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Yalson, qui ne l’avait pas quitté des yeux, se détourna en secouant la tête. Wubslin regardait en direction de la passerelle. Aviger et Dorolow se regardaient dans les yeux. Le drone ne soufflait mot.

— Bon, reprit Horza en se levant avec raideur. Yalson et Dorolow, si vous voulez bien vous occuper de Balvéda… (Avec une répugnance affichée, Yalson soupira et se leva à son tour. Dorolow entreprit de défaire les sangles qui maintenaient encore l’agent de la Culture.) Et montrez-vous très prudentes avec elle, insista-t-il. Que l’une de vous deux se tienne constamment à distance en braquant son arme sur elle pendant que l’autre la fouille.

Yalson marmotta quelques mots inintelligibles et ramassa l’étourdisseur sur la table. Horza se tourna vers Aviger.

— On devrait dire à Neisin qu’il a vraiment raté quelque chose, tu ne crois pas ?

Aviger hésita, puis opina.

— D’accord, Kraik…

Il s’interrompit, émit deux ou trois sons indistincts puis se tut. Il se remit debout et partit d’un bon pas en direction des cabines.

— Moi, je vais aller ouvrir les compartiments avant, histoire de jeter un coup d’œil au laser, Kraiklyn, si tu n’y vois pas d’objections, ajouta Wubslin. Enfin, je veux dire : Horza.

Immobile, les sourcils froncés, l’ingénieur se grattait le cuir chevelu. Horza lui répondit d’un hochement de tête. L’autre mit la main sur une cruche à bec propre et intacte, alla se servir à boire au distributeur de boissons fraîches puis suivit le même chemin qu’Aviger.

Dorolow et Yalson avaient fini de libérer Balvéda. Pâle, celle-ci s’étira de toute sa haute taille en fermant les yeux et en rejetant la tête en arrière. Puis elle passa la main dans sa courte chevelure rousse. Dorolow la tenait à l’œil. Yalson avait l’étourdisseur en main. Balvéda fit rouler ses épaules, puis fit signe qu’elle était prête.

— Bien, fit Yalson en agitant son arme pour lui intimer l’ordre d’avancer. On va faire ça dans ma cabine.

Horza se leva pour laisser passer les trois femmes. Lorsque Balvéda arriva devant lui, marchant à longues foulées souples que ne gênait en aucune manière sa combinaison légère, il lui demanda :

— Alors, Balvéda… On peut savoir comment tu t’es sauvée de la Main de Dieu ?

La jeune femme s’arrêta et dit :

— J’ai tué le garde et j’ai attendu, Horza. L’UCG a réussi à capturer le croiseur sans lui causer de dégâts. Au bout d’un moment, de gentils drones-soldats sont venus me libérer.

Un haussement d’épaules.

— Seule et sans armes, tu t’es débrouillée pour abattre un Idiran en armure de combat et équipé d’un laser ? demanda Horza d’un ton sceptique.

Nouveau haussement d’épaules.

— Je n’ai pas dit que ça avait été facile.

— Et Xoralundra ? s’enquit Horza en réprimant un sourire.

— Ton vieux copain idiran ? Il a probablement pu s’enfuir. Quelques-uns y sont parvenus. En tout cas, il n’était ni parmi les morts ni parmi les captifs.

Le Métamorphe acquiesça et lui fit signe de poursuivre son chemin. Yalson et Dorolow sur ses talons, Pérosteck Balvéda disparut dans la coursive menant à la cabine de Yalson. Horza reporta son attention sur le drone toujours posé sur la table.

— Crois-tu pouvoir te rendre utile, drone ?

— Puisque vous avez manifestement l’intention de nous garder tous prisonniers ici, et de nous emmener avec vous sur ce tas de boue peu séduisant et loin de tout, autant contribuer à rendre le voyage aussi peu dangereux que possible. Je peux vous apporter mon aide pour ce qui concerne la maintenance du vaisseau, si vous voulez. Toutefois, je préférerais nettement que vous m’appeliez par mon nom, au lieu d’employer les termes « drone » ou « machine » qui, dans votre bouche, sonnent comme des gros mots. Mon nom est Unaha-Closp. Est-ce trop vous demander que de l’utiliser quand vous me parlez ?

