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La petite servante, livide, les yeux hagards, était assise par terre, les jambes allongées, le dos appuyé contre le bois du lit.

Jeanne s’élança:

– Qu’est-ce que tu as, qu’est-ce que tu as?

L’autre ne dit pas un mot, ne fit pas un geste; elle fixait sur sa maîtresse un regard fou et haletait, comme déchirée par une effroyable douleur. Puis, soudain, tendant tout son corps, elle glissa sur le dos, étouffant entre ses dents serrées un cri de détresse.

Alors sous sa robe collée à ses cuisses ouvertes quelque chose remua. Et de là partit aussitôt un bruit singulier, un clapotement, un souffle de gorge étranglée qui suffoque; puis soudain ce fut un long miaulement de chat, une plainte frêle et déjà douloureuse, le premier appel de souffrance de l’enfant entrant dans la vie.

Jeanne brusquement comprit, et, la tête égarée, courut à l’escalier criant:

– Julien, Julien!

Il répondit d’en bas:

– Qu’est-ce que tu veux?

Elle eut grand-peine à prononcer:

– C’est… c’est Rosalie qui…

Julien s’élança, gravit les marches deux par deux, et, entrant brusquement dans la chambre, il releva d’un seul coup les vêtements de la fillette et découvrit un affreux petit morceau de chair, plissé, geignant, crispé et tout gluant, qui s’agitait entre deux jambes nues.

Il se redressa, la face méchante, et poussant dehors sa femme éperdue:

– Ça ne te regarde pas. Va-t’en. Envoie-moi Ludivine et le père Simon.

Jeanne, toute tremblante, descendit à la cuisine, puis, n’osant plus remonter, elle entra dans le salon qui restait sans feu depuis le départ de ses parents, et elle attendit anxieusement des nouvelles.

Elle vit bientôt le domestique qui sortait en courant. Cinq minutes après il rentrait avec la veuve Dentu, la sage-femme du pays.

Alors ce fut dans l’escalier un grand remuement comme si on portait un blessé; et Julien vint dire à Jeanne qu’elle pouvait remonter chez elle.

Elle tremblait comme si elle venait d’assister à quelque sinistre accident. Elle s’assit de nouveau devant son feu, puis demanda:

– Comment va-t-elle?

Julien, préoccupé, nerveux, marchait à travers l’appartement; et une colère semblait le soulever. Il ne répondit point d’abord; puis, au bout de quelques secondes, s’arrêtant:

– Qu’est-ce que tu comptes faire de cette fille?

Elle ne comprenait pas et regardait son mari:

– Comment? Que veux-tu dire? Je ne sais pas, moi.

Et soudain il cria comme s’il s’emportait:

– Nous ne pouvons pourtant pas garder un bâtard dans la maison!

Alors Jeanne demeura très perplexe; puis, au bout d’un long silence:

– Mais, mon ami, peut-être pourrait-on le mettre en nourrice?

Il ne la laissa pas achever:

– Et qui est-ce qui paiera? Toi sans doute?

Elle réfléchit encore longtemps, cherchant une solution; enfin elle dit:

– Mais le père s’en chargera de cet enfant; et, s’il épouse Rosalie, il n’y a plus de difficultés.

Julien, comme à bout de patience, et furieux, reprit:

– Le père!… le père!… le connais-tu… le père?… Non, n’est-ce pas? Eh bien, alors?…

Jeanne, émue, s’animait:

– Mais il ne laissera pas certainement cette fille ainsi. Ce serait un lâche! nous demanderons son nom et nous irons le trouver, lui, et il faudra bien qu’il s’explique.

Julien s’était calmé et remis à marcher:

– Ma chère, elle ne veut pas le dire, le nom de l’homme; elle ne te l’avouera pas plus qu’à moi… et s’il ne veut pas d’elle, lui?… Nous ne pouvons pourtant pas garder sous notre toit une fille mère avec son bâtard, comprends-tu?

Jeanne, obstinée, répétait:

– Alors c’est un misérable, cet homme; mais il faudra bien que nous le connaissions: et alors, il aura affaire à nous.

Julien, devenu fort rouge, s’irritait encore:

– Mais… en attendant?

Elle ne savait que décider et lui demanda:

– Qu’est-ce que tu proposes, toi?

Aussitôt, il dit son avis:

– Oh! moi, c’est bien simple. Je lui donnerais quelque argent et je l’enverrais au diable avec son mioche.

Mais la jeune femme, indignée, se révolta.

– Quant à cela, jamais. C’est ma sœur de lait, cette fille; nous avons grandi ensemble. Elle a fait une faute, tant pis; mais je ne la jetterai pas dehors pour cela; et, s’il le faut, je l’élèverai, cet enfant.

Alors Julien éclata:

– Et nous aurons une propre réputation, nous autres, avec notre nom et nos relations! Et on dira partout que nous protégeons le vice, que nous abritons des gueuses; et les gens honorables ne voudront plus mettre les pieds chez nous. Mais à quoi penses-tu, vraiment? Tu es folle!

Elle était demeurée calme.

– Je ne laisserai jamais jeter dehors Rosalie; et si tu ne veux pas la garder, ma mère la reprendra et il faudra bien que nous finissions par connaître le nom du père de son enfant.

Alors il sortit exaspéré, tapant la porte, et criant:

– Les femmes sont stupides avec leurs idées!

Jeanne, dans l’après-midi, monta chez l’accouchée. La petite bonne, veillée par la veuve Dentu, restait immobile dans son lit, les yeux ouverts, tandis que la garde berçait en ses bras l’enfant nouveau-né.

Dès qu’elle aperçut sa maîtresse, Rosalie se mit à sangloter, cachant sa figure dans ses draps, toute secouée de désespoir. Jeanne la voulut embrasser, mais elle résistait, se voilant. Alors la garde intervint, lui découvrit le visage; et elle se laissa faire, pleurant encore, mais doucement.

Un maigre feu brûlait dans la cheminée; il faisait froid; l’enfant pleurait. Jeanne n’osait point parler du petit de crainte d’amener une autre crise; et avait pris la main de sa bonne, en répétant d’un ton machinaclass="underline"

– Ça ne sera rien, ça ne sera rien.

La pauvre fille regardait à la dérobée vers la garde, tressaillait aux cris du marmot; et un reste de chagrin l’étranglant jaillissait encore par moments en un sanglot convulsif, tandis que des larmes rentrées faisaient un bruit d’eau dans sa gorge.

Jeanne, encore une fois, l’embrassa, et, tout bas, lui murmura dans l’oreille:

– Nous en aurons bien soin, va, ma fille.

Puis, comme un nouvel accès de pleurs commençait, elle se sauva bien vite.

Tous les jours elle y retourna, et tous les jours Rosalie éclatait en sanglots en apercevant sa maîtresse.

L’enfant fut mis en nourrice chez une voisine.

Julien cependant parlait à peine à sa femme, comme s’il eût gardé contre elle une grosse colère depuis qu’elle avait refusé de renvoyer la bonne. Un jour, il revint sur ce sujet, mais Jeanne tira de sa poche une lettre de la baronne demandant qu’on lui envoyât immédiatement cette fille si on ne la gardait pas aux Peuples. Julien, furieux, cria:

– Ta mère est aussi folle que toi.

Mais il n’insista plus.

Quinze jours après, l’accouchée pouvait déjà se lever et reprendre son service.