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Il a pris un instant pour rassembler ses idées.

« Mais nous avons la preuve que tu as bien appelé ta mère aujourd’hui… La durée de votre conversation correspond… Et il y a le type du garde-meubles, qui a confirmé que ce box a bien été loué par elle. Il y a aussi un témoin qui t’a vu fouiller le box, il dit que tu avais l’air dans tous tes états et qu’il a cru voir des billets… Et puis, il y a Charlie et tes copains, qui nous ont raconté vos expéditions chez Taggart et chez les Oates. Nate Harding, de son côté, a confirmé votre visite et l’existence d’un maître chanteur… Enfin, on a trouvé de minuscules traces de sang dans votre bateau… Le poste de pilotage a été nettoyé, mais pas suffisamment. Du sang s’est incrusté dans les tissus. D’ores et déjà, nous savons que c’est le même groupe sanguin que celui de Naomi, le labo va très certainement nous confirmer que c’est bien le sien. Si l’on tient compte de tous ces éléments, eh bien… on peut d’ores et déjà établir que tu nous as dit la vérité. »

Il m’a souri — et j’ai deviné son soulagement.

« Il y a quelqu’un qui t’attend dehors », a-t-il ajouté.

J’ai levé les yeux.

« Il s’appelle Grant Augustine, il affirme que tu le connais, c’est vrai ? »

Cette fois, la brume s’est entrouverte. Un éclair de conscience m’a parcouru de la tête aux pieds.

« Oui. »

Il a plongé son regard dans le mien. Un regard aussi aiguisé qu’un couteau.

« Je ne sais pas d’où sort ce type, mais il a une véritable armée avec lui… J’ai appelé le FBI. Et ils m’ont dit que je devais lui faciliter la tâche ! Bon Dieu, on dirait que l’attorney général en personne vient de débarquer ! Qui est-ce, Henry ?

— C’est mon père, j’ai dit froidement.

— Quoi ? »

Je me suis soudain redressé sur ma chaise et j’ai regardé autour de moi.

« Je pourrais avoir un café ? Un grand… avec plein de caféine dedans. »

Il a lorgné la pendule. « Tu es sûr ? Tu ne préfères pas plutôt quelque chose pour dormir ?

— Un café. Et une barre chocolatée, si vous avez. »

J’avais parlé d’une voix forte et ferme, tout à coup.

Il s’est levé. Sans faire mystère de sa surprise.

« Bien sûr. Je t’apporte ça tout de suite. »

Quand le deuxième taxi l’eut déposé devant le numéro indiqué, Noah s’attarda un instant dans la soirée bien plus douce qu’à Seattle et contempla les maisons illuminées entre les arbres alignés le long de la rue. Elles semblaient tout droit sorties d’un film de Billy Wilder.

North La Jolla Avenue, à West Hollywood. La plupart étaient des bâtisses minuscules aux toits de tuiles rouges construites dans le plus pur style californien entre les deux guerres mondiales. Leurs propriétaires les avaient rénovées et agrandies sur l’arrière d’énormes extensions jusqu’à en tripler ou en quadrupler la surface habitable.

Un 4 × 4 Mercedes ML350 était garé au bord du trottoir, que Noah traversa pour aller sonner au pilier, près des poubelles. Deux gamins passèrent autour de lui en trottinette. Noah les suivit un instant des yeux. Cette rue rectiligne était très différente de l’étroit canyon serpentant au fond des collines de Hollywood. Ici, la nuit de Los Angeles avait un parfum de goudron et d’essence.

Quand il reporta son attention sur la maison, la porte d’entrée était ouverte. Un type dans la quarantaine se tenait sur le seuil.

« Doug ? dit-il.

