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Horza poussa encore un peu les moteurs, expédia deux ou trois décharges laser dans la paroi suivante et regarda, incrédule, le spectacle qui se déroulait sous ses yeux : au lieu de s’écrouler vers l’arrière comme le précédent, ce mur-là descendit sur eux tel un gigantesque pont-levis de château fort, pour venir s’abattre violemment, mais en un seul morceau, sur le sol du Minidock désert. Dans une tempête de vapeur et de gaz, une véritable montagne d’eau apparut au sommet du mur absent et se déversa en une formidable vague sur le vaisseau tout proche.

Horza s’entendit hurler. Il poussa en bout de course les manettes des moteurs et maintint appuyé à fond le bouton du laser.

La TAC fit un bond en avant et fila en un éclair sur la surface de l’eau cascadante ; la chaleur du plasma frappait le liquide avec assez de force pour remplir instantanément de vapeur bouillonnante le creux laissé par son passage. Tandis que l’inondation continuait de s’épandre et que la TAC la survolait en faisant hurler ses moteurs, tout autour du vaisseau l’air s’emplit de vapeur suprachauffée. La jauge de pression extérieure monta trop vite pour que l’œil puisse suivre ; le laser créait toujours plus de vapeur à partir de l’eau qu’il rencontrait à l’avant et, dans une explosion digne de la fin du monde, la paroi suivante vola en éclats, affaiblie par le laser et finalement pulvérisée par la seule pression de la vapeur. La Turbulence Atmosphérique Claire émergea d’un coup du tunnel formé par les Minidocks successifs, telle une balle sortant d’un canon.

Tous ses moteurs crachant le feu, franchissant un nuage de gaz et de vapeur qu’elle ne tarda pas à laisser derrière elle, elle pénétra en rugissant dans un canyon empli d’air pris entre deux flancs vertigineux où s’ouvraient des portes de docks et des sections d’habitation ; elle incendia des kilomètres de paroi et de couches nuageuses, hurlant de ses trois gorges emplies de flammes. Elle paraissait haler derrière elle un raz-de-marée d’eau ainsi qu’un nuage volcanique de vapeur, de gaz et de fumée. L’eau retomba ; la vague monstrueuse se mua en ressac pesant, puis en embruns, et finit sous forme de pluie et de vapeur qui suivirent le mouvement de la porte du dock, qui s’abattait comme une immense carte à jouer.

La TAC se tordit sur elle-même, pencha d’un côté puis de l’autre en s’efforçant de se redresser dans sa course précipitée vers la lointaine muraille percée de portes de Minidocks, à l’autre bout du gigantesque canyon interne. Tout à coup les moteurs eurent des ratés, puis se turent. La Turbulence se mit à tomber.

Horza actionna les manettes de toutes ses forces, mais les moteurs à fusion ne répondaient plus. L’écran montra d’un côté la muraille criblée de portes donnant sur d’autres docks, puis de l’air et des nuages au milieu, puis, sur le côté opposé, une muraille identique. La TAC s’était mise en vrille. Horza lança un coup d’œil à Wubslin sans cesser de se débattre avec les commandes. L’ingénieur contemplait fixement l’écran principal ; son visage n’exprimait rien.

— Wubslin ! hurla Horza.

Les moteurs à fusion ne répondaient toujours pas.

— Aaah !

Wubslin s’avisa brusquement qu’ils étaient en train de tomber, qu’ils n’avaient plus le contrôle de leur appareil. Il bondit sur les commandes qui lui faisaient face.

— Concentre-toi sur le pilotage ! lança-t-il. Je vais essayer les dispositifs d’amorçage ! On a dû mettre les moteurs en surpression !

Horza continua de manipuler tant bien que mal les commandes pendant que Wubslin s’efforçait de faire redémarrer les moteurs. Sur l’écran, les parois tournoyaient follement ; sous l’appareil, les nuages se rapprochaient rapidement… sous eux… Oui, sous eux… Une couche nuageuse complètement plane. Horza secoua à nouveau ses manettes.

