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Le pinceau de lumière resplendissant et précis poursuivait sa progression, revenant en sens inverse de la rotation, tranchant sans bavure des sections incurvées d’Orbitale qui continuaient de tourner sur elles-mêmes, en émettant des éclairs soudains, mortels, une lumière dont la source se situait en dehors de la substance normale de la réalité.

Horza se souvint du nom que Jandraligeli avait donné au phénomène le jour où Lénipobra avait évoqué avec tant d’enthousiasme la destruction de l’Orbitale.

« L’arme de la fin du monde », avait-il déclaré. Contemplant l’écran, Horza crut comprendre ce qu’avait voulu dire le mondlidicien.

Tout était en train de disparaître à jamais. Tout. L’épave de l’Olmédréca, l’iceberg tabulaire qu’il avait heurté, l’épave de la navette, le cadavre de Mipp, celui de Lénipobra, les restes de Fwi-Song et de M. Premier… Et les autres Mangeurs, ceux qu’il avait quittés vivants – si on n’était pas venu les chercher, ou s’ils avaient persisté dans leur refus. Et l’arène de Débâcle, les bassins d’amarrage, le cadavre de Kraiklyn, l’hydroglisseur, les animaux terrestres et marins, les oiseaux, les germes, tout. Tout cela se consumait ou se congelait en un éclair et, subitement privé de poids, se retrouvait projeté dans l’espace, vers l’anéantissement et la mort.

L’infatigable trait de feu acheva son parcours autour de l’Orbitale et revint pratiquement à son point de départ. Vavatch n’était plus qu’une rosace de carrés plats et blancs qui s’éloignaient lentement les uns des autres en direction des étoiles : quatre cents tranches distinctes d’eau, de vase, de terre et de matériau de base, le tout en congélation rapide, qui filaient de biais au-dessus ou au-dessous du plan des planètes du système comme autant de mondes quadrangulaires isolés.

Il y eut alors un moment de grâce tandis que Vavatch rendait l’âme dans une explosion de splendeur solitaire. En son cœur de ténèbres naquit une déflagration lactescente, un nouveau flamboiement d’étoiles : le Moyeu de l’Orbitale était à son tour frappé par la terrible source d’énergie qui venait de foudroyer le monde proprement dit.

Alors, telle une cible atteinte, Vavatch s’embrasa tout entière.

Au moment où Horza se disait que la Culture allait sûrement se contenter de ce résultat, l’écran s’emplit à nouveau de lumière. Les tranches aplaties pareilles à des cartes à jouer disparurent ainsi que le Moyeu dans une explosion de lumière coruscante et glacée, comme si un million d’infimes étoiles blanches transperçaient de leur fulgurance chacun des morceaux éclatés.

Puis la luminescence s’affadit, et on vit que les quatre cents portions de monde et leur Moyeu central avaient cédé la place à un réseau de blocs en forme de dés qui explosaient tour à tour en se détachant les uns des autres, ainsi que de l’Orbitale en pleine désintégration.

Les blocs s’embrasèrent à leur tour et éclatèrent lentement en un milliard de petits points lumineux qui, en s’évanouissant, laissèrent derrière eux des traces presque trop infimes pour être perçues.

Vavatch n’était plus qu’un disque ventru en forme de spirale où tournoyaient des échardes scintillantes, et qui s’enflait très lentement sur fond d’étoiles lointaines tel un anneau de poussière chatoyante. Avec son noyau resplendissant, on croyait voir un monstrueux œil fixe et sans paupière.

L’écran s’illumina une dernière fois. Cette fois, on ne pouvait plus distinguer de points lumineux isolés. C’était comme si l’image floue, agrandie, du monde circulaire maintenant morcelé luisait sous l’effet de sa propre chaleur interne, et en extrayait un nuage en forme de tore, un halo de luminosité blanche pourvu en son centre d’un iris évanescent. Puis le spectacle prit fin, et, dans son lent épanouissement, le nimbe du monde anéanti ne fut bientôt plus éclairé que par le soleil.

