Sur quoi il fit volte-face et partit en direction du mess. Tout à coup, il entendit cliqueter l’arme.
— Kraiklyn, fit Yalson.
Il s’arrêta et fit une nouvelle fois demi-tour. Elle tenait l’arme à deux mains et le visait à hauteur des yeux. Horza soupira et secoua la tête.
— Ne fais pas ça.
— Parle-moi un peu de Horza.
— Il est en sécurité. Je te le jure. Mais il mourra si on ne s’en va pas d’ici tout de suite. Ou si elle se réveille, ajouta-t-il en indiquant d’un mouvement de tête la silhouette inerte de Balvéda.
Puis il repartit vers le mess en sentant sur sa nuque un désagréable chatouillement d’appréhension. Mais il n’arriva rien. Toujours assise à la table du mess, Dorolow leva les yeux sur son passage et demanda :
— Qu’est-ce que c’était que ce chahut ?
— Quel chahut ? demanda Horza en poursuivant son chemin vers la passerelle.
Pendant tout ce temps, Yalson ne quitta pas des yeux le dos de l’homme en qui elle croyait voir Kraiklyn, qui adressa au passage quelques mots à Dorolow, puis disparut au fond du réfectoire. Alors elle abaissa lentement l’étourdisseur et le laissa pendre au bout de ses doigts. Elle contempla pensivement l’arme en disant à voix basse :
— Yalson, ma fille, il y a des fois où je te trouve un peu trop loyale.
Elle releva son arme : la porte de la cabine s’entrouvrait. Une petite voix demanda :
— Est-ce que le danger est écarté maintenant ?
Yalson fit la grimace, ouvrit la porte d’une poussée et regarda le drone battre en retraite à l’intérieur de la cabine. Puis elle lui montra Balvéda et dit :
— Sors de là et aide-moi donc à transporter ce corps, espèce de mécanisme sans tripes.
— Réveille-toi !
Horza donna un coup de pied dans les jambes de Wubslin en se réinstallant dans son siège. Aviger occupait le troisième fauteuil de la passerelle et scrutait anxieusement les écrans et cadrans. Wubslin sursauta, puis promena tout autour de lui un regard incertain.
— Hein ? fit-il. (Puis, au bout d’un temps :) Je reposais mes yeux, c’est tout.
Horza tira les commandes manuelles de la TAC de la trappe du tableau de bord où elles étaient logées. Aviger les considéra d’un air craintif.
— Dis-moi, ce coup sur la tête que tu as pris…
Horza lui sourit froidement. Il étudia les écrans aussi vite qu’il put, puis bascula le commutateur des moteurs à fusion. Il essaya une nouvelle fois d’entrer en contact avec le Contrôle de circulation. Le Minidock était toujours plongé dans le noir. La jauge de pression extérieure indiquait zéro. Wubslin parlait tout seul en vérifiant les circuits de contrôle.
— Aviger, dit Horza sans regarder le vieil homme, je crois que tu ferais mieux de t’attacher.
— Pour quoi faire ? demanda l’autre d’une voix tranquille, mesurée. On ne peut aller nulle part. On ne peut même pas bouger. On est bloqués ici jusqu’à l’arrivée du remorqueur, non ?
— Mais oui, bien sûr, répondit Horza en ajustant les réglages des moteurs à fusion, puis en basculant en position automatique les contrôles des pieds sur lesquels reposait le navire. (Il se retourna vers Aviger.) Écoute, va donc récupérer le fourre-tout de la nouvelle recrue. Descends-le dans le hangar et jette-le dans un vactube.
— Quoi ? (Aviger fronça les sourcils, et son visage déjà tout ridé se plissa encore davantage.) Je croyais qu’elle nous quittait.
— C’est vrai, mais ceux qui veulent nous empêcher de partir ont commencé à faire le vide dans le Minidock avant qu’elle ait pu débarquer. Maintenant, je veux que tu prennes son fourre-tout ainsi que les affaires qu’elle a pu laisser traîner, et que tu balances tout ça dans un vactube, c’est compris ?
