Выбрать главу

— Je sais tout cela, répondit Horza. Mais normalement, on ne devrait pas rencontrer de forces armées. La Barrière de Sérénité qui entoure le Monde de Schar s’étend tellement loin dans l’espace qu’il est impossible de la voir tout entière. Nous nous dirigeons vers elle selon une trajectoire choisie au hasard, et quand ils nous repéreront, ils ne pourront pas intervenir, quel que soit le vaisseau dont ils disposent. Même une Flotte de Guerre Classe Un ne pourrait nous barrer la route. Et ce sera la même chose au retour.

— Ce que tu essaies de nous dire, commenta Yalson en se renfonçant dans son siège, c’est que, comme d’habitude, « on débarque et on rembarque sans problème ».

— Peut-être bien, répondit Horza en riant.

— Dites donc, coupa subitement Wubslin en consultant le terminal qu’il venait de sortir de sa poche. Il est presque l’heure !

Il se leva précipitamment et disparut par la porte de la passerelle. Quelques secondes plus tard, l’écran du mess changea d’aspect : l’image tournoya, puis montra Vavatch. L’immense Orbitale était suspendue dans l’espace, à la fois ténébreuse et tout illuminée par endroits, à la fois diurne et nocturne, pleine de bleus, de blancs et de noirs. Tous les yeux se tournèrent vers l’écran.

Wubslin vint reprendre sa place. Horza se sentait las. Tout son corps réclamait le repos, beaucoup de repos. Il avait encore le cerveau tout bourdonnant sous l’effet de la concentration et de la quantité d’adrénaline qu’il lui avait fallu pour piloter la TAC à travers le VSG, mais il était encore trop tôt. Que faire maintenant ? Où était son intérêt ? Valait-il mieux révéler sa véritable identité, dire qu’il était un Métamorphe et qu’il avait tué Kraiklyn ? Quel degré de loyauté éprouvaient-ils à l’égard d’un chef dont ils ignoraient encore la mort ? Yalson était peut-être la plus loyale de tous, mais se réjouirait certainement de le savoir en vie, lui… Et pourtant, c’était elle qui avait déclaré que tous ne seraient sans doute pas du côté des Idirans… Jamais elle n’avait affiché de sympathie particulière pour la Culture, au temps où ils étaient proches, mais elle avait pu changer d’avis depuis.

Il avait même la possibilité de se re-métamorphoser dans l’autre sens ; un assez long voyage les attendait, au cours duquel il ne lui serait probablement pas impossible – peut-être avec l’aide de Wubslin – de modifier les codes d’accès de la TAC. Mais avait-il vraiment intérêt à ce que les autres le sachent ? Et puis il y avait Balvéda ; qu’allait-il faire d’elle ? Il avait bien pensé l’utiliser comme monnaie d’échange avec la Culture, mais ils semblaient désormais hors de danger, et leur prochaine escale serait le Monde de Schar, où elle représenterait au mieux un handicap, un poids mort. Non, mieux valait l’éliminer tout de suite. Mais, d’une part, ce serait sans doute assez mal vu par les membres de la Compagnie, surtout Yalson, et, d’autre part, même s’il avait du mal à l’admettre, Horza pressentait qu’il lui serait personnellement très pénible de tuer l’agent de la Culture. Ils étaient ennemis, certes, et chacun des deux avait frôlé la mort de près sans que l’autre fasse quoi que ce soit pour intervenir ; mais de là à la tuer de ses propres mains…

Mais peut-être essayait-il seulement de s’en persuader. Peut-être cela ne le gênerait-il pas outre mesure, au contraire. Cette espèce de fausse camaraderie qu’on se témoignait entre gens du métier, même quand on appartenait au camp adverse, n’était peut-être qu’une imposture, en fait. Il ouvrit la bouche pour demander à Yalson d’étourdir à nouveau l’agent de la Culture, mais Wubslin le prit de vitesse.

— C’est parti !

