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Le Robot Maison premier modèle se vendait comme de la bière en été. J’étais très occupé à lui apporter des améliorations et à organiser un plan de travail rationnel. Et aussi à former un bon vendeur. Cela fait, je me mis gaiement à songer à d’autres instruments ménagers. La quantité de véritable réflexion consacrée aux travaux ménagers est incroyablement maigre, surtout quand on se rappelle que ce domaine représente au moins 50 % de l’ensemble du travail qui est exécuté dans le monde. Les magazines féminins parlaient de « travail rationnel chez soi » et de « cuisines mécanisées ». Ce n’étaient que bavardages. Leurs jolies photos étalaient des commodités qui ne valaient guère mieux que celles du temps de Shakespeare. La révolution cheval-avion n’avait pas, et de loin, atteint les foyers domestiques.

Ma conviction que les femmes d’intérieur sont réactionnaires s’ancrait ferme. Il fallait éviter les « machines à vivre » et s’en tenir à de petites trouvailles qui remplaceraient les servantes disparues, c’est-à-dire exécuteraient les travaux ménagers : nettoyage, cuisine et soins aux bébés.

Les fenêtres sales et la ligne de crasse autour de la baignoire se mirent à me tourner en tête… C’est un travail si pénible, le nettoyage d’une baignoire ! On est obligé de se plier en deux, on a mal aux reins, on a le sang au visage… Je découvris qu’un certain dispositif électronique faisait littéralement s’évanouir la saleté sur les surfaces en verre poli. Verres, porcelaines, vitres, faïences avaient trouvé leur maître. Et ce fut le Robot Maison Lave-Tout. C’était un miracle que personne n’y eût songé plus tôt ! Je ne le mis en vente que lorsque je fus en mesure de l’offrir sur le marché à un prix assez bas pour que personne ne pût se le refuser. Savez-vous les sommes fabuleuses englouties en ces temps-là dans le nettoyage des carreaux ? Rien qu’à l’heure !

Au goût de Miles, j’avais gardé notre nouvel appareil trop longtemps hors du marché. Il voulait le mettre en vente dès que le prix en serait assez bas, mais j’avais une nouvelle exigence : je voulais qu’il fût facile à réparer. Le plus grand désavantage des inventions ménagères est que, plus elles sont utiles et pratiques et plus leur usage est efficace, plus elles se détraquent au moment précis où on en a besoin. Il faut alors un spécialiste, qui demande un prix fou, pour les remettre en état de marche. Et la même comédie recommence la semaine suivante. Si ce n’est pas la machine à laver la vaisselle, ce sera l’appareil à conditionnement d’air… un samedi soir de préférence, quand il y a une tempête de neige !

Mes instruments à moi, je les voulais fonctionnant sans pépin. Je les voulais amis du foyer et non cause de migraines et de crises de nerfs.

Seulement, voilà, tous les instruments se détraquaient, même les miens ! Jusqu’à cette époque-là, sans éléments mobiles, la mécanique était bien fragile. On pouvait avoir une maison pleine d’instruments de toutes sortes, bon nombre de ceux-ci étaient toujours en panne.

La Recherche militaire, ainsi que je l’ai déjà fait remarquer, obtient des résultats positifs et les militaires avaient résolu ce problème depuis longtemps. On ne perd pas une bataille, des milliers, voire des millions de vies humaines, la guerre même, simplement à cause de la mise hors d’usage d’un petit outil haut comme le pouce ! Les militaires ont ce qu’ils nomment des solutions de sécurité. Cela va du remplacement de l’instrument défectueux au repli stratégique, en passant par la trêve… L’un de leurs moyens se révéla utilisable sur le plan des instruments ménagers : celui des éléments interchangeables.

C’est un principe d’une simplicité enfantine : ne réparez pas, remplacez !

Je voulais que chaque élément susceptible de panne dont se composerait notre robot fût remplaçable sans outillage spécialisé. Chaque robot devait s’accompagner d’une série des éléments essentiels à sa bonne marche. De cette façon, il ne ferait jamais faux bond à sa maîtresse. On ôterait simplement ce qui ne fonctionnerait pas et on le remplacerait sur-le-champ.

