Выбрать главу

Je n’avais aucun mal à imaginer ce dont était capable un Darrell enragé et la perspective n’avait rien de réjouissant. Je me suis souvenu de ses paroles : « Si je chope ce fils de pute, il va regretter d’avoir été mis au monde par sa catin de mère. Parce que je vais le faire souffrir, et pas qu’un peu : je lui arracherai les yeux avec une cuillère, à ce sac à merde, et après je pisserai dedans, et je ferai des courroies de radiateur avec ses intestins…  » De nouveau, mon corps s’est couvert de chair de poule.

« Tu sais ce qu’il doit croire, le Darrell, en ce moment ? a suggéré Charlie. Que c’est nous qui l’avons balancé, que ça peut pas être une coïncidence… »

Et il a peut-être raison, me suis-je dit. J’ai revu Shane gris, les lèvres tremblantes, au retour, dans le ferry.

« Shane, j’ai dit. C’est sûrement un coup de Shane… Je sais pas ce que le Vieux lui a fait mais je crois que Shane s’est vengé. Il faisait des affaires avec Darrell. Il savait peut-être où se trouvait leur labo…

— Et tu crois vraiment que Darrell va faire la différence entre Shane et nous ? a gémi Charlie. Putain, il va nous mettre tous dans le même sac, voilà ce qu’il va faire ! »

Il y avait des trémolos dans sa voix — comme s’il se retenait de pleurer ou de hurler.

« On est grave dans la merde, Henry ! »

Ah bon ? ai-je pensé. Première nouvelle.

32.

Pacific Storage

Noah referma le bouquin qu’il lisait en voyant celle qui s’appelait Liv verrouiller la porte de la maison. À travers le pare-brise, il la vit monter dans la Volvo et quitter l’allée du garage en marche arrière.

La voiture passa devant lui et il mit le contact et déboîta tranquillement : il avait peu de chances de la perdre sur cette île et l’essentiel était de ne pas se faire repérer. Ils roulèrent sans se presser, Reynolds maintenant une distance suffisante pour n’être qu’un point dans le rétroviseur de la Volvo ; puis il l’aperçut qui tournait au loin dans Main Street et descendait vers le port. Il attendit de la voir monter à bord du ferry pour repartir en sens inverse. L’autre mère d’Henry était partie une heure plus tôt pour le continent et son travail, Henry, lui, avait pris le ferry pour le lycée de Pencey Island : Noah en avait pour plusieurs heures de tranquillité.

Il revint se poster à distance de la maison.

C’est le moment.

Pour tout dire, il était un peu nerveux. Ce qu’il s’apprêtait à faire était illégal, même pour lui. Ça pouvait lui valoir de perdre sa licence. Mais Jay avait été très clair. Et sa rémunération avait triplé depuis qu’il était sur la trace du gosse… Le danger venait des voisins. Si l’un d’eux avertissait le bureau du shérif et que Krueger ou l’un de ses adjoints le prenait la main dans le sac…

Noah chassa cette pensée et descendit de voiture. Le vent soufflait très fort. L’air était humide et il sentait l’océan, mais il ne pleuvait pas.

Après avoir sonné à deux reprises et attendu une minute, tout en surveillant la route déserte, il entra facilement avec son passe. Le bip du système d’alarme lui annonça qu’il avait une poignée de secondes pour saisir le code correct sur le boîtier près de la porte. Il le tapa rapidement, tel qu’il avait vu les deux femmes le faire dans l’objectif de la caméra de surveillance. Il n’était pas tout à fait assuré du dernier chiffre — la visibilité n’était pas bonne — mais, même s’il s’était planté, il aurait donné à l’employé de la société qui l’aurait aussitôt appelé la réponse idoine à la question de sécurité — telle que les équipes de Jay la lui avaient fournie après avoir piraté avec une indécente facilité les ordinateurs de la société en question. Le code était le bon, le bip cessa. Comme prévu, tout était silencieux. Une légère odeur de fleurs dans des vases, de parfum et de cire flottait dans l’air. Une voiture passa sur la route et s’éloigna.

