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— Voyez-vous, reprit Horza en souriant, j’ai décidé qu’il nous fallait réduire le nombre de personnes à bord, et…

— Quoi ? explosa Yalson en abattant sa paume à plat sur la table. Nous ne sommes déjà plus que six ! Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse, à six ? (Sa voix s’éteignit, puis reprit plus lentement, un ton plus bas :) Mais peut-être avons-nous eu un coup de chance dans…, mettons, un jeu de hasard, par exemple, auquel cas nous ne serions pas disposés à partager en plus de parts que nécessaire ?

À nouveau Horza jeta un bref coup d’œil à Yalson, puis sourit et répondit :

— Non, mais vois-tu, je viens de réembaucher un de nos ex-membres, ce qui modifie quelque peu mes plans… La place que je réservais à Gravante est désormais prise.

— Tu as fait revenir Jandraligeli, après la façon dont tu l’as traité ? ironisa Yalson en s’appuyant contre son dossier.

Horza secoua négativement la tête.

— Non, ma chère. Comme j’aurais pu te l’apprendre si tu ne m’avais pas constamment coupé la parole, je viens de retrouver à Évanauth notre ami M. Gobuchul, qui a hâte de nous rejoindre.

— Horza ?

Yalson parut frémir imperceptiblement ; la tension perçait dans sa voix, et il vit qu’elle s’efforçait de se maîtriser. Ô dieux, fit une petite voix dans sa tête, pourquoi est-ce que ça fait mal à ce point ? Puis Yalson reprit :

— Il est vivant ? Tu es sûr que c’était bien lui ? Kraiklyn, est-ce que tu en es vraiment sûr ?

Le regard de Horza passait rapidement d’une femme à l’autre. Yalson était penchée au-dessus de la table, les yeux brillants sous l’éclairage du mess, les poings serrés. Son corps mince était tout contracté, le duvet doré qui recouvrait sa peau sombre luisait. Balvéda, elle, semblait déroutée. Horza la vit se mordre la lèvre inférieure, puis se reprendre.

— Je ne plaisanterais pas avec toi sur ce point, Yalson, l’assura-t-il. Horza est bien vivant, et pas très loin d’ici. (Il consulta sur le poignet de sa combinaison l’écran qui affichait l’heure.) D’ailleurs, je dois le retrouver dans une des sphères d’accueil du port dans… enfin, juste avant le départ du VSG. Il a déclaré qu’il avait d’abord deux ou trois choses à régler en ville. Il m’a demandé de te dire… euh… qu’il espérait que tu pariais toujours sur lui… (Un haussement d’épaules.) Ou quelque chose dans ce goût-là.

— Alors ce n’était pas une blague ! s’écria Yalson. (Un sourire plissa son visage. Elle secoua la tête, passa la main dans ses cheveux puis frappa deux ou trois fois la table du plat de la main.) Ça alors…, reprit-elle.

Puis elle se laissa de nouveau aller en arrière dans son siège et, muette, regarda tour à tour ses deux compagnons en haussant les épaules.

— Vous comprenez donc, Gravante, que nous n’avons pas besoin de vous pour le moment, dit Horza à Balvéda.

L’agent de la Culture ouvrit la bouche, mais ce fut Yalson qui parla la première. Elle toussa rapidement puis lança :

— Oh, laisse-la rester, Kraiklyn. Ça ne fait pas grande différence.

— La grande différence, Yalson, énonça Horza avec soin, en se pénétrant de la personnalité de Kraiklyn, c’est que c’est moi le commandant de bord, ici.

Yalson parut sur le point de répliquer, mais se ravisa et se tourna vers l’autre femme en ouvrant les deux mains d’un geste impuissant. Puis elle se rassit et se mit à tripoter le rebord de la table, les yeux baissés. Elle s’efforçait manifestement de réprimer un sourire de joie.

— Eh bien, comme vous voudrez, commandant, déclara Balvéda en se levant. Je vais chercher mes affaires.

Elle sortit sans attendre. Le bruit de ses pas se fondit à d’autres bruits de pas ; Horza et Yalson entendirent des voix étouffées. Un instant plus tard entraient pêle-mêle dans le réfectoire Dorolow, Wubslin et Aviger. Vêtus de couleurs gaies, ils avaient les joues enflammées et l’air réjoui ; le plus âgé des deux hommes entourait les épaules de la petite femme dodue.

