— Excuse-moi! Excuse-moi! répétait Jeremy. Mon verre m'a glissé des mains! Il a coulé dans ton sac! Attends, je vais tout éponger! Je suis vraiment maladroit!
Tout en parlant, il ouvrait mon sac. Son cadeau! Je ne voulais pas qu'il le voie tout de suite. J'attendais un moment plus romantique pour le lui donner. Il insistait pour secouer le contenu du sac dans le sable:
— Laisse-moi faire! Je vais tout essuyer! C'est moi qui ai renversé le verre, c'est à moi de nettoyer!
— Mais, Jeremy, ce n'est pas...
Il ne m'écoutait pas et vidait mon sac. Il a forcément pris le livre que je lui destinais et allait l'essuyer quand je lui ai dit que c'était son cadeau de Noël.
— Ah! a-t-il dit. Juste: «Ah!»
— C'est un livre sur les coquillages, ai-je dit pour masquer ma peine.
J'étais blessée qu'il accueille ainsi mon présent, moi qui avais tant cherché à lui faire plaisir.
— Sur les coquillages?
Il semblait intrigué. Il était pourtant normal de songer à lui offrir un livre sur les coquillages, puisqu'il les collectionnait! Il a tourné et retourné le paquet sans rien dire, puis il m'a souri:
— Tu n'aurais pas dû... Mais je te remercie beaucoup... Oh! Ta robe! Va vite la rincer à l'eau, sinon elle sera gâchée! Allez!
— C'est à peine s'il y a quelques gouttes sur la manche!
— Mais c'est du satin! Ça va paraître si tu ne fais rien! Vas-y! Je ne me pardonnerais pas d'avoir gâché ta robe des Fêtes.
— Oui, peut-être... Je reviens dans deux minutes.
Je suis repartie vers le bar pour demander un verre d'eau au serveur tout en me disant que Jeremy était étrange, à la fois doux et rustre, spontané et réservé. Si j'avais ignoré qu'il ne touchait pas au crack, j'aurais mis son comportement sur le compte de la drogue. Oui, il était vraiment bizarre. Et je pense que j'étais encore plus intriguée qu'attirée par lui.
Je frottais un glaçon sur le bord de ma manche quand Octave est venu vers moi:
— Tu peux aller à ma chambre d'hôtel t'occuper de ta robe si tu veux!
— Ce n'est pas nécessaire. J'ai à peine reçu quelques gouttes, mais Jeremy tenait à ce que je répare sa maladresse!
— Jeremy?
— Il a renversé son verre sur moi par accident. Et il semblait gêné!
— Jeremy, gêné? Lui? C'est bien la première fois que ça lui arrive!
— Tu le connais donc plus que tu ne le dis!
Octave a hoché gravement la tête:
— Trop.
— Quoi? Trop?
— Rien. Sinon que tu ferais mieux de ne pas le fréquenter.
— Et pourquoi? ai-je dit d'un ton furieux.
Voilà qu'après mon cousin et Flash-Fluo, Octave se mêlait de mes affaires.
— Il n'est pas correct, c'est tout.
— Si c'est tout, c'est bien vague... Qu'est-ce qu'il t'a fait?
— À moi? Rien. Mais j'en connais qui ont eu à se plaindre de lui.
— Si tu penses à John, il n'a que ce qu'il mérite! N'oublie pas qu'il a voulu te brouiller avec mon cousin. Lui non plus n'est pas très correct!
— C'est Jeremy qui t'a parlé de John? s'est exclamé Octave.
J'ai nié aussitôt:
— Jeremy ne m'a jamais parlé de John. Je n'aime pas ce gars-là, c'est tout. Il veut toujours semer la zizanie! Qu'est-ce que tu lui trouves?
— Je ne sais plus, Natasha, John a tellement changé depuis l'an dernier. J'ai plutôt envie de l'éviter. Ce n'est pas comme toi avec Jeremy! J'imagine que tu vas courir le rejoindre? Sache que tu n'es pas la première à tomber dans ses filets.
— Dans ses filets, ai-je rétorqué, il n'y a que des coquillages!
— Justement! a fait Octave. Justement! Puis il a demandé un pina colada à un
serveur et il s'est dirigé vers Pierre et Maia.