— Mais pas du tout, Unaha-Closp, pas du tout, répondit Horza en en rajoutant dans la servilité. Croyez bien qu’à l’avenir je ne manquerai pas de vous donner ce nom.

— Cela vous paraît peut-être amusant, reprit le drone en s’élevant à la hauteur des yeux de l’homme, mais, pour moi, c’est important. Je ne suis pas un simple ordinateur ; je suis un drone. Je suis conscient, et je possède une identité individuelle. D’où le fait que je porte un nom.

— Puisque je te dis que je m’en servirai.

— Merci. Je m’en vais voir si votre ingénieur a besoin d’aide pour inspecter le logement du laser.

Sur ces mots, il se rapprocha de la porte. Horza le suivit du regard.

Le Métamorphe resta seul. Il se rassit et contempla l’écran au fond du mess. Les restes de Vavatch y luisaient d’un éclat stérile ; le vaste nuage de matière était encore visible, mais il se refroidissait et, formant un amas sans vie, s’enfonçait en tournoyant dans l’espace. À mesure que le temps passait, il devenait de plus en plus irréel, fantomatique, immatériel.

Horza se laissa aller contre le dossier de son siège et ferma les yeux. Il préférait attendre un peu avant d’aller dormir, pour laisser aux autres le temps de méditer sur ce qu’ils venaient d’apprendre. Après cela, ils seraient plus prévisibles ; Horza saurait s’il était en sécurité pour l’instant, ou bien s’il devait tous les surveiller de près.

D’autre part, il tenait à attendre que Yalson et Dorolow en aient fini avec Balvéda. L’agent de la Culture avait peut-être décidé d’attendre son heure, maintenant qu’elle était rassurée sur son avenir proche ; mais elle pouvait toujours tenter quelque chose. Auquel cas il voulait être éveillé. Il ne savait toujours pas s’il la tuerait ou non, mais au moins avait-il maintenant le temps d’y réfléchir, lui aussi.

La Turbulence Atmosphérique Claire compléta sa correction de trajectoire programmée et orienta son nez vers la Falaise Scintillante ; elle ne se dirigeait pas précisément vers l’étoile du Monde de Schar, mais suivait un itinéraire qui, en gros, l’amènerait dans ses parages.

Derrière elle, réduite à l’état d’innombrables fragments scintillants, l’Orbitale de Vavatch continuait à prendre de l’expansion ; elle irradiait, se dissolvait lentement dans le système qui portait son nom, et s’enflait vers les étoiles, portée par les furieux tourbillons de vent stellaire nés de la destruction d’un monde tout entier.

Horza resta quelques instants seul dans le mess, à regarder se dissiper les reliques de l’Orbitale.

Lumière sur fond de ténèbres, et un épais tore de débris, presque de néant. Un monde éradiqué d’un seul coup. Non pas seulement détruit – la toute première décharge d’énergie-réseau y aurait amplement pourvu –, mais oblitéré, décomposé avec soin et précision, presque avec art ; l’annihilation comme expérience esthétique. Il y avait une grâce arrogante dans tout cela, dans la froideur absolue de cette perversité raffinée… On en restait aussi impressionné qu’horrifié. Même Horza était obligé de reconnaître qu’il éprouvait – bien malgré lui – une certaine admiration.

En voulant donner une leçon aux Idirans et au reste de la communauté galactique, la Culture n’avait pas ménagé ses effets. De cette redoutable manifestation d’effort et de talent, elle avait réussi à faire une œuvre d’art… Mais c’était un message qu’elle allait regretter, songea Horza tandis que l’hyperlumière fonçait, à la différence de la lumière ordinaire, à travers la galaxie.

Voilà ce que la Culture avait à offrir ; c’était son signal, son avertissement, son héritage : le chaos naissant de l’ordre, la destruction surgissant de la construction, la mort surgissant de la vie.