Выбрать главу

« Merci… C’est très généreux de votre part… mais je crois que c’est le moment ou jamais, qu’il faut que je le fasse, que j’aille à la rencontre de mon… père. Laissez-moi seulement quelques minutes.

— Bien sûr. »

Je suis allé me réfugier dans les toilettes, je me suis assis sur les W-C et là, les coudes sur les genoux et les mains derrière la nuque, j’ai chialé. Secoué par des sanglots hystériques. Emporté par une vague de chagrin immense. J’ai versé des larmes de gosse sur mes mamans, sur Naomi, sur tout ce que j’allais laisser derrière moi : Charlie, Johnny, Kayla, l’île… Cette vie qui avait été la mienne pendant sept ans. Je pleurais si fort que je m’en étouffais presque ; mes larmes trempaient le devant de mon tee-shirt.

Je voulais me soulager maintenant pour ne pas craquer devant lui. Je voulais qu’il voie combien son fils était fort. Quand mes larmes se sont enfin taries, j’ai séché mes joues avec le rouleau de papier hygiénique et j’ai tiré la chasse. En ressortant, j’ai rincé mon visage à l’eau froide ; je l’ai ensuite essuyé avec un pan de ma chemise. Je me suis regardé dans la glace, j’ai attendu que mes yeux gonflés soient secs, j’ai respiré un bon coup, et puis je les ai rejoints.

« Je peux vous demander ce que vous faites dans la vie, Doug ? »

Assis dans un fauteuil de cuir noir, Noah vit Doug sourire.

« Je sais que ça ne se voit pas, mais je suis chercheur. Je dirige le CNSI, le California NanoSystems Institute, un département de recherche intégré sur les nanotechnologies, dans lequel collaborent des chimistes, des biochimistes, des physiciens, des mathématiciens, des biologistes… mais je ne voudrais pas devenir ennuyeux.

— Donc, vous étiez leur voisin et leur ami ?

— Oui. (Pendant une seconde, Doug parut loin.) Nous étions vraiment très complices, vous savez… très proches… Elles étaient bien plus que des amies, en fait… Mes sœurs, ma famille… Nous étions tous les jours les uns chez les autres, on vivait quasiment ensemble. Il n’y a que la chambre à coucher qu’on ne partageait pas. J’aurais fait n’importe quoi pour elles et inversement — on s’adorait… Vous savez : comme dans Friends. Ou dans cette autre série : The L World. »

Noah ne savait pas ; il ne regardait jamais les séries télé.

« Et elles ont décidé d’avoir un enfant ?

— Oui… Elles ne voulaient pas faire appel à une banque du sperme, à une de ces entreprises qui font ça uniquement pour le fric, ni même à une société d’utilité publique. Non, elles voulaient connaître intimement le donneur. Alors, elles ont passé en revue les hommes de leur entourage et… d’après elles, j’étais… eh bien, le meilleur choix… »

Il avait conclu par un sourire modeste à la fin, mais Noah devina que ce n’était pas de la vanité travestie en humilité ; plutôt un embarras sincère à se mettre en avant.

« Mais bien sûr, en ce temps-là, je n’étais qu’un jeune chercheur fauché. Je me souviens qu’elles prenaient l’affaire très au sérieux : elles notaient scrupuleusement les périodes d’ovulation ; elles avaient installé un grand tableau dans leur salon ; dans la colonne “plus”, les qualités qu’elles voulaient pour leur donneur. Dans la colonne “moins”, les défauts rédhibitoires : faible, suiveur, hypocrite, velléitaire, borné, radin, snob, arrogant, stupide, chauve, conservateur, etc. Un jour, je me suis approché du tableau, j’ai passé en revue les deux colonnes et j’ai dit : “C’est tout moi.” Et là, elles se sont regardées et elles ont dit : “Mince, c’est vrai ! tu ne veux pas être notre donneur ?” Et là, je leur ai avoué que je donnais déjà mon sperme ; je leur ai parlé du Centre de la fertilité de Santa Monica…

