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Il faillit heurter une paire de medjels blessés que deux de leurs compagnons d’armes transportaient précipitamment en civière anti-g dans une coursive perpendiculaire. Horza s’arrêta pour les laisser passer et son front se barra d’un pli soucieux. Les marques d’aspersion en spirale qu’affichaient leurs armures étaient caractéristiques des décharges de plasma ; or la Gérontocratie ne disposait pas d’armes de ce type. Il haussa les épaules et poursuivit son chemin.

Ils parvinrent à une section du croiseur où le couloir des cabines était fermé par des portes coulissantes. Le medjel s’adressa tour à tour à chacune des deux barrières, qui s’ouvrirent devant lui. Un garde idiran, armé d’une carabine-laser et posté devant une porte, vit approcher Horza ; le medjel lui intima l’ordre d’ouvrir avant même qu’ils n’arrivent à sa hauteur. Horza lui adressa un signe de tête et franchit le seuil. La porte se referma en chuintant, une autre s’ouvrit juste devant lui.

Balvéda se retourna vivement en l’entendant entrer. Manifestement, il l’avait surprise en train de faire les cent pas dans sa cellule. Elle rejeta légèrement la tête en arrière en voyant Horza et émit un bruit de gorge qui pouvait passer pour un rire.

— Tiens, tiens…, fit-elle d’une voix douce et traînante. Ainsi tu as survécu. Félicitations. À propos, j’ai tenu parole. Quel retournement de situation, n’est-ce pas ?

— Bonjour, répondit Horza en croisant les bras sur sa combinaison à hauteur de poitrine, et en contemplant la jeune femme de la tête aux pieds. (Elle portait toujours la même robe grise et ne paraissait pas armée.) Qu’est devenu l’objet que tu portais autour du cou ? s’enquit-il.

Elle baissa les yeux vers l’emplacement du pendentif, sur son torse.

— Eh bien, crois-moi si tu veux, mais il se trouve que c’était une mémoforme.

Elle lui sourit et s’assit en tailleur sur le sol élastique ; hormis un lit-alcôve surélevé, il n’y avait pas d’autre endroit où s’asseoir. Horza l’imita donc, et sentit une légère douleur dans ses jambes. Il se rappela alors les traces spiralées vues sur l’armure des medjels.

— Une mémoforme, dis-tu ? Elle ne se serait pas transformée en canon à plasma, par hasard ?

— Entre autres choses, si, acquiesça l’agent de la Culture.

— C’est bien ce que je pensais. J’ai entendu dire que ton missile-couteau avait choisi de tirer sa révérence de façon quelque peu… expansive.

Balvéda se contenta de hausser les épaules. Horza la regarda droit dans les yeux et lui dit :

— Si tu détenais des informations importantes que tu puisses leur révéler, je suppose que tu ne serais pas ici ?

— Ici, peut-être, concéda Balvéda. Mais vivante, non. (Elle étira ses bras derrière elle et soupira.) Je présume que je vais devoir attendre la fin de la guerre dans un camp d’internement quelconque, à moins qu’ils ne trouvent à m’échanger contre un des leurs. J’espère seulement que cette histoire ne durera pas trop longtemps.

— Ah bon, tu penses que la Culture va bientôt déclarer forfait ? sourit Horza.

— Non, j’estime qu’elle va gagner sous peu.

— Tu es folle, fit Horza en secouant la tête.

— Mais non, répliqua-t-elle en opinant d’un air attristé, je crois sincèrement qu’elle finira par l’emporter.

— Si vous continuez à vous replier comme vous le faites depuis trois ans, vous finirez quelque part dans les Nuages.

— Sans vouloir divulguer de secrets, Horza, vous vous rendrez bientôt compte que nous ne nous replions plus guère.

— C’est ce qu’on verra. Honnêtement, je m’étonne que vous ayez combattu si longtemps.

— Nos amis à trois jambes pensent la même chose. Comme tout le monde, d’ailleurs. Y compris nous, me dis-je parfois.

