Plus loin, le contrat stipulait : « Le donneur de sperme en contrat avec un médecin agréé ou une banque du sperme agréée pour une utilisation dans la reproduction assistée d’une femme autre que le conjoint du donneur sera traité en droit comme s’il n’était pas le parent naturel de l’enfant ainsi conçu. »
Noah sortit un autre feuillet — une fiche qui précisait, entre autres, que le donneur était de race caucasienne, qu’il n’était pas atteint de drépanocytose, ni de la maladie de Tay-Sachs, ni de mucoviscidose, qu’il était intelligent, sportif et qu’il aimait toutes les formes de musique à l’exception de la country et du heavy metal. Il était identifié par un numéro : 5025 EX.
Noah réfléchissait quand le téléphone vibra dans sa poche. C’était Jay.
« Tu avais raison de poser la question, dit-il.
— C’est-à-dire ?
— Le stylo dans le pot, celui dont tu m’as envoyé la photo…
— Eh bien ?
— Tu as vu juste : j’ai contacté l’ATF… »
Le Bureau des alcools, tabacs, armes à feu et explosifs : Noah savait qu’il possédait une base de données de plus de trois mille encres. Or les stylos à bille utilisaient des encres à base de couleurs synthétiques diluées dans des solvants et des additifs, et leurs compositions pouvaient être isolées par spectrométrie ou par chromatographie.
« Selon eux, le modèle du stylo et la composition de l’encre correspondent. Mais attention : c’est une encre assez courante, utilisée également dans d’autres stylos.
— Qu’a dit ton type exactement ?
— Que, compte tenu des circonstances, il y a 80 % de chances que cette encre provienne de ce stylo.
— Ça ne tiendrait pas devant un tribunal.
— Et devant le nôtre, est-ce que ça tient, Noah ? rétorqua Jay. Beau boulot, ajouta-t-il.
— Tu vas en parler à ton patron ?
— Pas tout de suite… J’attends de voir ce que tu vas trouver à L.A. »
Un sentiment étrange envahit Noah en remettant son téléphone dans sa poche. La carte postale : il savait désormais qui l’avait écrite.
Au bord de la crise de nerfs, France se demanda où était passée Liv. Puis une autre pensée la frappa : Henry était vivant ! Henry était sain et sauf ! Cette pensée aurait dû la réconforter, mais elle ne comprenait pas pourquoi Liv s’était précipitée dehors après l’appel de leur fils.
Qu’est-ce qui se passait, bon Dieu ? Et surtout pourquoi ne revenait-elle pas ?
Elle était morte d’inquiétude…
La pluie débordait des gouttières de l’autre côté de la baie vitrée et le vent devait hurler autour de la maison. Tout à coup — et pour la première fois avec une telle netteté —, celle-ci lui parut être devenue un endroit… hostile.
Depuis combien de temps avait-elle ce sentiment ? La sensation que, de nouveau, le sol se dérobait sous leurs pieds. Que leur petit univers n’allait pas tarder à tomber en morceaux. Ce sentiment, elle l’avait déjà éprouvé par le passé. À Los Angeles… Elle comprit que, ces derniers temps, avec l’horrible mort de Naomi, les accusations contre Henry, la suspicion, les regards des habitants de East Harbor lorsqu’elle faisait ses achats et les questions malveillantes de la police, cet endroit qu’elle avait tant chéri, tant aimé, lui était petit à petit devenu insupportable. Elle n’avait qu’une envie désormais : repartir — comme elles l’avaient déjà fait.
Fuir…
Comme elles avaient fui Los Angeles avant qu’il ne soit trop tard. Elles avaient pourtant cru pouvoir trouver la paix ici, enfin : un endroit où personne ne viendrait les chercher. Mais, une fois de plus, elles étaient au bord de l’abîme…
Soudain, une lumière clignota dans le vestibule et elle tressaillit. Le cœur palpitant aussi fort que celui d’un oiseau, elle se précipita vers la porte. Elle s’attendait à voir Liv mais, à sa place, elle trouva des gamins déguisés et réclamant leur butin. Halloween. Elle voyait leurs bouches s’ouvrir et pousser des cris qu’elle n’entendait pas et, pendant un instant, elle fut prise de vertige.