— Jeremy Hollyfield…

— Oui. Un bel escroc, si vous voulez mon avis… Il se présentait comme s’il était la Mère Teresa des couples de lesbiennes alors qu’il ne pensait qu’à faire du pognon. »

Noah commençait à comprendre le choix des mamans d’Henry : en plus d’un physique avantageux et d’une tête bien faite, Doug était un type sympathique, faisant preuve d’une assurance à toute épreuve mais sans aucune arrogance.

« Voilà pourquoi vous connaissez le nom d’Henry… Votre fils… »

Doug secoua la tête, une ride barrant son front.

« Non, non, attendez, vous n’y êtes pas du tout : l’histoire n’est pas finie… Bref, tout s’est mis en place. C’était France qui devait porter l’enfant. Après plusieurs tentatives ratées, elle a fini par tomber enceinte. (Noah vit Doug redevenir songeur.) Je me souviens comment elle préparait la maison pour la venue de l’enfant… lui achetait des vêtements, des jouets… Mais elle a fait une fausse couche… Elles ont un temps envisagé que ce serait Liv qui le porterait, puis elles ont finalement opté pour l’adoption.

— L’adoption… », répéta doucement Noah.

Son changement d’attitude n’échappa pas à Doug.

« On en arrive au point crucial, je me trompe ? »

Noah acquiesça.

« Là aussi, ça a été long et compliqué. Je vous passe les détails. C’est loin, mais c’est une période de ma vie que je n’oublierai jamais. Je m’en souviens parfaitement — bien plus nettement, en vérité, que les années qui ont suivi leur départ. Enfin, bref : un soir, je suis rentré du boulot et elles étaient là, dans mon salon — avec Henry. »

« C’est bon, ai-je dit à Krueger. Je suis prêt… »

Le shérif m’a lancé un regard quasi paternel. Lui et Platt m’ont encadré comme deux gardes du corps — étrange trio : l’un plus petit, l’autre plus grand que moi — et ils m’ont accompagné vers la porte blindée et le sas. Puis nous avons franchi la dernière porte, et j’ai senti la pluie sur mon visage. Les flashes des photographes ont crépité et un type s’est approché, caméra sur l’épaule. Des micros se sont tendus, mais le shérif les a repoussés.

« Nous ferons une déclaration plus tard. Laissez passer s’il vous plaît ! »

On a franchi tant bien que mal la petite foule.

Et c’est là que je vous ai vu.

42.

Réunis

« Oui », dit Grant Augustine.

Il revit cet instant où Henry était apparu en haut des marches, sortant des bureaux du shérif. Ce… miracle. Grant se tenait de l’autre côté de la rue, Jay à côté de lui.

Et il l’avait vu.

Pour la première fois en chair et en os.

Son fils.

Henry.

Il l’avait vu fendre la petite foule pour venir jusqu’à lui. Il avait l’air atrocement fatigué, les traits tirés, les yeux cernés d’ombres profondes — mais Grant avait perçu cette force intérieure qu’ils partageaient, cette volonté farouche de faire face à tout, quoi qu’il en coûte, de se relever toujours, et il avait éprouvé une fierté irrationnelle.

Son fils s’était arrêté à moins d’un mètre de lui. Il fixait Grant, guettant la moindre de ses réactions. Le silence avait duré plusieurs secondes.

« Tu sais qui je suis ? » avait finalement dit Grant.

Henry avait hoché la tête. Grant avait alors fait un pas de plus et il l’avait pris dans ses bras. Ils s’étaient étreints — père et fils — comme s’ils s’étaient quittés une semaine plus tôt. Appuyés l’un contre l’autre, sous la pluie, sans un mot. Après quoi, Grant l’avait écarté pour essuyer le sang qui coulait de sa narine.