Выбрать главу

— A la tienne, lui dis-je, et cesse de boire à cette vitesse.

Pete fit le sourd. Ses bonnes manières à table étaient meilleures que les miennes et il le savait.

Le garçon, depuis un moment, rôdait près du comptoir, faisant la causette avec le caissier. C’était l’heure creuse d’après déjeuner, les rares clients de la maison se trouvaient rassemblés au bar. Comme je disais : « A la tienne ! » le garçon me lança un coup d’œil et se pencha vers le caissier. Ils regardèrent tous deux dans notre direction, puis le caissier sortit de derrière le bar et se dirigea vers nous.

— Vingt-deux ! soufflai-je.

Pete lorgna les environs et plongea dans le fourre-tout. D’une main distraite, j’en rassemblai les bords. Le caissier s’approcha de la table et examina les deux banquettes.

— Excusez-nous, mon gars, dit-il, va falloir faire sortir ce chat.

— Quel chat ?

— Celui que vous avez fait boire dans cette soucoupe.

— Je ne vois pas de chat, moi.

Il se pencha, et regarda sous la table. Puis, d’un ton accusateur :

— Vous l’avez dans ce sac !

— Sac ? Chat ? fis-je, perplexe. J’ai l’impression que vous essayez de faire de l’esprit ?

— Hein ? Ne vous payez pas ma tête, vous avez un chat dans ce sac. Ouvrez-le.

— Avez-vous un mandat de perquisition ?

— Comment ? Ne dites pas de sottises !

— C’est vous qui dites des sottises ! Demander à voir l’intérieur de mon sac sans mandat de perquisition ! Quatrième Amendement… et d’ailleurs la guerre est terminée depuis des années. Bon. Maintenant que nous sommes d’accord, voulez-vous demander au garçon de me remettre la tournée, ou bien, apportez-la vous-même.

Il prit un air peiné.

— Écoutez, monsieur, ne croyez pas que j’aie quoi que ce soit contre vous personnellement, mais j’ai une licence dont je dois tenir compte. Voyez : Pas de chats. Pas de chiens. C’est inscrit là, regardez… Nous sommes tenus de suivre les instructions. Les règles d’hygiène doivent être respectées dans cet établissement.

— Votre règlement ne vaut rien.

Je ramassai mon verre.

— Vous voyez ces traces de rouge à lèvres ? Vous feriez mieux de surveiller celui ou celle qui lave votre vaisselle plutôt que de chercher noise à vos clients.

— Je ne vois pas de rouge, moi.

— Je l’ai essuyé. Mais si vous voulez que nous l’emportions à la Commission de la Santé publique, afin de faire faire un constat de bactéries ?

— Vous êtes mandaté ? questionna le caissier en soupirant.

— Non.

— Alors nous sommes quittes. Je ne fouille pas votre sac, et vous ne m’emmenez pas à la Commission de la Santé publique. Maintenant, si vous voulez boire un autre verre, veuillez le prendre au bar. C’est la maison qui vous l’offre. Seulement, pas ici, monsieur.

Il me tourna le dos et revint à sa caisse.

— Nous allions justement nous en aller, fis-je en haussant les épaules.

Comme je passais devant le bar en sortant, il leva la tête :

— Sans rancune ?

— Sans rancune. J’avais projeté d’amener boire mon cheval, mais puisque c’est comme ça, vous n’aurez pas notre clientèle.

— Comme vous voudrez. Notre règlement ne mentionne pas les chevaux. Mais, permettez, encore une petite chose : ce chat boit-il vraiment du ginger ale ?

— Quatrième Amendement, vous vous rappelez ?

— Je ne demande pas à voir l’animal, je voudrais simplement savoir.

— Il le préfère avec un peu de bitter, mais quand il y est forcé, il le boit pur.

— Il va complètement s’abîmer les reins. Tenez, regardez là, mon cher monsieur.

— Que voulez-vous que je regarde ?