Aviger se leva lentement. Il tournait vers Horza un visage tendu et inquiet.
— Très bien. (Il se dirigea vers la sortie, puis hésita et jeta un regard en arrière.) Kraiklyn, pourquoi suis-je censé faire ça ?
— Parce que le fourre-tout en question contient presque à coup sûr une bombe très puissante, voilà pourquoi. Et maintenant, magne-toi !
Aviger hocha la tête et s’en alla, l’air encore plus contrarié. Horza revint aux commandes. De ce côté-là, on était presque prêts. Wubslin parlait tout seul et ne s’était pas encore attaché correctement en vue du décollage, mais il avait l’air de tenir son rôle avec une certaine compétence en dépit de fréquentes éructations et pauses destinées à lui permettre de se gratter la poitrine et la tête. Horza se rendit compte qu’il retardait le moment d’aborder l’étape suivante, mais il fallait pourtant bien en passer par là. Il appuya sur le bouton d’identification.
— Ici Kraiklyn, énonça-t-il.
Il toussa.
— Identification correcte, répondit instantanément le tableau de bord.
Horza eut envie de hurler, ou au moins de s’affaisser dans son siège sous le coup du soulagement, mais il n’avait pas de temps à perdre avec ça ; et puis, Wubslin se serait posé des questions. Ainsi d’ailleurs que l’ordinateur de bord : certaines machines étaient programmées pour repérer d’éventuelles manifestations d’euphorie ou autres soupirs de soulagement en fin d’identification. Il ne fit donc rien pour marquer le coup, et se borna à faire monter la température du dispositif d’amorce des moteurs à fusion jusqu’au niveau opérationnel.
— Commandant ! (Le petit drone entra en trombe dans la passerelle et s’arrêta entre Wubslin et Horza.) Vous allez me laisser débarquer immédiatement afin que je puisse signaler les irrégularités que j’ai constatées à bord de ce vaisseau, sinon…
— Sinon quoi ? interrogea Horza en surveillant la brusque élévation de température dans les moteurs à fusion de la TAC. Si tu crois pouvoir quitter le navire, je ne t’empêche pas d’essayer, bien au contraire. Mais en admettant que tu y parviennes, il est probable que des agents de la Culture te réduiraient aussitôt en poussière.
— Des agents de la Culture ? fit la petite machine avec dans la voix un soupçon de raillerie. Commandant, je vous rappelle que ce VSG est un vaisseau civil, démilitarisé, placé sous le contrôle des autorités de Vavatch Central aux termes des Accords de Conduite en Temps de Guerre, accords Idirans-Culture passés peu après le début des hostilités. Je ne vois donc pas comment…
— Dans ce cas, qui a éteint les lumières et laissé s’échapper l’air du dock, crétin ? demanda Horza en se tournant brièvement vers la machine.
Puis il reporta son attention sur le tableau de bord, régla au maximum la puissance du radar de proue et étudia les signaux renvoyés par le mur vierge situé au fond du Minidock.
— Je suis mal placé pour le savoir, mais je ne vois pas très bien comment il pourrait s’agir d’agents de la Culture. Et d’après vous, après qui ou après quoi en auraient-ils, ces fameux agents ? Après vous ?
— Et pourquoi pas ? répondit Horza.
Il se reporta à nouveau à l’affichage holo reproduisant la disposition interne du VSG et opéra un bref agrandissement de la zone entourant le Minidock 27492 avant d’éteindre l’écran répéteur. Le drone resta silencieux une seconde, puis recula dans l’encadrement de la porte.
— Ah, bravo ! Me voilà bouclé à l’intérieur d’une antiquité en compagnie d’un cinglé paranoïaque. Je crois que je vais partir en quête d’un endroit plus sûr.
— C’est ça ! lança Horza en se retournant vers la coursive. (Puis il ralluma le circuit com du hangar.) Aviger ?