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Une autre muraille constituée d’énormes portes de hangar leur faisait maintenant face. Horza suivit du regard la courbure de l’écran principal et fit prendre à la TAC un long virage à gauche tout en plongeant légèrement afin de se diriger vers un secteur encore plus spacieux du canyon. Ils dépassèrent en un clin d’œil un astronef qu’on remorquait lentement en direction d’un lointain Superdock ouvert et le firent tanguer dans leur sillage d’air suprachauffé. La falaise d’ouvertures béantes s’approchait en s’inclinant à mesure que Horza virait. À l’avant, ce dernier aperçut une chose qui le fit penser à un nuage d’insectes : des centaines de minuscules points noirs flottant dans les airs.

Dans le lointain, droit devant eux, à cinq ou six kilomètres environ, se profilait un carré de ténèbres d’un kilomètre de côté bordé d’une discrète bande lumineuse qui clignotait lentement : la sortie du Finalités.

Horza poussa un soupir et sentit son corps tout entier se détendre. À moins de se faire intercepter d’ici là, ils avaient réussi. Maintenant, avec un peu de chance, ils arriveraient même à fuir l’Orbitale. Il poussa les moteurs à fond et poursuivit sa route en direction du carré noir comme de l’encre qui se profilait dans le lointain.

Soudain, Wubslin s’avança sur son siège en luttant contre la poussée de l’accélération et enfonça quelques boutons. Son écran répéteur, encastré dans le tableau de bord, donna un agrandissement de la section centrale de l’écran principal, qui affichait la vue droit devant.

— Ce sont des gens ! s’écria-t-il.

Horza le regarda en fronçant les sourcils.

— Quoi ?

— Des gens ! Ce sont des gens ! Ils doivent avoir des harnais anti-g ! On va passer en plein milieu !

Horza jeta un bref coup d’œil au répéteur de Wubslin et dut se rendre à l’évidence : le nuage noir occupant la quasi-totalité du petit écran se composait d’êtres humains évoluant lentement dans les airs, soit en combinaison, soit en vêtements ordinaires. Il y en avait des milliers, et cela à moins d’un kilomètre d’eux, distance qui, d’ailleurs, diminuait rapidement. Wubslin fixait l’écran en agitant la main.

— Écartez-vous ! Mais écartez-vous donc !

Horza ne voyait vraiment pas comment contourner cette masse d’humains volants, ni comment passer au-dessus ou au-dessous d’elle. Qu’ils soient en train de jouer à quelque curieux jeu aérien ou simplement de s’amuser un peu, ils étaient trop nombreux, trop proches et trop éparpillés.

— Merde ! lança Horza.

Il se prépara à couper les moteurs à plasma arrière avant que la Turbulence ne pénètre dans le nuage humain. Avec un peu de chance, là encore, on serait peut-être arrivés de l’autre côté quand il faudrait les rallumer, ce qui éviterait d’incinérer tout le monde.

— Non ! hurla Wubslin.

Il rejeta violemment ses sangles de sécurité, sauta sur Horza et chercha à s’emparer des commandes. Le Métamorphe tenta de le repousser, mais en vain. Les manettes lui échappèrent et, sur l’écran principal, la vue s’inclina brusquement avant de se mettre à tournoyer. Le nez du vaisseau filant à toute allure se détourna de la sortie du VSG ainsi que du nuage d’individus aéroportés pour se diriger vers la falaise piquetée de lumières signalant des entrées de Superdocks. D’un revers de bras, Horza frappa Wubslin à la tête et l’expédia au sol, assommé. Il détacha des commandes les doigts inertes de l’ingénieur, mais il était trop tard pour changer de cap. Horza stabilisa l’appareil sur son itinéraire.

La Turbulence Atmosphérique Claire se dirigeait vers un Superdock ouvert ; puis elle s’engouffra par la porte et survola rapidement le squelette d’un astronef en reconstruction. Au passage, le dégagement de ses moteurs déclencha des incendies, roussit des chevelures, carbonisa des vêtements et aveugla nombre d’yeux non protégés.

Horza vit du coin de l’œil Wubslin gisant inconscient sur le sol et roulant doucement sur lui-même tandis que la TAC couvrait les cinq cents mètres qui la séparaient du fond du Superdock. Les portes donnant sur le dock voisin étaient ouvertes, ainsi que les suivantes, et ainsi de suite. Ils s’étaient engagés dans un tunnel de deux kilomètres de long qui surplombait les docks d’amarrage et de réparation occupés par un des anciens armateurs d’Évanauth. Horza ignorait ce qu’il trouverait au bout, mais vit qu’avant d’y arriver il serait obligé de survoler le dessus d’un gros astronef qui emplissait la quasi-totalité du dock suivant.

Le Métamorphe orienta vers l’avant l’échappement des moteurs à fusion afin de commencer à ralentir l’appareil. La manœuvre s’exécuta et deux traits de feu flamboyèrent de chaque côté de l’écran. Wubslin, dont le corps n’était plus maintenu par rien, glissa vers l’avant sur le sol de la passerelle et resta coincé, en partie sous le tableau de bord et en partie sous son propre siège. Horza releva le nez de la TAC tandis qu’approchait le museau écrasé du vaisseau spatial stationné au-dessous d’eux.

La Turbulence Atmosphérique Claire fonça vers le plafond du Superdock, fila à toute allure entre celui-ci et la partie supérieure de l’astronef, puis redescendit de l’autre côté et, tout en continuant de perdre de la vitesse, traversa rapidement un dernier Superdock pour se retrouver dans un nouveau corridor dégagé. Mais il était trop étroit. Horza plongea à nouveau, vit approcher le sol et actionna les lasers. La TAC entra dans un nuage en expansion de débris incandescents et fut à nouveau agitée de frémissements et de soubresauts ; la silhouette trapue de Wubslin réapparut et s’envola vers la porte du fond de la passerelle.

Horza crut tout d’abord qu’ils étaient enfin parvenus à l’extérieur, mais non. Ils se trouvaient en fait dans un de ces endroits que la Culture appelait Docks Généraux.

La TAC piqua encore une fois du nez, puis se redressa. Elle évoluait à présent dans un espace qui semblait plus vaste que le centre même du VSG : le dock du Mégavaisseau, celui que Horza avait vu tirer des eaux par une centaine d’antiques remorqueurs verticaux de la Culture.

Le Métamorphe eut le temps de regarder autour de lui. Le temps, l’espace, ce n’était pas ce qui manquait. Le Mégavaisseau logé dans le dock géant évoquait irrésistiblement une petite ville posée sur une grande plaque de métal. La Turbulence Atmosphérique Claire en dépassa la poupe, survola des tunnels occupés par des lames de propulseurs mesurant bien dix mètres de large, contourna la première plate-forme arrière, où des embarcations de plaisance attendaient en cale sèche qu’on les remette à l’eau, fila au-dessus des tours et des spires de sa superstructure, puis s’engagea au-dessus des proues. Horza reporta son regard vers l’avant. Les portes du Dock Général, si c’étaient bien des portes, se profilaient à quelque deux kilomètres de là. Elles mesuraient bien deux kilomètres de haut sur le double de large. Horza se contenta de hausser les épaules ; on finissait par se sentir blasé devant ce genre de chose. On verra bien, se dit-il.

Les lasers forèrent un trou dans le mur de matière, une ouverture qui s’élargit, lentement et vers laquelle Horza fonça tout droit. Un tourbillon d’air s’amorça autour du trou ; la TAC se trouva bientôt prise dans un petit cyclone horizontal et se mit à virevolter sur elle-même. Puis elle passa de l’autre côté et se retrouva dans l’espace.