Il y avait certainement encore beaucoup à voir sur d’autres longueurs d’ondes, mais l’écran du mess était en mode lumière normale. Seuls les Mentaux et les astronefs contempleraient dans sa totalité la destruction de l’Orbitale ; eux seuls seraient en mesure d’y voir tout ce qu’elle avait à offrir. De la gamme totale du spectre électromagnétique, l’œil nu des humains ne pouvait percevoir qu’un pour cent, une unique octave de rayonnement sur un interminable clavier de tons. Les capteurs de vaisseaux n’en perdraient pas une miette ; ils recevraient tout, jusqu’au bout du spectre, de manière beaucoup plus détaillée et à une vitesse apparente beaucoup plus réduite. L’œil humain avait beau trouver impressionnante la destruction de l’Orbitale, il n’en passait pas moins complètement à côté de sa véritable dimension. Un spectacle destiné aux machines, songea Horza ; voilà ce dont il s’agit en fait. Une attraction pour ces fichues machines.

— Par Chicel…, fit Dorolow.

Wubslin soupira bruyamment et secoua la tête. Yalson se tourna vers Horza. Aviger resta face à l’écran.

— Étonnant, ce qu’on peut réaliser quand on s’y met, n’est-ce pas…, Horza ?

Bêtement, il crut d’abord que c’était Yalson qui venait de parler. Mais naturellement, c’était Balvéda.

Celle-ci relevait lentement la tête. Ses grands yeux noirs bien ouverts, elle avait l’air sonnée et se laissait toujours aller en avant contre les sangles de son siège. Néanmoins, elle s’était exprimée d’une voix claire et assurée.

Yalson tendit la main vers l’arme posée sur la table, mais se borna à l’attirer à elle, sans la prendre en main. Elle enveloppa l’agent de la Culture d’un regard soupçonneux. Aviger, Dorolow et Wubslin la contemplaient aussi.

— Les batteries de l’étourdisseur sont à plat, ou quoi ? interrogea Wubslin.

Yalson continuait à regarder Balvéda, les yeux plissés.

— Tu t’emmêles un peu. Gravante… enfin, quel que soit ton vrai nom. Parce que lui, c’est Kraiklyn.

Balvéda sourit à Horza, qui tâchait de ne rien laisser paraître. Il ne savait plus quelle conduite adopter. Il n’en pouvait plus. Tout cela lui demandait trop d’efforts. Advienne que pourra, songea-t-il. Il en avait assez de prendre des décisions.

— Alors, reprit Balvéda. Tu vas le leur dire, ou bien faut-il que je m’en charge ?

Il ne répondit pas. Il observait le visage de la jeune femme. Celle-ci inspira profondément et reprit :

— Très bien, puisque c’est comme ça, je dis tout. (Elle se tourna vers Yalson.) Cet homme s’appelle Bora Horza Gobuchul, et il prend l’apparence de Kraiklyn. Horza est un Métamorphe de Heibohre et travaille pour les Idirans. Cela dure depuis six ans. Il s’est métamorphosé pour devenir Kraiklyn. À mon avis, votre véritable chef est mort. Horza l’a sans doute tué, ou au moins abandonné dans un coin d’Évanauth ou de ses environs. Je suis sincèrement désolée. (Elle les regarda tour à tour, sans oublier le petit drone.) Et si je ne me trompe pas, nous voilà tous partis pour aller faire un petit tour dans un endroit appelé Monde de Schar. Enfin, en ce qui vous concerne du moins. J’ai idée que mon parcours personnel va s’avérer légèrement plus court – et infiniment plus long.

Balvéda gratifia Horza d’un sourire ironique.

— Deux, maintenant ? fit le drone sans s’adresser à personne en particulier. Je suis coincé dans une antiquité pleine de fuites et digne d’un musée avec à bord deux déments à tendance paranoïaque ?