— Balvéda, fit Horza avec un soupir de lassitude, je m’obstine à ne pas saisir les causes premières de votre engagement dans ce conflit. Les Idirans n’ont jamais représenté de menace pour vous. Et les choses resteraient en l’état si vous cessiez de les combattre. La vie est-elle si assommante, dans votre belle Utopie, que vous éprouviez le besoin de vous lancer dans une guerre ?

— Horza, répliqua Balvéda en se penchant en avant, je ne comprends pas non plus pourquoi vous vous battez. Je sais bien que Hiédohre se trouve…

— Heibohre, rectifia Horza.

— Bref, je veux parler de ce maudit astéroïde où vivent les Métamorphes. Je sais bien qu’il se trouve en territoire idiran, mais…

Ça n’a rien à voir, Balvéda. Je me bats pour eux parce que je pense qu’ils ont raison et que vous avez tort.

La jeune femme se redressa, interdite.

— Tu…, commença-t-elle. (Puis elle baissa la tête et la secoua, les yeux rivés au plancher. Au bout d’un moment, elle le regarda à nouveau.) Je ne te comprends vraiment pas, Horza. Tu dois bien savoir combien d’espèces, combien de civilisations, de systèmes, d’individus ont été soit détruits, soit… soumis par les Idirans et leur maudite religion de déments. À côté de ça, je ne vois pas ce que la Culture a bien pu faire !

Elle avait une main posée sur un genou et l’autre tendue entre eux deux, contractée comme si elle voulait étrangler Horza. Celui-ci la dévisagea et sourit.

— Si l’on se base sur le nombre de victimes, les Idirans viennent effectivement en tête, Pérosteck ; je leur ai d’ailleurs dit que je désapprouvais fortement certaines de leurs méthodes, au même titre que leur zèle excessif. Je suis tout à fait pour que les gens aient le droit de vivre leur vie. Seulement maintenant, ils s’en prennent à vous, et, pour moi, c’est là la grande différence. Comme je suis contre vous plutôt que pour eux, je suis prêt à… (Horza s’interrompit brièvement et partit d’un petit rire embarrassé.) Enfin, cela peut paraître un peu mélodramatique, mais… oui, c’est certain, je suis prêt à mourir pour eux. (Un haussement d’épaules.) C’est aussi simple que ça. (Horza accompagna ses propos d’un hochement de tête, et Balvéda laissa retomber sa main tendue avant de détourner les yeux en poussant un profond soupir.) Parce que… Eh bien, tu as sans doute cru que je plaisantais en disant à ce vieux Frolk qu’à mon avis, c’était le missile-couteau le véritable représentant de la Culture. Mais je ne plaisantais pas, Balvéda. Je le pensais, et je le pense toujours. Je me moque des sentiments vertueux de la Culture, et du nombre de gens que tuent les Idirans. Ils sont du côté de la vie, cette bonne vieille vie biologique, ennuyeuse et désuète ; Dieu sait qu’elle est malodorante, faillible et peu perspicace, mais c’est la vraie vie. Vous, vous êtes gouvernés par vos machines. Vous êtes une impasse de l’évolution. Le problème, c’est que, pour ne plus y penser, vous essayez d’entraîner tout le monde dans le même cul-de-sac. Le pire qui puisse arriver à la galaxie, c’est que la Culture gagne cette guerre. (Il se tut afin de lui permettre de répondre, mais elle resta là à secouer la tête en regardant par terre. Cela le fit rire.) Tu sais, Balvéda, pour une espèce aussi sensible, vous témoignez parfois bien peu d’empathie.

— Quand on fait preuve d’empathie envers un imbécile, on est bien près de penser comme un idiot, marmonna-t-elle en continuant d’éviter son regard.

Il rit à nouveau et se remit sur pied.

— Quelle… amertume, Balvéda.

Elle releva les yeux sur lui.

— Je vais te dire quelque chose, Horza, reprit-elle posément. Nous allons gagner.

Il secoua la tête.

— Je ne suis pas d’accord avec toi. Vous ne sauriez pas vous y prendre.

Balvéda se redressa et prit appui sur ses deux mains calées derrière elle. Son visage était tout empreint de gravité.