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Je contemplais le Zodiac sur sa remorque dans ce garage anonyme quand ça m’est venu. Un détail — mais un détail affreux, qui m’a fait flipper à mort. Non, ce n’était pas possible ! Je refusais de l’admettre, il y avait forcément une explication.

Je suis retourné fissa vers mon refuge — il y avait un PC dans l’une des pièces, une sorte de petit bureau — et j’ai allumé l’ordinateur. J’ai aussi mis la cafetière en route en attendant qu’il soit opérationnel.

Le propriétaire des lieux n’avait pas jugé bon de mettre un mot de passe. Les gens sont naïfs… La plupart évoluent dans le cyberespace comme des touristes américains qui, dans un rade mexicain, poseraient leurs portefeuilles, leurs clés de voiture et leurs cartes bancaires sur la table.

Dès que l’appareil a été prêt, j’ai pianoté « Agate Beach » dans le moteur de recherche.

Il m’a craché un paquet d’entrées — toutes récentes, toutes en rapport avec le meurtre de Naomi et la découverte de son corps sur la plage.

Je les ai passées en revue. Tous les articles étaient postérieurs au 23 octobre, le plus ancien figurait toutefois dans une édition du 23 — mais il s’agissait d’un journal du soir. J’ai alors tapé « meurtre, Glass Island, plage » et je me suis crevé les yeux à déchiffrer les articles suivants à la lueur de l’écran, dans la petite pièce dont j’avais gardé les volets clos.

Pas un de ceux qui étaient parus le matin du 23 — il y avait la date et l’heure sur les éditions en ligne — ne mentionnait les mots « Agate Beach ». Tous parlaient d’une « plage de Glass Island », sans plus de précisions. J’ai retrouvé celui que nous avions lu sur la tablette de Charlie, au lycée.

Ce matin, les services du shérif de Glass Island ont trouvé un corps sans vie sur l’une des plages de l’île. Selon certaines sources, il s’agirait de celui d’une jeune fille de dix-sept ans, mais l’identité de celle-ci ne nous a pas été communiquée…

Lui non plus ne mentionnait pas Agate Beach… Manifestement, la police avait conservé l’info par-devers elle pour ne pas être assaillie trop rapidement par la presse. Pourtant, quand j’étais arrivé sur le parking, il y avait déjà beaucoup de monde. Probable que, sur l’île, l’information selon laquelle les services du shérif avaient trouvé un corps sur Agate Beach avait circulé, et les premiers journalistes arrivés sur place n’avaient eu qu’à poser quelques questions ou bien à suivre le flot des curieux pour la trouver.

Oui, ça semblait logique.

Ce qui l’était moins, en revanche, c’est que j’eusse moi-même foncé sans la moindre hésitation.

Et sans rien demander à quiconque.

Est-ce que j’avais suivi d’autres voitures ? Pas du tout. Il tombait des cordes et on n’avait croisé personne sur Miller Road.

Alors, comment est-ce que je savais ?

J’avais la réponse à cette question depuis le début — coincée dans mon cerveau comme un bout de viande entre deux dents… depuis que les mots Agate Beach avaient surgi. Mon cœur s’est mis à jouer du tam-tam, en sourdine d’abord, puis de plus en plus fort. Je n’en voulais pas, de cette réponse, mais je la connaissais : dans le ferry, j’avais appelé maman Liv pour lui demander de joindre la mère de Naomi et je lui avais raconté ce qu’on venait de lire sur la tablette de Charlie. Qu’on avait trouvé le corps d’une jeune fille sur une plage de l’île. Elle était tombée des nues ; elle avait tenté de me rassurer : « Allons, Henry, il s’agit d’une simple coïncidence. » Et puis, elle avait dit ceci, je m’en souviens : « Un corps découvert sur Agate Beach, vraiment ? Quelle horreur ! » Oui. C’était ça : c’était grâce à elle que j’avais foncé sans hésiter vers Agate Beach…

D’où tenait-elle l’information puisqu’elle était censée n’être au courant de rien ? Une chose est sûre : elle ne pouvait pas l’avoir trouvée dans les journaux.