— Penchez-vous un peu, que votre tête soit au même niveau que la mienne. Et maintenant, regardez le plafond au-dessus des boxes. Vous voyez les miroirs dans la décoration ? Je savais que vous aviez un chat… Je l’avais vu.

Je me penchai et regardai. Le plafond était décoré de motifs baroques parmi lesquels s’incrustaient des fragments de miroir. J’en aperçus un certain nombre, camouflés dans les dessins, et inclinés sous un angle qui permettait au caissier de s’en servir comme périscope sans quitter son siège.

— Il le faut bien, dit-il, sur un ton d’excuse. Si vous pouviez imaginer ce qui se passerait dans ces boxes, si nous ne les surveillions pas ! Ah ! c’est un triste monde, monsieur !

— Amen ! dis-je en sortant.

Sur le trottoir, j’ouvris le fourre-tout et le portai par une seule poignée. Pete sortit la tête.

— Tu as entendu ce qu’a dit cet homme, Pete ? C’est un triste monde. Pire que triste, lorsque deux amis ne peuvent s’asseoir ensemble et prendre tranquillement un verre sans être espionnés. A présent, ma décision est bien prise.

— M’nnan ?

— Si tu veux. Puisque nous allons le faire, inutile de tergiverser.

— Nnan ! répondit Pete avec emphase.

— A l’unanimité ! Il n’y a qu’à traverser la rue, c’est là.

* * *

La réceptionniste de la Mutual Assurance Co. était un ravissant exemple de beauté fonctionnelle. Malgré sa ligne effilée, elle déployait des aménagements frontaux montés sur radar et tout ce qu’il fallait pour sa mission de base. Je demandai à voir un responsable.

— Asseyez-vous, je vous prie. Je vais voir si un des représentants est libre.

Avant même que j’eusse le temps de m’installer, elle ajouta :

— Mr Powell va vous recevoir. Par ici, s’il vous plaît.

Le bureau qu’occupait Mr Powell me convainquit du fait que la Mutual était une compagnie florissante. Il me serra moitement la main, m’installa, m’offrit une cigarette et tenta de m’enlever mon fourre-tout. Je m’y agrippai de toutes mes forces.

— En quoi pouvons-nous vous être utile, monsieur ?

— Je désire prendre le Long Sommeil.

Ses sourcils remontèrent et ses manières se firent plus respectueuses. La Mutual se chargeait, sans doute, de fournir des placements pour 7 dollars, mais le Long Sommeil donnait la possibilité de disposer du capital entier du client.

— Très sage décision, fit-il d’une voix pleine de révérence. Que j’aimerais pouvoir en faire autant !… Malheureusement, je ne suis pas libre… vous comprenez… les responsabilités familiales, n’est-ce pas ?… (Il tendit la main vers un formulaire :) Les amateurs du Sommeil sont généralement pressés. Permettez-moi de vous aider en remplissant ceci pour vous. Ensuite, nous procéderons à l’examen médical.

— Un moment, je vous prie.

— Pardon ?

— Une question, d’abord. Avez-vous l’équipement nécessaire pour faire hiberner un chat ?

Il eut un air étonné qui se mua en contrariété.

— Vous plaisantez, dit-il.

J’écartai le haut du fourre-tout. Pete sortit la tête.

— Nous sommes deux inséparables. Ayez la bonté de répondre en toute sincérité à ma question. Si c’est non, je me dirigerai de ce pas jusqu’à laCentral Valley Liability. Leurs bureaux sont dans le même immeuble, n’est-ce pas ?

Cette fois, il fut horrifié.

— Monsieur… Heu ! Je n’ai pas compris le nom ?

— Dan Davis.

— Lorsqu’on passe notre porte, Mr Davis, on se trouve placé sous la protection bénévole de la Mutual. Je ne puis vous permettre d’aller à la Central Valley !

— Qu’envisagez-vous pour m’en empêcher ? Le judo ?