Elle aperçut deux parents souriants à quelques mètres dans l’allée, en vêtements de pluie, qui la saluèrent discrètement, et la voiture de police garée un peu plus loin sur la route, dans la nuit. Elle était là depuis le début de l’après-midi, les torrents déversés par le ciel rebondissaient sur sa carrosserie comme sur l’asphalte tout autour, et cette présence la rassura.
Toute la rue était inondée. Des rubans en papier crépon et des lanternes chinoises emportés par la tempête dansaient dans les branches elles-mêmes secouées par les rafales, des feuilles mortes volaient partout, le vent soufflait si fort qu’il soulevait ses cheveux blonds et les rabattait sur sa figure. Elle retourna au bar récupérer les confiseries, en distribua une poignée à chacun.
Les enfants la remercièrent et repartirent en courant vers la maison suivante, à cent mètres de là, suivis des deux parents qui la saluèrent une dernière fois sous leurs capuches. Elle jeta un nouveau coup d’œil à la voiture de police, referma la porte.
Où était Liv ?
Des silhouettes de branches glissaient sur les fenêtres à la moindre rafale de vent, théâtre d’ombres.
Sur La Cienega, ils franchirent l’obstacle des voitures de police et des secours à la hauteur de l’accident. Ils redescendirent sur Rodeo Drive et s’élancèrent vers Beverly Hills et West Hollywood. S’élancer étant un bien grand mot, estima Noah, le compteur restait bloqué à quinze miles à l’heure.
Soudain, assis au volant de sa voiture de patrouille, Nick vit toutes les lumières de la maison de l’autre côté de la route s’éteindre d’un coup. Il se redressa sur son siège. C’était quoi, ça ? Il activa les essuie-glaces pour chasser les rigoles qui noyaient le pare-brise. À moins de dix mètres, toutes les fenêtres éteintes, la bâtisse n’était plus qu’une masse noire. Qu’est-ce qui se passait, bordel ? Une panne due à la tempête ? Ça arrivait souvent que les lignes soient coupées par le mauvais temps. Mais il jeta un regard au rétroviseur et éprouva un frisson désagréable en constatant que toutes les villas en amont étaient restées éclairées.
Pas bon ça…
Il s’apprêtait à ouvrir la portière lorsqu’il vit deux ombres bouger dans le rétroviseur. Elles avaient émergé des fourrés. Elles se rapprochèrent en courant vers sa voiture, longeant le bord de la route.
Avant qu’il ait pu se décider sur la conduite à tenir, un visage massif s’encadra de l’autre côté de la vitre, penché vers lui. Un visage aux lèvres minces et pincées, aux yeux de crotale. Un doigt cogna doucement contre la vitre, et l’estomac de Nick se retourna.
Il ouvrit sa portière.
« Qu’est-ce que vous foutez là ? lança-t-il, la gorge nouée.
— Et bonsoir, Nick, ça boume ? » lui dit le Vieux.
L’espace d’une demi-seconde, lorsque les lumières s’éteignirent, France crut devenir aveugle.
Puis, en voyant la clarté grise qui traversait la baie vitrée du séjour, elle comprit : plus d’électricité. Ça n’était pas la première fois. La tempête, bien sûr ; le vent avait dû faire tomber un arbre sur les lignes, ou coucher un pylône… Elle sentit une angoisse irraisonnée la gagner : l’absence de Liv et maintenant cette panne… Quel chaos ! Elle n’avait pas dormi la nuit dernière et ses mains tremblaient sous l’effet de la fatigue. Elle marcha d’un pas mal assuré jusqu’au comptoir de l’accueil, à droite de la porte d’entrée.