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Je fus très soulagé d’apprendre que Ricky était déjà au courant du mariage de Miles avec Belle. L’idée de le lui annoncer ne me plaisait guère. Elle leva les yeux, les rabaissa immédiatement et dit, sans laisser paraître la moindre émotion :

— Oui, je sais. Papa m’a écrit.

Elle eut subitement une expression sévère qui n’avait rien d’enfantin.

— Je ne retournerai pas là-bas, Danny, je ne veux pas y retourner.

— Mais… écoute, ma Rikki-tikki-tavi, je comprends parfaitement ce que tu éprouves… et je n’ai pas non plus envie que tu retournes là-bas. Je t’emmènerais bien moi-même si je le pouvais. Mais tu ne peux faire autrement. Miles est ton père et tu n’as que onze ans.

— Je ne suis pas forcée de retourner chez lui. Il n’est pas mon vrai père. Ma grand-mère va venir me chercher.

— Quoi ? Quand vient-elle ?

— Demain. Elle vient de Brawley. Je lui ai écrit pour tout lui raconter. Je lui ai demandé si je pouvais venir habiter chez elle, parce que je ne voulais plus retourner là-bas avec Belle.

Elle parvint à mettre plus de mépris dans ce seul prénom qu’un adulte ne serait parvenu à en accumuler dans une série d’imprécations.

— Grand-mère m’a répondu. Je ne suis pas forcée de retourner là-bas, m’a-t-elle dit, parce qu’il ne m’a jamais adoptée légalement et elle est restée mon tuteur légal.

Elle me regarda avec anxiété.

— C’est bien vrai, dis ? Ils ne peuvent pas m’y forcer ?

Une grande vague de soulagement m’envahit. Le souci qui m’avait tourmenté des mois durant, en vain, était de savoir comment réussir à soustraire Ricky à l’influence pernicieuse de Belle pendant… eh bien disons, deux ans.

— S’il ne t’a jamais adoptée légalement, Ricky, je suis persuadé que ta grand-mère a raison, et vous devez garder votre position sans flancher. (Je fronçai les sourcils et me mordillai la lèvre :) Tu pourrais avoir des difficultés demain. Ils peuvent peut-être t’empêcher de partir avec ta grand-mère.

— Comment le pourraient-ils ? Je grimperai dans la voiture et nous partirons.

— Ce n’est pas aussi simple que cela, Ricky. Les responsables qui dirigent ce camp sont obligés de suivre un règlement. Miles t’a confiée à eux, ils ne voudront pas que tu t’en ailles avec quelqu’un d’autre que lui.

Sa lèvre inférieure s’avança brusquement.

— Je n’irai pas. Je veux habiter chez grand-mère.

— Oui, bien sûr. Écoute. Je vais te dire ce qu’il faudra faire pour éviter les ennuis : si j’étais à ta place, je ne leur dirais pas que je vais quitter le camp. Je leur dirais simplement que grand-mère veut m’emmener faire une balade – et puis je ne reviendrais pas.

Elle se détendit légèrement.

— Bon…

— Heu… Ne fais pas de bagages, sans quoi on devinerait que tu as l’intention de ne pas revenir. N’essaye pas d’emporter d’autres vêtements que ceux que tu auras sur toi. Mets ton argent, ou ce que tu tiens vraiment à emporter, dans tes poches. Je suppose que tu n’as rien à quoi tu tiennes spécialement ?

— Je ne crois pas. (Mais elle prit un air mélancolique pour ajouter :) J’ai un costume de bain tout neuf.

Comment expliquer à une enfant qu’on est parfois obligé d’abandonner ses bagages ? Les gosses entreraient dans une maison en flammes pour sauver une poupée ou un éléphant en peluche.

— Écoute, Ricky, tu demanderas à ta grand-mère de leur dire qu’elle t’emmène nager à Arrowhead… Qu’il se peut qu’elle dîne avec toi ensuite, mais qu’elle te ramènera avant l’heure du couvre-feu. De cette façon, tu pourras emporter ton maillot et une serviette. Mais rien d’autre. Ta grand-mère ne sera pas choquée à l’idée de raconter une blague ?

