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Il régnait dans le mess un fouillis inextricable. La TAC n’avait pas été préparée à cette série de manœuvres brutales, et rien n’avait donc été mis en sécurité. On voyait çà et là, sur le plancher de la salle, des assiettes et des récipients variés, deux chaussures, un gant, des bandes magnétiques à demi déroulées et divers autres objets hétéroclites. Yalson avait reçu quelque chose en pleine figure, et un filet de sang séchait sur son front.

Hormis de brefs séjours aux toilettes, Horza n’avait laissé bouger personne depuis deux heures. Il avait ordonné aux membres de la Compagnie de rester où ils étaient, par le circuit de communication général, tandis que la TAC s’éloignait de Vavatch en suivant une trajectoire sinueuse et quelque peu erratique. Il s’était tenu prêt à relancer les moteurs à plasma ainsi que ses lasers, mais aucun autre poursuivant ne s’était montré. Il estimait à présent avoir franchi une distance suffisante pour se sentir en sécurité et passer en gauchissement.

Il avait laissé sur la passerelle un Wubslin qui s’affairait maintenant à bichonner de son mieux les circuits maltraités de la Turbulence Atmosphérique Claire. L’ingénieur s’était excusé d’avoir empoigné les manettes et s’était fait tout petit ; évitant le regard de Horza, il s’était mis à ramasser quelques débris tombés sur le sol de la passerelle et à renfoncer sous le tableau de bord les fils qui s’en étaient échappés. Horza lui dit qu’il avait bien failli tous les tuer, mais que, d’un autre côté, on pouvait lui faire le même reproche et donc que, pour cette fois, on passerait l’éponge, puisqu’ils s’en étaient sortis indemnes. Wubslin hocha la tête et déclara qu’il se demandait encore par quel miracle. Il n’arrivait pas à croire que le vaisseau fût pratiquement intact. Ce qui n’était d’ailleurs pas le cas de l’ingénieur : il était couvert de bleus.

— Je crains fort, dit Horza à Yalson une fois qu’il se fut assis et qu’il eut posé les pieds sur la table, que notre première escale soit peu attrayante et plutôt sous-peuplée. Je ne suis pas sûr que tu aies vraiment intérêt à t’y faire débarquer.

Yalson posa sur la table le lourd étourdisseur.

— Et on peut savoir où on va ? Mais enfin, qu’est-ce qui se passe, Kraiklyn ? Qu’est-ce que c’était que ce délire dans le VSG ? Et elle, qu’est-ce qu’elle fait là ? Qu’est-ce que la Culture a à voir là-dedans ? fit-elle en indiquant Balvéda d’un mouvement de tête.

Lorsque Yalson se tut dans l’attente d’une réponse, Horza continua à fixer la représentante inconsciente de la Culture. Aviger et Dorolow rivaient sur lui le même regard interrogateur.

Mais il n’eut pas le temps de répondre : le petit drone débouchait du couloir de la section habitation ; il entra dans le mess en flottant dans les airs, examina la salle, puis se posa sur la table centrale.

— J’ai cru comprendre que c’était l’heure des explications. Je me trompe ? fit-il en se tournant carrément vers Horza.

Horza détacha son regard de Balvéda pour le reporter sur Aviger et Dorolow, puis sur Yalson, et enfin sur le drone.

— Bon, autant que vous sachiez la vérité, tous tant que vous êtes : nous nous dirigeons vers un endroit appelé Monde de Schar. C’est une des Planètes des Morts.

Yalson eut l’air interloqué. Aviger déclara :

— J’ai entendu parler des ces planètes-là. Mais on ne nous laissera pas aborder.

— C’est de pis en pis ! constata le drone. À votre place, commandant Kraiklyn, je regagnerais le VSG Finalités de l’Invention et je me rendrais aux autorités. Je suis sûr qu’on vous accorderait un procès en bonne et due forme.

Horza fit la sourde oreille. Il soupira, fit des yeux le tour de la pièce, étira ses jambes et bâilla.

— Je suis désolé que vous soyez tous embarqués, de gré ou de force, dans cette expédition, mais il faut que j’aille là-bas, et je ne peux pas me permettre de m’arrêter en route pour vous laisser descendre. Vous êtes donc bien obligés de suivre.

— Ah bon, c’est comme ça ? fit le petit drone.

— Eh oui, répondit Horza en le regardant, c’est comme ça.