Le moteur avant reprit brusquement vie ; il se mit à crachoter furieusement et entraîna l’appareil tourbillonnant vers l’une des falaises artificielles. Horza le coupa, remit le navire en vrille en se servant davantage de ses surfaces de contrôle que de ses moteurs, puis orienta le nez tout droit vers le bas et reposa le doigt sur le bouton du laser. Les nuages remontèrent à toute allure vers le vaisseau. Horza ferma les yeux et actionna le laser.

Le VSG Finalités de l’Invention était si colossal qu’il comprenait trois niveaux pratiquement indépendants les uns des autres, dont chacun mesurait plus de trois kilomètres de profondeur. Il s’agissait de niveaux de pressurisation qui se justifiaient par le fait qu’en leur absence la distance entre le point le plus bas et le point le plus haut du vaisseau aurait été égale à l’écart entre le niveau de la mer et la cime d’une montagne très élevée, quelque part au niveau de la tropopause. Il y avait trois mille cinq cents mètres entre la base et le sommet de chaque niveau de pressurisation, ce qui expliquait que les brusques déplacements de l’un à l’autre via transtube fussent peu recommandés. Dans la formidable caverne ouverte qui formait le centre creux du VSG, les niveaux de pressurisation étaient marqués par des champs de force, et non par une limite matérielle, afin que les appareils puissent passer de l’un à l’autre sans se trouver contraints de sortir du vaisseau, et c’était vers l’une de ces frontières, signalée par une couche nuageuse, que tombait à présent la Turbulence.

Les salves de laser restèrent totalement sans effet, encore que Horza ne s’en aperçût pas sur le moment. C’était en fait un des ordinateurs de Vavatch qui, prenant le relais des Mentaux de la Culture, se chargeait maintenant de la sécurité interne et avait ouvert une voie dans le champ de force pour laisser passer l’appareil en pleine chute. Il avait commis l’erreur de croire que le vaisseau en fuite occasionnerait moins de dégâts au VSG s’il l’autorisait à passer que s’il le laissait s’écraser.

Voguant au centre d’un soudain maelström d’air et de nuages, au cœur de son propre petit ouragan, la TAC sortit en trombe de l’épaisse couche d’air marquant le bas d’un des niveaux de pressurisation et pénétra dans l’atmosphère raréfiée qui régnait dans la partie supérieure du niveau suivant. Un tourbillon d’air entrelacé d’écharpes brumeuses s’engouffra à sa suite, telle une explosion inversée. Horza rouvrit les yeux et aperçut avec soulagement le fond très éloigné du puits formant le centre du VSG. Puis il vit que les chiffres remontaient sur les écrans de contrôle des moteurs à fusion.

Il s’empara à nouveau des manettes de propulsion, mais cette fois-ci sans toucher au moteur du nez de l’appareil. Les deux propulseurs principaux démarrèrent, plaquant Horza contre son siège, dans l’étreinte écœurante des champs de maintien. Il redressa le nez de l’appareil, qui tombait toujours en piqué, et vit progressivement disparaître le fond du puits, bientôt remplacé par une nouvelle paroi bordée de portes de docks béantes. Celles-ci étaient beaucoup plus grandes que les portes de Minidocks à l’étage qu’ils venaient de quitter, et les rares appareils visibles – qui entraient dans les alignements illuminés de hangars gigantesques ou bien qui en sortaient – étaient des astronefs de taille supérieure.

Horza gardait les yeux rivés à l’écran et pilotait la Turbulence exactement comme un avion. Ils avançaient à bonne allure dans un tunnel de plus d’un kilomètre de diamètre ; la couche nuageuse se trouvait à présent quinze cents mètres au-dessus d’eux. D’autres vaisseaux spatiaux évoluaient dans le même espace, quelques-uns grâce à leurs champs anti-g, mais la plupart tractés par des remorqueurs verticaux légers. Le tout avec lenteur, sans agitation aucune ; seule la TAC perturbait le calme régnant à l’intérieur du vaisseau géant en traversant les airs à grand bruit, avec les deux épées de flammes aveuglantes qui jaillissaient, palpitantes, de ses chambres à plasma chauffées à blanc.