— Je ne pense pas. Je suis sûre qu’elle le fera. Elle dit souvent que les gens sont obligés de raconter des blagues, sans quoi ils ne se supporteraient pas. Elle dit aussi que les blagues ont été faites pour qu’on en use sans en abuser.

— Elle me semble tout à fait intelligente. Tu feras ce que je t’ai dit, n’est-ce pas ?

— Oui, Danny.

— Bon.

Je ramassai l’enveloppe chiffonnée.

— Ricky, je t’ai dit qu’il me fallait partir. Je dois m’en aller pour une assez longue période.

— Combien de temps seras-tu parti ?

— Trente ans.

Ses yeux s’élargirent encore. A onze ans, trente ans, ce n’est pas long, c’est l’éternité.

— Je suis désolé, Ricky. Je ne peux pas faire autrement.

— Mais pourquoi ?

Je ne pouvais répondre à cette question. La vérité lui aurait paru incroyable, et il ne m’était pas possible de lui mentir.

— C’est trop compliqué à t’expliquer, Ricky. Tout ce que je puis te dire est que j’y suis obligé. Je n’y peux rien. (J’hésitai, puis ajoutai :) Je vais faire une cure de Sommeil. Tu sais ce que c’est ?

Elle savait. Les enfants s’habituent aux idées neuves bien plus vite que les adultes. Le sommeil hypothermique était un des thèmes favoris des illustrés pour enfants.

Elle eut l’air horrifié, et protesta vivement.

— Non, Danny ! Je ne te reverrai jamais plus !

— Bien sûr que si. C’est assez long, mais nous nous reverrons. Et Pete aussi. Parce que Pete va m’accompagner, il va suivre une cure avec moi.

Elle regarda Pete et parut encore plus triste.

— Mais, Danny, pourquoi ne viens-tu pas avec Pete chez grand-mère, à Brawley ? Vous pourriez habiter chez nous. Ce serait tellement mieux ! Grand-mère aimerait Pete. Et toi aussi, elle t’aimerait. Elle dit toujours qu’il faut un homme dans une maison.

— Ricky, chère Ricky, je dois m’en aller.

Je me mis à ouvrir l’enveloppe.

Elle se fâcha et son menton se mit à trembler.

— Je crois qu’elle a quelque chose à voir avec ton départ.

— Quoi ? Si tu veux parler de Belle, tu te trompes entièrement.

— Elle ne suit pas la cure avec toi ?

Cette idée me fit frémir.

— Mon Dieu, non ! Je ferais des kilomètres pour l’éviter.

Ricky sembla se détendre un peu.

— Tu sais, j’ai été si fâchée contre toi à cause d’elle !

— Je regrette, Ricky, je le regrette vraiment. Tu avais raison, et j’avais tort. Mais je te donne ma parole que j’en ai fini avec elle, fini pour toujours. Maintenant, à propos de ceci… (Je lui montrai mon certificat de possession d’actions de Robot Maison) sais-tu ce que cela représente ?

— Non.

Je lui donnai des explications.

— Je te donne ce papier, Ricky, parce que je vais être absent longtemps, et que je désire que ce soit toi qui le gardes.

Je pris à l’intérieur de l’enveloppe la feuille de papier sur laquelle j’avais assigné mes possessions au nom de Ricky, et la déchirai, fourrant les débris dans ma poche. Il fallait s’y prendre autrement ; il eût été trop facile à Belle de falsifier ce document. Je retournai le certificat et examinai la formule d’endossement en réfléchissant au moyen de faire tenir le texte nécessaire dans les interlignes. Je parvins à y écrire une assignation à la Bank of America, pour le compte de…

— Dis-moi, Ricky, quel est ton nom complet ?

— Frederica Virginia. Frederica Virginia Gentry, tu sais bien.

— Pourquoi Gentry ? Tu m’as dit que Miles ne t’avait pas adoptée légalement.

— Oh ! je suis Ricky Gentry depuis si longtemps ! Tu veux dire mon vrai nom ? C’est le même que grand-mère… celui de mon vrai papa, Heinicke. Mais personne ne m’appelle jamais comme ça.