— Oui ? »

Noah sentit son pouls s’accélérer un peu. Enfin, peut-être, de la chance… Il s’avança lentement sur la petite allée, entre deux palmiers nains éclairés par des spots. Doug était plus petit que lui, comme la plupart des gens. Ses cheveux bouclaient sur ses oreilles, sa peau était bronzée sous une barbe de six jours — et il avait des singes sur sa chemise. On est à L.A., se dit Noah. Ses yeux d’un brun chaud se plissèrent derrière ses lunettes carrées à monture noire tandis qu’il examinait Noah avec son sac de voyage, debout près d’une jarre en terre cuite où flottaient des lis d’eau.

« Je m’appelle Noah Reynolds, je suis détective privé, annonça Noah de cette voix raisonnable qu’il employait toujours pour rassurer ceux qui recevaient sa visite. J’aimerais vous poser quelques questions…

— À quel sujet ?

— Henry, ça vous dit quelque chose ? »

Le regard derrière les lunettes lui fournit la réponse.

« Peut-être…

— Il a seize ans aujourd’hui. Ses mamans s’appellent Liv et France…

— Qui vous envoie, monsieur Reynolds ?

— Quelqu’un qui pense qu’il n’est pas coupable de ce dont on l’accuse.

— Et de quoi est-ce qu’on l’accuse ?

— De meurtre. »

Il vit une lueur s’allumer dans les yeux de Doug.

« Que savez-vous d’autre au sujet de ses mamans et de moi ? »

Noah soutint le regard attentif et décontracté. « Que vous êtes le donneur du sperme qu’elles ont utilisé quand elles ont voulu concevoir un enfant par insémination artificielle. »

Doug Clancey eut un mouvement du menton et le précéda sous le porche de sa maison. L’intérieur était moderne, épuré. Il ne restait rien de celle des années 20, à part les murs extérieurs. « Scotch, bourbon ?

— Rien, merci. »

Noah attendit que Doug se fût servi une large rasade. Un coup d’œil lui suffit pour deviner que le bonhomme vivait seul. Il y avait de la vaisselle dans l’évier, l’ordinateur était allumé sur le comptoir de la cuisine, devant le seul tabouret, et Noah vit qu’il était connecté à un site de discussion en ligne.

« Alors, monsieur Reynolds, dit Doug en se retournant, un verre à la main, qu’est-ce que vous voulez savoir ? »

Noah lui tendit la fiche du donneur 5025 EX extraite des archives de Jeremy Hollyfield. Doug la prit.

« C’est vous, n’est-ce pas ?

— Je croyais que cette information était confidentielle… Comment vous l’êtes-vous procurée ?

— Vous avez donné votre sperme aux mamans d’Henry, vous le saviez apparemment : quand j’ai évoqué son nom tout à l’heure, vous avez réagi. Pourtant, en tant que donneur anonyme, vous n’étiez pas censé connaître la destination de votre sperme, je me trompe ?

— C’est un peu plus compliqué que ça.

— C’est vous le père ?

— C’est un peu plus compliqué que ça… »

J’ai avalé le café et la barre de Kit Kat, puis j’ai dit à Krueger :

« Est-ce que quelqu’un peut le prévenir que j’arrive ?

— Tu as bien réfléchi ? a dit Platt. Tu es en train de traverser la pire épreuve de ta vie, Henry. Tu es extrêmement fragile. Vulnérable. Et tu ne sais rien de cet homme, de ce qu’il te veut. Pourquoi il apparaît maintenant, après tout ce temps ? Tu en as une idée ? Pourquoi il ne s’est pas manifesté avant ? Tu devrais peut-être attendre…

— Attendre quoi ? j’ai rétorqué. Je n’ai plus de famille, plus de toit, plus rien. Il est tout ce qu’il me reste.

— Tu peux venir chez nous, si tu veux, a dit Platt, qui était marié et qui avait deux filles. Le temps de te remettre sur les rails et de réfléchir à ton avenir… Prends le temps qu’il faudra. »

J’ai été surpris par sa proposition et, durant une seconde, elle m’a touché au point que j’ai eu du mal à garder mon sang-froid. Mais j’ai secoué la tête.