— Voilà notre commandant ! s’exclama Aviger. (Dorolow sourit ; elle serrait une de ses mains, posée sur son épaule à elle. Wubslin salua d’un air rêveur ; l’ingénieur avait l’air ivre.) Je vois qu’on a joué au petit soldat, poursuivit Aviger en regardant fixement le visage de Horza, qui portait encore des traces de bagarre, bien qu’il ait mis à profit toutes ses ressources internes pour minimiser les dégâts.

— Qu’est-ce qu’elle a fait, Gravante ? demanda Dorolow de sa petite voix flûtée.

Elle aussi paraissait enjouée, et sa voix était encore plus aiguë que dans son souvenir.

— Rien du tout, répondit Horza en souriant aux trois mercenaires. Seulement, comme on récupère Horza Gobuchul d’entre les morts, j’ai décidé qu’on n’avait plus besoin d’elle.

— Horza ? fit Wubslin en laissant pendre sa mâchoire avec une expression de surprise presque exagérée.

Le regard de Dorolow se détacha de lui pour se porter sur Yalson, l’air de dire : « C’est vrai ? » derrière son sourire. Cette dernière se borna à hausser les épaules en posant un regard heureux et plein d’espoir encore que légèrement teinté de méfiance sur l’homme qu’elle prenait pour Kraiklyn.

— Il embarquera peu de temps avant le départ du Finalités, reprit Horza. Il avait affaire en ville. J’ignore de quoi il s’agit, mais c’est peut-être un peu louche. (Il imita le sourire condescendant que Kraiklyn se permettait parfois.) Qui sait ?

Là, vous voyez ! fit Wubslin en essayant tant bien que mal de fixer son regard sur Aviger, au-dessus de la silhouette voûtée de Dorolow. Peut-être que ce type cherchait bien Horza, après tout. On devrait l’avertir.

— Quel type ? Où ça ? s’enquit Horza.

— Il a des visions, répondit Aviger en agitant la main. Il boit trop de vin-de-foie.

— Sornettes ! fit Wubslin d’une voix forte, en regardant alternativement Aviger et Horza et en hochant la tête. Et il y avait un drone, aussi. (Il éleva ses mains jointes à hauteur de son visage, puis les écarta d’environ vingt-cinq centimètres.) Un petit engin pas plus grand que ça.

— Mais où ? interrogea Horza en secouant la tête. Qu’est-ce qui te fait croire qu’on en a après Horza ?

— Là-dehors, sous le transtube, l’informa Aviger tandis que Wubslin disait :

— Rien qu’à le voir sortir de la capsule comme s’il s’attendait à devoir se battre d’une seconde à l’autre… Oh ! je sais bien les reconnaître, allez… Ce type… il faisait partie de la police… ou quelque chose dans ce genre…

— Et Mipp ? demanda Dorolow. (Le front barré d’un pli soucieux, Horza observa quelques secondes de silence sans regarder personne en particulier.) Est-ce que Horza t’a parlé de lui ?

— Mipp ? fit-il en la regardant. Non. (Il secoua la tête.) Non, Mipp ne s’en est pas tiré.

— Oh, je suis navrée, dit Dorolow.

— Écoutez, reprit Horza en s’adressant à Aviger et Wubslin. D’après vous, il y a quelqu’un là dehors qui recherche l’un d’entre nous, c’est ça ?

— Un homme, acquiesça lentement Wubslin. Avec un tout petit drone à l’air très méchant.

Dans un frisson, Horza se rappela l’insecte qui s’était brièvement posé sur son poignet dans le minidock juste avant qu’il n’embarque à bord de la TAC. La Culture, il ne l’ignorait pas, possédait des machines aussi petites que cela. Des insectes artificiels.

— Hmm…, proféra-t-il en faisant la moue. (Il hocha la tête d’un air pensif, puis releva les yeux sur Yalson.) Va t’assurer que Gravante quitte bien le bord, et en vitesse, d’accord ? (Il se leva et s’écarta pour lui laisser le passage. Elle s’engagea dans la coursive des cabines. Puis il regarda Wubslin et lui fit comprendre qu’il devait s’avancer vers la passerelle.) Vous deux, vous restez là, fit-il tout bas à l’intention d’Aviger et Dorolow.