— Mais enfin, puisque je te dis qu’ils ne nous laisseront pas approcher ! Ils ne veulent personne là-bas. Il y a une espèce de no man’s land autour de ces planètes.

— On verra bien quand on y sera, répliqua Horza en souriant.

— Tu n’as pas répondu à mes questions, reprit Yalson. (Elle regarda de nouveau Balvéda, puis l’arme posée sur la table.) J’assomme cette pauvre fille chaque fois qu’elle menace d’ouvrir une paupière, et maintenant, j’aimerais bien savoir pourquoi.

— Il me faudrait des heures pour tout vous expliquer, mais, en bref, disons qu’il y a sur le Monde de Schar quelque chose dont les idirans et la Culture veulent tous les deux s’emparer. J’ai… un contrat, une mission dont m’ont chargé les Idirans, et qui consiste à aller récupérer cette chose.

— Vous êtes un authentique paranoïaque ! fit le drone d’un ton incrédule. (Il s’éleva au-dessus de la table et pivota pour prendre les autres à témoin.) Cet homme est complètement fou !

— Les Idirans nous auraient embauchés nous – ou plutôt toi – pour aller rechercher ce truc ?

La voix de Yalson exprimait une incrédulité totale. Horza la regarda et sourit.

— Tu veux dire que cette femme, dit Dorolow en désignant Balvéda, a été envoyée par la Culture pour se joindre à nous, nous infiltrer… Tu parles sérieusement ?

— Tout à fait. Balvéda était à ma recherche. Elle en avait aussi après Horza Gobuchul. Elle voulait aller grâce à nous jusqu’au Monde de Schar, ou alors nous empêcher d’y arriver. (Horza se tourna vers Aviger.) À propos, il y avait bien une bombe dans ses affaires ; elle a explosé juste après que je l’ai expulsée des tubes, et elle a fait sauter les vaisseaux de la police. Nous avons tous été irradiés, mais rien de mortel.

— Et Horza dans tout ça ? reprit Yalson en le regardant d’un air mauvais. C’était juste une entourloupette, ton histoire, ou bien l’as-tu réellement rencontré ?

— Il est vivant, Yalson ; et pas plus en danger que n’importe lequel d’entre nous.

Wubslin apparut dans l’encadrement de la porte de la passerelle ; son air penaud ne l’avait pas quitté. Il salua Horza d’un signe de tête et s’assit non loin de lui.

— Tout se présente bien, Kraiklyn.

— Parfait, répondit Horza. J’étais justement en train d’expliquer à tout le monde que nous nous dirigions vers le Monde de Schar.

— Ah, oui, fit l’ingénieur, qui regarda les autres en haussant les épaules.

— Kraiklyn, reprit Yalson en se penchant sur la table et en le regardant intensément. Tu as failli nous tuer tous je ne sais combien de fois, bon sang ! Et tu as sans doute tué plus d’une personne, avec tes… acrobaties en chambre. Tu nous colles aux fesses un agent de la Culture, tu nous kidnappes pour nous emmener sur une planète située en pleine zone de combats et où personne n’a jamais été autorisé à atterrir, et tout ça pour chercher une chose que les deux belligérants désirent assez ardemment pour… Enfin, si les Idirans engagent une bande de mercenaires de seconde zone à moitié décimée, c’est qu’ils doivent être drôlement désespérés… Quant à la Culture, si c’est vraiment elle qui a voulu nous empêcher de quitter le dock, elle doit avoir sacrément la trouille pour risquer de transgresser la neutralité du Finalités et quelques-unes de ses précieuses conventions de guerre.

« Tu crois peut-être maîtriser la situation, et tu penses sans doute que le jeu en vaut la chandelle, mais moi non, et je n’aime pas non plus l’idée d’être ainsi laissée dans le noir complet. Regardons un peu les choses en face : ces derniers temps, tu n’as essuyé que des échecs. Alors risque ta vie si ça te chante, mais tu n’as pas le droit de mettre la nôtre en danger par-dessus le marché. Plus maintenant. Peut-être qu’on n’a pas tous envie de se ranger du côté des Idirans ! Mais même si on les préférait à la Culture, aucun d’entre nous n’a signé pour se retrouver en première ligne ! Enfin merde, Kraiklyn… On n’est ni… équipés ni entraînés pour se mesurer à ces gens-là.