Ceux-ci se séparèrent lentement et se choisirent des sièges, tandis que Horza prenait à son tour le chemin de la passerelle.
Il indiqua à Wubslin le siège du mécanicien et s’installa dans celui du pilote. L’ingénieur soupira profondément. Horza ferma la porte, puis se remémora rapidement tout ce qu’il avait assimilé des procédures de pilotage pendant ses quelques semaines de séjour à bord. Il était sur le point de brancher les canaux du communicateur lorsque quelque chose remua sous le tableau de bord, près de ses pieds. Il se figea.
Wubslin s’efforça de voir ce qui se passait, puis se plia en deux avec tant de difficulté que cela lui arracha un grognement et passa sa grosse tête entre ses jambes. Horza capta au passage des relents d’alcool.
— Tu n’as donc pas encore fini ? fit la voix étouffée de l’ingénieur.
— On m’avait assigné une autre tâche ; je viens seulement de rentrer, geignit une petite voix artificielle aux intonations flûtées.
Horza se plaqua en arrière contre le siège et coula un regard sous le tableau de bord. Un drone d’une taille inférieure de deux tiers à celui qui l’avait escorté depuis l’ascenseur jusqu’au dock s’efforçait de se dégager d’un enchevêtrement de câbles très fins dépassant d’une trappe d’inspection.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Horza.
— Oh, répondit Wubslin avec lassitude. (Il éructa.) C’est le même que l’autre fois, tu ne te rappelles pas ? Allez, toi, reprit-il à l’intention de la machine. Le commandant veut faire un test de communications.
— Écoutez, rétorqua la machine de sa voix synthétique à présent empreinte d’exaspération, j’ai fini. Je suis simplement en train de tout remettre en ordre.
— Oui, eh bien accélère un peu le mouvement, d’accord ? lança Wubslin. (Sa tête ressortit de dessous le tableau de bord, et il regarda Horza d’un air penaud.) Désolé, Kraiklyn.
— Ça ne fait rien, ça ne fait rien. (Horza agita la main, puis brancha le communicateur.) Euh…, fit-il. (Il se tourna vers l’ingénieur.) Qui est-ce qui contrôle la circulation, ici ? Je ne sais plus à qui il faut s’adresser. Comment je fais pour obtenir l’ouverture des portes du dock ?
— La circulation ? L’ouverture des portes ? (Wubslin enveloppa Horza d’un regard perplexe. Puis il haussa les épaules et répondit :) Ma foi, ça s’appelle simplement Contrôle de circulation ; comme quand on est arrivés, quoi.
— Ah, oui. (Horza bascula un interrupteur sur le tableau de bord et déclara :) Allô, Contrôle de circulation ? Ici…
Il s’interrompit. Il ignorait quel faux nom Kraiklyn avait pu donner à la TAC. Ce dernier ne figurait pas parmi les informations qu’il avait déjà recueillies ; c’était d’ailleurs une des mille choses qu’il s’était promis de rechercher une fois expédiée la tâche la plus urgente, à savoir l’expulsion de Balvéda qui, avec un peu de chance, suivait maintenant une fausse piste. Mais en apprenant que quelqu’un le cherchait dans le dock – ou le cherchait tout court, d’ailleurs –, il avait été sérieusement secoué.
— … Ici l’appareil stationné dans le dock 27492. Je demande l’autorisation immédiate de décoller. Nous voulons quitter l’Orbitale par nous-mêmes.
Wubslin regardait fixement Horza.
— Ici Contrôle de circulation, Port d’Évanauth, section temporaire VSG. Un instant, Minidock 27492, firent les haut-parleurs intégrés aux appuie-tête de leurs sièges.
Horza se tourna vers Wubslin tout en coupant l’émetteur du communicateur.
— Ce rafiot est bien prêt à décoller, j’espère ?
— Qu’est-ce que tu… ? Décoller… ? (L’ingénieur eut l’air abasourdi. Il se gratta la poitrine, baissa les yeux sur le drone qui continuait à repousser les câbles sous le tableau de bord et répondit :) Ma foi, je suppose que oui, mais…
— Parfait.
Le Métamorphe entreprit de tout mettre en marche, y compris les moteurs. Il remarqua que les écrans du laser de proue s’allumaient en même temps que les autres. Kraiklyn avait au moins fait réparer ça.
— Voler ? répéta Wubslin, qui recommença à se gratter, puis regarda à nouveau Horza. Tu as bien dit « décoller » ?
— En effet. On s’en va.
Les mains de Horza passaient rapidement d’un capteur à l’autre, réglant les différentes fonctions du vaisseau comme s’il faisait réellement cela depuis des années.
— Il va nous falloir un remorqueur…, commenta Wubslin.
Il avait raison. Horza le savait. Le système antigravité de la TAC était juste assez puissant pour produire un champ interne ; étant donné la proximité de la formidable masse du VSG (ou plutôt, étant donné qu’ils étaient à l’intérieur même de celui-ci), leurs unités-gauchissement exploseraient, et il n’était pas raisonnable de vouloir employer les moteurs à fusion dans un espace clos.
— On va en trouver un. Je vais leur dire que c’est une urgence. Que nous avons une bombe à bord, quelque chose dans ce style.
Horza vit s’allumer l’écran principal, qui afficha tout à coup, sur la cloison jusque-là vierge qui leur faisait face, une vue du fond du Minidock.
Wubslin appela sur son propre moniteur un graphique très complexe que le Métamorphe finit par identifier : c’était un plan de l’étage où ils étaient amarrés, à l’intérieur du gigantesque Finalités de l’Invention. Il ne fit tout d’abord que jeter un coup d’œil au plan, puis abandonna bientôt l’écran principal pour se concentrer sur lui ; finalement, il afficha sur le grand écran un holo représentant toute la disposition interne du VSG, et mémorisa rapidement tout ce qu’il pouvait.
— Qu’est-ce que… ? (Wubslin marqua une pause, éructa à nouveau, se frotta le ventre à travers sa tunique et reprit :) Qu’est-ce qu’on fait pour Horza ?
— On reviendra le chercher plus tard, répondit le Métamorphe en étudiant le plan du VSG. On s’est mis d’accord sur une solution de rechange au cas où je ne pourrais pas le retrouver comme prévu. (Il ralluma le transmetteur.) Appel à Contrôle de circulation, appel à Contrôle de circulation. Ici Minidock 27492. Il me faut une autorisation de décoller immédiate. Je répète, autorisation de décoller immédiate, ainsi qu’un remorqueur d’urgence. J’ai un générateur à fusion en dysfonctionnement que je ne peux pas couper. Je répète, panne de générateur à fusion nucléaire, de plus en plus critique.
— Quoi ! piailla une petite voix.
Horza ressentit un choc au genou, et le drone qui travaillait sous le tableau de bord apparut en vacillant dans les airs, tout festonné de câbles. On aurait dit quelque fêtard couvert de serpentins.
— J’ai bien entendu ? dit la machine.
— Ferme-la et débarque immédiatement. Allez ! lança Horza en augmentant le volume des circuits récepteurs. Un fort chuintement emplit la passerelle.
— Avec plaisir ! fit le drone en se secouant pour se débarrasser des câbles qui ficelaient sa coque. Comme toujours, je suis le dernier à savoir ce qui se passe, mais, de toute façon, je n’ai aucune intention de m’attarder dans les parages de ce…, marmonnait-il au moment où les lumières du hangar s’éteignirent.
Horza crut tout d’abord que l’écran faisait des siennes, mais en descendant un peu dans le spectre, il fit réapparaître une vue à peine perceptible du dock, qui se profilait maintenant dans l’infrarouge.