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Il se passa une main sur la figure, Noah vit une micro-sueur perler sur son front.

« On pense que le père a essayé de se hisser par la chaîne d’ancre mais, à ce moment-là, ils avaient sans doute beaucoup nagé et plongé et il était déjà trop épuisé. Il est peut-être retombé dans l’eau, qui sait ? Il a peut-être refait une tentative… mais ses muscles étaient pleins d’acide lactique, vous voyez ? Ils ont dû se tétaniser : il a été le premier à couler, la mère a tenu quelques heures de plus d’après leur autopsie. Rendez-vous compte : ses parents se sont noyés sous ses yeux !… Et, pendant tout ce temps, l’enfant est resté là : assis sur le pont, à les regarder mourir. Quand les secours l’ont trouvé, il est resté très calme. Il ne pleurait pas. Il était juste… apathique. Les sauveteurs ont mis ça sur le compte du choc qu’il avait subi. Toutes ces heures en mer avec ses parents en train de hurler et d’agoniser… Aucune photo de l’enfant n’a été communiquée à la presse. Mais je suis presque sûr qu’il s’agissait d’Henry. Dans un article du Los Angeles Times, il y avait un cliché en encadré plus ancien : le gosse sur cette photo ressemblait vraiment beaucoup à Henry… »

Doug avait le regard brillant derrière ses lunettes.

« Bonté divine, quel enfer ! conclut-il, et sa voix s’étrangla. Il y a une mauvaise étoile pour certains, comme il y en a une bonne pour d’autres.

— Vous permettez que je passe un coup de fil ? » demanda Noah.

Doug acquiesça. Noah se leva. Il attrapa son téléphone, sortit sous le porche et appela Jay.

« Quel est le groupe sanguin de ton patron ? » demanda-t-il.

Jay n’hésita qu’une demi-seconde : « AB positif… Pourquoi cette question ? »

Noah le lui dit et il attendit les instructions. Au-dessus de sa tête, des palmiers longilignes s’élançaient dans la nuit. En baissant les yeux, il aperçut la lueur des télévisions derrière les fenêtres.

« Non… c’est inutile… Jay, ce type ne présente aucun danger… Il te suffit de le mettre sous surveillance… »

Il raccrocha et rentra dans la maison.

« Merci beaucoup, Doug. Vous avez été très aimable. Vraim… »

La pièce était vide. Et silencieuse. Noah sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Il tourna sur lui-même. Doug surgit d’un coin d’ombre.

« Bon Dieu ! dit Noah. Vous m’avez fichu la trouille ! »

Doug se contenta de sourire. Noah se baissa pour se saisir de son sac de voyage.

« Doug, une dernière chose : vous ne parlerez de cette histoire à personne, vous m’entendez ? Les gens qui m’emploient ne plaisantent pas, en général… »

Doug hocha la tête.

« Quelle histoire ? » répondit-il.

Noah sourit.

« Merci, Doug. Je ne vais pas vous embêter plus longtemps. »

Downtown Los Angeles. Noah se glissa dans l’ascenseur de verre du Westin Bonaventure Hotel en compagnie de deux congressistes qui portaient un badge sur leur veste. Ils se mirent à grimper. Les bassins et les jets d’eau du hall s’éloignèrent et ils se retrouvèrent suspendus en plein ciel — à l’extérieur.

« Putain, dit le plus jeune. C’est dans cet ascenseur qu’ils ont tourné cette scène de True Lies. Tu sais, celle où Arnold Schwarzenegger entre à cheval dans une cabine d’ascenseur. »

De fait, une plaque indiquait qu’une scène du film avait été tournée ici, mais Noah s’en fichait pas mal. Tout comme du spectacle des gratte-ciel illuminés grimpant à l’assaut de la nuit et de l’immense conurbation scintillante étalée à leurs pieds sur des centaines de kilomètres carrés — tapisserie de lumière, artères de feu, galaxies tentaculaires, noces du néon et du désert…

Jusqu’à l’horizon.

« C’est une ville faite pour baiser, dit le second, plus âgé. J’ai envie de baiser. J’ai envie d’une chatte. »

Voix avinées. Ils portaient des alliances. Encore un de ces types qui prenaient de la testostérone pour rajeunir. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et ils sortirent au vingt-septième en gloussant. Le plus jeune avait du mal à marcher droit. Noah les suivit des yeux pendant que les portes se refermaient, puis il continua de grimper.

Trente-deuxième.

Il alluma toutes les lampes de la suite, balança le sac de voyage sur le lit, défit le col de sa chemise et, ignorant la vue, ouvrit le minibar et attrapa un jus de fruits.

Il consulta sa montre.

Vingt-trois heures quinze. Il lui restait une dernière chose à vérifier.

Une minute plus tard, assis au bord du lit, il était au téléphone avec le directeur indien du casino.

Il regarda à travers la baie, finalement. Apparemment, le monde continuait de tourner sur son axe, les voitures et les taxis de tracer leur route sur les échangeurs géants de L.A., l’espèce humaine de se précipiter vers son extinction.

Mais ici, dans cette suite, le temps s’était arrêté.

43.

Réveil

Jay réveilla Henry à 3 heures du matin.

« Lève-toi.

— Quoi ?

— Lève-toi et habille-toi. »

Il lança les vêtements du gamin sur le lit.

« Qu’est-ce qui se passe ? demanda celui-ci.

— Dépêche-toi, dit Jay sans répondre. Je t’attends dans la pièce d’à côté. Et évite de faire du bruit. »

44.

« Monte »

Henry rejoignit Jay dans les salons une minute plus tard ; presque toutes les lumières étaient éteintes, à part deux petites lampes près des fauteuils.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

Jay l’attrapa par le bras et l’entraîna vers la porte de la suite.

« Une minute ! dit Henry en renâclant. Où est-ce qu’on va ?

— Tu verras… »

Henry essaya de se libérer.

« Pourquoi mon père n’est pas là ? Il est au courant ? »

Jay se retourna face à lui ; il approcha sa bouche de l’oreille d’Henry.

« Je sais tout. Alors, si tu tiens à rester le fils de ton père, t’as intérêt à me suivre…

— Je ne comprends rien.

— Suis-moi, et tu comprendras. »

Cette fois, Henry obéit. Jay y vit la preuve que Noah et lui ne s’étaient pas trompés.

Ils prirent l’ascenseur. Henry jeta un coup d’œil discret à Jay. Absorbé par ses pensées, celui-ci gardait le silence.

Lorsqu’ils émergèrent du hall de l’hôtel, la nuit était noire et humide, hostile, et la pluie les doucha. De l’autre côté de la route, dans la lueur des lampes, la mer était grosse et les vagues se balançaient bruyamment contre les rochers. Ils marchèrent jusqu’à la petite marina, descendirent les degrés de pierre et atteignirent un ponton éclairé et luisant.