Ce fut là notre première discussion. Miles voulait mettre l’appareil sur le marché malgré les défaillances possibles qu’il pouvait avoir. Moi, je prétendais être seul à décider si oui ou non, il était digne d’affronter la clientèle. Miles proclamait que cela faisait partie des prérogatives du directeur commercial. Je maintenais que le directeur technique était seul responsable. Si je n’avais pas eu le contrôle de l’affaire, Miles n’en aurait fait qu’à sa tête…

Belle Darkin mit de l’huile dans les rouages et ramena la paix. J’avoue que si elle l’avait voulu, je me serais laissé persuader de donner carte blanche à Miles. Belle avait une emprise entière sur moi, j’en étais fou.

Elle n’était pas seulement une secrétaire parfaite et un chef de bureau efficace, elle possédait des atouts personnels qui eussent ravi Praxitèle, plus un parfum bouleversant.

Si, dans une période de pénurie d’employées de bureau, l’une des meilleures consent à travailler pour une maison de moindre importance (la nôtre n’était qu’une très petite affaire en ces temps-là) et à un tarif inférieur au tarif syndical, on est en droit de se demander : « Pourquoi ? ». Pourtant, nous ne lui demandâmes même pas ses références, tant nous étions heureux de la voir nous sortir de l’avalanche de paperasses suscitées par le succès de notre entreprise.

Par la suite, c’est avec indignation que j’aurais rejeté l’idée de m’informer de ses antécédents. Mon jugement était terriblement influencé par les courbes de sa silhouette.

Elle prêta l’oreille à l’histoire de ma vie solitaire, sympathisa, et sourit en m’entendant affirmer qu’elle transformait mon horizon. Il faudrait, me confia-t-elle, qu’elle me connût mieux, mais il lui semblait être dans les mêmes dispositions vis-à-vis de moi.

Peu après avoir ramené la paix entre Miles et moi, elle accepta de partager ma vie.

— Dan chéri, tu as l’étoffe d’un grand homme, et j’ai l’impression que je suis la femme qui saura te seconder.

— Sans aucun doute !

— Doucement, mon chéri ! Je veux travailler avec toi. T’aider à construire solidement cette affaire. Nous nous marierons plus tard. Je ne voudrais pour rien au monde être un sujet de soucis en te donnant des enfants… Ce serait prématuré…

J’eus beau protester qu’elle ne serait jamais un sujet de soucis, elle tint bon.

— Non, Dan chéri. Nous avons une longue route à parcourir, toi et moi. Robot Maison deviendra un nom aussi célèbre que General Motors. Quand je me marierai, j’ai l’intention de ne plus m’occuper d’autre chose que du bonheur de mon mari. Fini le bureau pour moi. Je deviendrai la parfaite femme d’intérieur. Mais auparavant, il faut que je me dévoue à ta réussite. Aie confiance en moi, mon chéri.

Et je lui fis confiance. Elle refusa d’accepter la bague de fiançailles (un diamant de six carats) que j’aurais payée à crédit, au lieu de quoi je lui fis don d’une partie de mes actions : c’était un cadeau d’accordailles. Il était entendu que je gardais une majorité verbale et le droit prioritaire de vote. A présent, je n’arrive pas à me rappeler lequel de nous eut l’idée de ce présent…

Aussitôt après, je me mis à travailler avec un acharnement décuplé. Je rêvais à des poubelles qui se videraient toutes seules, à un système qui remettrait les assiettes en place après la vaisselle… Nous étions tous heureux, c’est-à-dire tous sauf Pete et Ricky. Pete ignorait Belle, comme il le faisait pour tout ce qu’il désapprouvait sans pouvoir y changer quelque chose. Quant à Ricky, elle était vraiment très malheureuse.

A qui la faute ? A moi !

Depuis l’âge de six ans, Ricky était ma « petite amie ». Cela avait commencé à Sandia, elle portait encore des rubans dans les cheveux et ses larges yeux noirs étaient déjà graves. Quand elle serait grande, j’allais me « marier avec elle », et nous « prendrions soin de Pete…». Je considérais cela comme un jeu. C’en était probablement un, Ricky ne prenant la chose au sérieux que pour autant que cela la rendrait entièrement maîtresse de Pete.