniers temps, mais je crois que je me suis fait… enfin, qu’ils m’ont laissé tomber. Jandraligeli, de toute évidence… et puis je ne sais pas ; je vais voir s’il n’y a pas quelque chose à faire de ce côté-là parce que… il s’est quand même comporté en…, enfin il m’a trahi, quoi. C’est comme ça que…, euh…, que les choses se sont passées, il me semble. N’importe qui s’en rendrait compte. Alors je vais peut-être dire un mot à Ghalssel, une fois au jeu, en supposant qu’il y vienne… Je ne crois pas que ce type soit vraiment à la hauteur, et je vais le dire à Ghalssel parce qu’on est tous les deux…, dans la même, euh…, partie, et je suis… Je sais qu’il en aura entendu parler… Enfin, il écoutera ce que j’ai à dire, parce qu’il sait ce que c’est que les responsabilités de commandant autant que… enfin, euh…, autant que moi.

« Bref… Après le jeu, je ferai un peu de recrutement, et une fois que le VSG aura décollé, il restera un peu de temps… On devra rester encore un peu dans ce dock ; je ferai passer le mot. Il y a forcément… un tas de gens prêts à s’engager… Ah ! oui. Faut pas que j’oublie, pour la navette, demain. Je suis sûr de pouvoir faire baisser le prix. Euh, évidemment…, si ça se trouve, je vais gagner au jeu… (Dans le haut-parleur, la voix se mit à rire ; un faible écho métallique s’éleva.) Me retrouver invraisemblablement riche, et… (de nouveau ce rire distordu) j’en aurai plus rien à foutre de toute cette merde… Ha ! Je la donnerais, la TAC… Enfin, je la vendrais…, et je prendrais ma retraite… Enfin, on verra…

La voix s’affaiblit. Le silence revint. Horza éteignit l’enregistreur, le remit où il l’avait trouvé et frotta sa bague contre le petit doigt de sa main droite. Puis il enleva sa tunique et enfila sa combinaison – sa combinaison à lui ! – qui se mit instantanément à lui parler ; il lui ordonna d’éteindre son circuit vocal.

Horza contempla son reflet dans le champ inverseur des portes du placard, se redressa, s’assura que le pistolet à plasma sanglé contre sa cuisse était bien armé, refoula sa lassitude et ses douleurs dans un coin de son esprit et sortit de la cabine. Puis il remonta la coursive jusqu’au mess.

Yalson et la femme qui se faisait appeler Gravante bavardaient tout au bout de la table, sous l’écran pour le moment éteint. Elles levèrent les yeux à son arrivée. Horza alla les rejoindre et prit un siège non loin de Yalson, qui remarqua sa combinaison et dit :

— On va quelque part ?

— Possible. (Il lui jeta un bref coup d’œil avant de reporter son attention sur Balvéda et, souriant, de reprendre à l’intention de celle-ci :) Désolé, Gravante, mais j’ai réexaminé votre candidature et je suis obligé de la refuser. Je regrette, mais il n’y a pas de place pour vous sur la TAC. J’espère que vous comprenez.

Il joignit les mains sur la table et sourit à nouveau. Balvéda – plus il la regardait et plus il était certain qu’il s’agissait bien d’elle – avait l’air toute déconfite. La mâchoire légèrement pendante, elle regardait alternativement Horza et Yalson. Cette dernière avait les sourcils froncés à l’extrême.

— Mais…, commença Balvéda.

— Qu’est-ce qui te prend ? coupa Yalson avec colère. Tu ne vas tout de même pas…