Noah ne perdit pas de temps. Il fit le tour des pièces du rez-de-chaussée, puis monta à l’étage et passa en revue les chambres, celles des clients d’abord, celle des deux mamans ensuite. Il s’attendait à trouver quelques sex-toys dans les tiroirs de la commode, mais il en fut pour ses frais. Pas de fanfreluches non plus, rien de très affriolant, en vérité : des vêtements ordinaires et quelques sous-vêtements sexy, rien de plus… Il repéra ensuite la chambre d’Henry et commença à fouiller méthodiquement mais avec délicatesse tiroirs et placards. Il photographiait chaque emplacement avec un appareil-photo avant de fouiller puis remettait soigneusement les choses en ordre. Il allait vite mais prenait le temps qu’il fallait pour ne rien laisser au hasard. Il savait qu’aujourd’hui où les gens conservent la plupart de leurs souvenirs et de leurs archives dans les entrailles de leurs ordinateurs, les tiroirs recèlent bien moins de secrets qu’auparavant, aussi ne s’attarda-t-il pas outre mesure. Il considéra l’ordinateur portable d’Henry posé sur le bureau. Il aurait tout le loisir d’en explorer le contenu depuis sa voiture, grâce à la connexion wifi de la maison. Inutile de perdre son temps avec ça. Puis il se tourna vers les murs et il éprouva un choc. Nom de Dieu ! Du sol au plafond, chaque centimètre carré était recouvert par des images sombres et inquiétantes, pleines de couleurs criardes — jaunes, orange, noirs, rouges… ; des physionomies terrifiées, des corps sanglants, des créatures monstrueuses. C’était Halloween vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans cette piaule ! Noah frissonna. Il s’assit au bord du lit et songea à l’adolescent qui vivait là. Ce gamin qui avait grandi à l’abri des regards, tandis que son père — l’un des hommes les plus puissants de la nation — le cherchait aux quatre coins du pays. Que savait-il de lui ?

Noah se fit la réflexion qu’il y avait peu de traces du gamin dans la chambre, en dehors des posters de films d’horreur. Comme s’il n’était ici que de manière provisoire. Qui es-tu, Henry ? se demanda-t-il. Qu’est-ce que tu caches derrière ta réserve ? Il prit des photos du bureau, du lit, des murs, puis ressortit.

Noah redescendit au rez-de-chaussée et se dirigea vers le meuble-classeur métallique qu’il avait repéré grâce à la caméra de surveillance. Il ouvrit le premier tiroir. Des dossiers suspendus…

Il consulta sa montre. Tout le monde avait pris le ferry, soit, mais il ne voulait pas tenter le diable. Il n’avait pas étudié les habitudes des deux lesbiennes suffisamment longtemps pour être sûr que personne ne pouvait débarquer à l’improviste : une femme de ménage, un client hors saison… Il observa les rangées de dossiers serrés sur les glissières. Les ouvrit un par un, feuilletant les factures, les reçus et les relevés rangés à l’intérieur des chemises, sortant certains documents sur le bureau et les photographiant à l’aide du même appareil extra-plat équipé d’une connexion Bluetooth avant de les remettre en place.

Il sentait au plus profond de lui que la solution était là — ou pas loin. Il avait posé quelques questions sur les deux mères d’Henry et personne sur Glass Island ne semblait connaître leur passé avant leur arrivée sur l’île. Question discrétion, elles auraient pu en remontrer aux gens de la CIA.

Il ne s’attendait pourtant pas à un miracle — rien qu’une petite trace qui le mettrait sur la piste d’une autre trace, et ainsi de suite… Il y en avait toujours… Il suffisait de savoir où regarder. Pourtant, les factures ne lui révélèrent pas grand-chose, à part l’existence d’un box Pacific Storage sur le continent. C’était peut-être de ce côté-là qu’il fallait chercher… Noah était quelqu’un de patient, la patience finissait toujours par payer. C’était la hâte qui faisait commettre des erreurs.