J’ai avalé ma salive. En admettant qu’un voisin, un habitant de l’île l’ait informée sur ce qui se passait — pourquoi, dans ce cas, aurait-elle feint de ne rien savoir au téléphone ? Je suis retourné dans la pièce principale, plongée dans l’obscurité hormis la clarté d’une petite lampe. J’ai fait les cent pas, les tripes rongées par l’acide du doute, le cerveau en ébullition.

Ça ne prouvait rien, évidemment… Mais il y avait l’argent.

L’argent du chantage

Petit à petit, les pièces du puzzle s’emboîtaient. Et, tout à coup, j’ai pensé à un autre truc et mon sang s’est glacé.

Krueger paraissait préoccupé en raccrochant le téléphone.

« Les Oates, ils viennent d’être libérés. »

Chris Platt reposa son gobelet rempli de café, son front se plissa.

« Aïe », dit-il sobrement.

Krueger lui jeta un regard en coin.

« Tu crois qu’ils vont vouloir venger la mort de Darrell ?

— S’ils savent que c’est Henry qui l’a poussé, ils vont certainement vouloir lui donner une leçon. »

Le shérif serra les lèvres.

« Sauf qu’on ne sait pas si Henry est mort ou vivant…

— Vivant, dit Platt. Tous ceux que j’ai interrogés sont unanimes : Henry est un très bon nageur. Il est sûrement planqué quelque part.

— Dans ce cas, il faut à tout prix le trouver avant les Oates… Je viens de joindre le shérif du comté de Whatcom : ils les ont suivis à leur sortie du tribunal. Les Oates ne sont pas rentrés chez eux. Ils ont pris la 5 vers le sud. La police de Whatcom les a lâchés quand ils ont quitté les limites du comté pour entrer dans celui de Skagit.

— Ils vont prendre le ferry à Anacortes.

— Ça m’en a tout l’air. »

Ils se turent. C’était tout sauf une bonne nouvelle.

« Bon sang. Henry dans la nature, les Oates qui débarquent ici le couteau entre les dents et Seth qui vient de me prévenir que de drôles de types sont descendus de l’hydravion à Orcas Island ce matin et se sont installés au Deer Beach Resort… Selon lui, ça pue la mafia ou les renseignements… Tu peux me dire ce qui se passe ? Et en plus, ce soir, c’est Halloween. Il y aura un paquet de mômes dans les rues. Je ne voudrais pas que l’un d’eux ramasse une balle perdue si ça vient à tourner au vinaigre…

— Et aussi un paquet d’adultes masqués, fit remarquer Platt. Pratique quand on veut passer incognito… »

Ils observèrent un nouveau moment de silence. Ça ne sentait pas bon. Pas bon du tout. Krueger se tourna vers les horaires des ferries épinglés au mur.

« Ils sont sortis à 10 heures ce matin… Ils peuvent prendre le ferry de 12 h 35 et être ici à 14 heures… ou alors celui de 14 h 40 et débarquer à 15 h 45… Après, on a 17 h 10, 17 h 50, 19 h 20, 20 h 45 et 21 h 45 comme arrivées…

— Je dirais 17 h 50 ou 19 h 20. Ils vont attendre qu’il fasse nuit et que tout le monde soit dans les rues pour profiter de la confusion.

— Je vais dire à Nick de surveiller la maison d’Henry, et Angel va s’occuper des ferries.

— Et ces types sur Orcas Island, tu crois que c’est un hasard s’ils sont là aujourd’hui ?

— Je ne crois pas aux coïncidences, Chris, mais je crois aux emmerdes. Et j’en vois tout un tas se pointer à l’horizon.

— Je la sens pas, cette histoire, renchérit Platt d’un air sombre. On devrait peut-être demander des renforts.

— Parce qu’on a trois abrutis qui débarquent le soir d’Halloween ? La Washington State Patrol et les gardes-côtes sont déjà occupés à chercher Henry. On va devoir se débrouiller seuls.