Выбрать главу

J’ai traversé silencieusement le séjour, jusqu’au couloir qui mène à leurs bureaux, tandis que le pinceau du phare passait sur le mobilier et les murs. Pour la deuxième fois en quelques jours, je suis entré dans celui de Liv, où se trouve le meuble à tiroirs métallique dans lequel elles classent tous leurs papiers. J’avais l’intention de le fouiller plus méthodiquement, cette fois. En entrant, je n’ai pas allumé le plafonnier ni la lampe en verre multicolore posée sur l’antiquité qui lui sert de table de travail ; j’ai deviné la forme sombre du sorbier derrière les lames des stores et les langues de brume qui léchaient la vitre.

Le tiroir a grincé faiblement quand je l’ai ouvert. J’ai plongé le faisceau de ma torche à l’intérieur comme un dentiste examinant une bouche aux dents cariées et j’ai commencé à passer en revue les dossiers suspendus. Je ne sais pas ce que je cherchais, au juste. Si, dans les films, ceux qui font ça sont dotés d’un instinct très sûr ou d’une chance insolente, ce ne fut pas mon cas. Je passai l’heure suivante à sortir des chemises, à examiner la paperasse qu’elles contenaient. Pour que dalle. Factures de téléphone, d’électricité, de bois, de la société de surveillance, réservations de clients pour l’année prochaine, comptabilité du bed and breakfast, relevés de banque… Je tâtonnais dans le brouillard, à la recherche d’une chose dont j’ignorais la nature, mais dont je supposais que, quand je le verrais, je comprendrais l’importance… Sauf qu’il n’y avait rien de tel dans ces tiroirs. À part une grande enveloppe scellée et sans inscription, mais je n’avais pas le temps de l’ouvrir et de la recoller ensuite. J’ai refermé les tiroirs et je me suis approché du vieux bureau.

S’il y avait quelque chose, ce devait être ici, dans cette pièce, me suis-je dit.

J’ai glissé les doigts sous le sous-main en cuir. Rien. Ouvert les trois petits tiroirs sur le côté. Rien. Puis le tiroir central. Des stylos, des enveloppes, des trombones, une paire de ciseaux, une agrafeuse.

À tout hasard, j’ai passé la main sous le panneau supérieur, au-dessus du tiroir, comme ils font dans les films. Faut croire qu’on regardait les mêmes : j’ai senti un objet sous mes doigts, accroché avec du ruban adhésif.

Ça m’a presque fait sourire. La façon dont le cinéma nous a conditionnés.

Cette clé planquée là : du pur cinoche.

Je l’ai détachée, tout doucement — en espérant que le ruban voudrait bien adhérer de nouveau après ça.

Je l’ai examinée dans la lueur de la torche.

J’étais sûr qu’elle n’ouvrait aucune serrure de la maison. C’était une clé de cadenas. Une grosse clé pour un gros cadenas.

Mais pour ouvrir quoi ? Cette clé, c’était une impasse sans la serrure qui allait avec. Il n’y avait aucune marque dessus ; rien qui pût m’aiguiller d’une manière ou d’une autre.

Les factures, ai-je pensé.

J’avais peut-être laissé passer un truc mais, maintenant, je savais ce que je cherchais.

Un box ou un garde-meubles.

Tout à coup, j’ai repensé à un logo que j’avais aperçu en haut d’une feuille agrafée, à la dernière page des factures de la société de surveillance. Ce logo représentait un phare… Et ce phare, je l’avais déjà vu : sur des panneaux publicitaires au bord des routes, sur le continent. C’était le symbole d’une chaîne de garde-meubles dont les entrepôts et les box étaient généralement installés le long des routes principales, surtout en bordure de la Highway 5.

Je suis retourné à l’armoire métallique.