Je n'ai pas compris la moitié de ce qu'il a insinué, mais il a réussi, comme Flash-Fluo, à me troubler. Je devais questionner Jeremy et juger l'homme par moi-même.
Je l'ai retrouvé où je l'avais laissé, feuilletant le livre sur les coquillages, même si les lumières accrochées sous les palmiers n'éclairaient pas suffisamment pour qu'on puisse lire. J'en ai conclu qu'il voulait me montrer ainsi l'intérêt qu'il portait à mon cadeau.
Je me suis assise près de lui sans un mot et j'ai senti alors qu'il passait son bras autour de mon épaule:
— On est bien, non? a-t-il dit.
— Oui.
En fait, je n'étais pas si bien parce qu'il me tirait une mèche de cheveux sans le savoir, mais je n'osais pas bouger.
— Tu as mis du temps à revenir...
— Octave m ' a retenue.
— Octave? Il t'intéresse?
— Mais non! Il voulait juste...
— Quoi?
— Me demander si j'aimais sa fête! ai-je menti.
— C'est réussi.
— Oui.
— Parce que tu es là, a-t-il murmuré à mon oreille. Je comprends qu'ils soient tous jaloux de moi.
— Justement, je voulais te prévenir: John ne t'aime pas.
— Comment le sais-tu?
— Avant-hier, il a dit à Antonio qu'il réglerait ton compte.
Jeremy a serré les dents, puis il a éclaté de rire:
— Il a dit ça parce que je l'ai battu au billard électrique dix fois de suite! Il veut prendre sa revanche! Mais il ne gagnera jamais, il est trop brusque!
— Ah! ai-je fait à moitié convaincue.
— Nous ne sommes pas là pour parler de John! m'a dit Jeremy en se penchant vers moi.
Il a pris ensuite mon visage entre ses mains et m'a embrassée. Ses lèvres étaient si douces, si fermes! Jamais personne ne m'avait aussi bien embrassée! Ça paraissait que Jeremy était plus vieux et avait de l'expérience! Il y avait le bruit des vagues, les palmiers, la musique au loin et une belle lune argentée; c'était grisant! Et si romantique! Si romantique!
Chapitre 14 Les confidences
Jeremy a fini par se détacher de moi et m'a regardée longuement avant de me dire qu'il allait tout me raconter.
— Je n'en ai jamais parlé à qui que ce soit, m'a-t-il dit.
Je n'ai pas osé lui révéler que certaines personnes savaient qu'il était recherché par la police. J'aviserais après son récit.
Récit assez sordide: il s'agissait d'un banal et stupide cambriolage dans une boutique d'appareils audiovisuels. Jeremy avait dix-sept ans au moment de son forfait. Il avait voulu épater ses amis. Ça faisait maintenant un an qu'il avait commis ce vol et il s'inquiétait toujours d'être reconnu, car il y avait une caméra cachée dans le magasin. Il ne voulait pas aller en prison.
— J'ai passé toute ma vie entre quatre murs! Mon père est mort quand j'avais quatre ans et ma mère buvait. L'assistante sociale a essayé de me placer dans une famille, mais ça n'a pas marché. J'ai été dans des centres éducatifs. Puis en maison de correction. Tu ne peux pas savoir ce que c'est de n'avoir personne au monde qui t'aime!
Je trouvais son histoire un peu tirée par les cheveux, mais il avait l'air sincère quand il a continué:
— Je suis prêt à payer pour ce que j'ai fait, mais je ne veux pas retourner en prison! C'est pourquoi je vis en Floride. Mais j'aimerais rentrer à Montréal. Surtout si je pense que je vais t'y retrouver... Tu comprends maintenant pourquoi je ne veux pas que ces photos traînent partout? J'étais avec un receleur quand tu m'as photographié.
— Tu as commis d'autres vols ici? J'étais moins disposée à comprendre:
une erreur, ça va. Mais pas si c'était une habitude...
— Non! Mais ce receleur était celui qui m'avait acheté des appareils à Montréal. Il voulait que je travaille pour lui. J'ai refusé. Je préfère vendre mes coquillages.
J'ai fait un petit signe de tête pour le rassurer, puis je lui ai dit que mon père était avocat, et que j'allais lui téléphoner à Montréal pour lui demander conseil. Jeremy pourrait sûrement s'en tirer en faisant des travaux communautaires plutôt que de la prison.