Sur ces mots, l’Orbitale de Vavatch commença à se désintégrer.

L’image qu’en donnait l’écran du mess était une version hyperspatiale compensée de la réalité ; aussi, même s’ils étaient déjà sortis du système de Vavatch, ils pouvaient assister à l’événement pratiquement en temps réel. Exactement à l’heure prévue, le Véhicule Système Général invisible, anonyme, et toujours extrêmement militarisé qui croisait quelque part dans les parages du système de Vavatch, ouvrit le feu. C’était presque certainement un VSG de classe Océan, sans doute celui-là même dont ils avaient capté le message quelques jours auparavant, sur l’écran du réfectoire, alors qu’ils se dirigeaient vers Vavatch, donc de taille bien inférieure au géant Finalités, lequel était – conflit oblige – devenu obsolète. Un vaisseau de classe Océan aurait aisément pu prendre place dans un seul Dock Général du VSG mais tandis que ce dernier – qui devait actuellement se trouver à une heure de l’Orbitale – était bourré de passagers, le vaisseau Océan était probablement bourré de cuirassés et armements divers.

L’Orbitale se trouva prise sous un bombardement serré. Horza vit l’écran flamboyer intégralement, puis les capteurs accommodèrent et compensèrent l’excès de brillance. Il s’était attendu à ce que la Culture découpe toute l’Orbitale à coups d’énergie-réseau, puis crible les morceaux de rayons EAM, mais rien de tel n’arriva. Au lieu de cela, un unique faisceau lumineux d’un blanc aveuglant apparut sur toute la largeur de la face diurne de l’Orbitale, dessinant une lame fine et impitoyable porteuse de destruction silencieuse qui fut instantanément noyée dans le manteau nuageux, moins éclatant maintenant, mais toujours aussi blanc. Ce trait de lumière faisait partie intégrante du réseau proprement dit, ce tissu d’énergie qui sous-tendait l’univers entier et le séparait du règne un peu plus jeune et plus limité de l’antimatière.

Comme les Idirans, la Culture savait à présent maîtriser en partie cette puissance redoutable, suffisamment du moins pour la mettre au service de l’annihilation. Sur l’Orbitale pointait à présent un pinceau d’énergie venu de nulle part et qui traversait de part en part l’univers tridimensionnel ; devant lui la Mer Circulaire entrait en ébullition, les deux mille kilomètres de muraille transparente entraient en fusion, le fondement même de l’Orbitale se volatilisait sur ses trente-cinq mille kilomètres de largeur.

Vavatch, cet anneau de quatorze millions de kilomètres, était en train de se dérouler. Telle une chaîne aux maillons brisés.

Il n’y avait plus rien pour maintenir sa cohésion ; la force engendrée par sa propre rotation, source de son cycle jour-nuit et de sa gravité artificielle, allait la faire voler en éclats. À une vitesse avoisinant les cent trente kilomètres seconde, Vavatch se précipitait dans les profondeurs de l’espace en se détendant comme un ressort brusquement libéré.

Le trait de feu livide disparut et réapparut à plusieurs reprises, poursuivant méthodiquement sa trajectoire circulaire autour de l’Orbitale pour revenir à son point d’impact initial, divisant proprement l’ensemble en carrés de trente-cinq mille kilomètres de côté, chacun contenant une tranche composée de trillions et de trillions de tonnes de matériau de base ultradense, d’eau, de terre et d’air.

Vavatch virait au blanc. Le quadrillage provoqua tout d’abord l’apparition d’une bordure nuageuse due à l’évaporation de l’eau, puis l’air qui s’échappait de chaque carré comme l’épais fumet qui s’élève d’un plat posé sur une table transforma la vapeur d’eau en glace. L’océan lui-même, qui n’était plus maintenu en place par la force de la rotation, commençait à se déplacer, à se déverser avec une lenteur infinie par-dessus le bord des plaques de matériau fragmenté, puis se muait en glace à son tour et s’envolait dans l’espace en tournoyant sur lui-même.