À ce moment, j’ai entendu le plancher grincer à l’étage au-dessus. J’avais allumé la lumière, vu que les piles de la torche avaient rendu l’âme au bout de dix minutes. Je me suis dépêché de tourner l’interrupteur et j’ai guetté les pas à l’étage, dans le noir, le cœur battant. Le pinceau du phare continuait de frapper la fenêtre à intervalles réguliers, zébrant les murs et le mobilier à travers les stores, avant que tout ne retombe dans l’obscurité, puis que la lueur ne revienne, comme un stroboscope fonctionnant au ralenti. Ce vieux phare m’a toujours fait penser aux pulsations d’un cœur. Le cœur lumineux de l’île… Puis quelqu’un a tiré la chasse et est retourné se coucher.

J’ai rouvert le tiroir du haut le plus doucement possible, pour éviter qu’il ne grince, retrouvé la chemise avec les factures. Le feuillet était bien là, épinglé à la fin. Avec son symbole. La société d’entreposage s’appelait Pacific Storage. J’ai fait glisser un doigt sur les lignes : le contrat avait été signé au nom de Liv Myers, pour un box de cinq pieds sur dix — soit environ un mètre cinquante sur trois. Situé sur Evergreen Way à Everett. Il y avait un miniplan en haut à gauche de la page : l’endroit se trouvait à moins de deux kilomètres d’une sortie de la Highway 5 — que France empruntait pour se rendre à son travail à Redmond.

Tout à coup, un grand frisson m’a électrisé et la chair de poule a hérissé ma peau sous le mince tissu du pyjama et celui, plus épais, de la robe de chambre. Cette clé cachée et ce box ne me disaient rien qui vaille. S’il s’était agi d’entreposer tout ce que nous avions emporté en venant du Texas, pourquoi planquer la clé de cette façon ?

C’était France que la mère de Charlie avait aperçue en pleine nuit retirant une enveloppe d’une poubelle d’East Harbor (comme dans le récit de Darrell, soit dit en passant) mais le box, lui, était au nom de Liv. J’ai envisagé l’hypothèse que mes deux mamans soient les maîtres chanteurs et elle m’a paru aussitôt si absurde, si grotesque que je l’ai repoussée.

Il y avait forcément une autre explication.

Et celle-ci devait se trouver dans le box no 181 de l’entrepôt Pacific Storage situé sur Evergreen Way, à Everett, État de Washington. J’ai tout remis en place, éteint la lumière, puis je suis remonté. En passant à pas de loup devant la chambre de mes mères, la clé serrée dans ma paume, j’ai pensé à ce garde-meubles.

Je n’avais pas le choix, je ne pouvais pas me payer le luxe d’attendre avec la police à mes trousses : je devais me rendre là-bas et en avoir le cœur net… Qui sait quelle vérité j’allais trouver dans ce box ?

J’étais sous la douche et il faisait encore nuit derrière le verre dépoli de la salle de bains quand mon téléphone a sonné. J’ai coupé le jet, je me suis enroulé dans une grande serviette et je suis repassé dans la chambre.

« Allô ?

— Henry ? »

La voix de Charlie. Il avait l’air paniqué. J’ai repensé à notre affrontement dans le passage et je me suis senti mal à l’aise. S’imaginait-il que rien n’avait changé entre nous, que tout allait redevenir comme avant ?

« Qu’est-ce qu’il y a, Charlie ? »

Pendant un instant, j’ai cru qu’il appelait pour s’excuser, qu’il allait me dire qu’il était et serait toujours mon ami, qu’il ne supportait pas cette situation.

« La police a fait une descente chez les Oates hier », a-t-il dit.

Je suis resté silencieux, réfléchissant aux conséquences.

« C’est ton frère qui te l’a dit ?

— Je l’ai entendu en parler au téléphone. Ils ont trouvé l’endroit où ils stockent la came et leur labo, apparemment…

— Les Oates avaient un labo ?

— Qu’est-ce que tu crois ? Y a un os, Henry… » Au ton de sa voix, mes poils se sont hérissés sur mes avant-bras. « Darrell a réussi à leur échapper. Il est dans la nature. Et, à mon avis, il doit être fumasse… »