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– Hé! hé! qu’est-ce qu’on m’a dit, ma jeune dame, que nous aurions bientôt un nouveau baptême? Ah! ah! ah! pas d’une barque cette fois.

Et il ajouta d’un ton grave: «Ce sera un défenseur pour la patrie», puis, après une courte réflexion: «À moins que ce ne soit une bonne mère de famille»; et, saluant la baronne, «comme vous, madame».

Mais la porte du fond s’ouvrit. Rosalie, éperdue, larmoyant, refusait d’entrer, cramponnée à l’encadrement, et poussée par le baron. Impatienté, il la jeta d’une secousse dans la chambre. Alors elle se couvrit la face de ses mains et resta debout, sanglotant.

Jeanne, dès qu’elle l’aperçut, se dressa brusquement, s’assit, plus pâle que ses draps; et son cœur affolé soulevait de ses battements la mince chemise collée à sa peau. Elle ne pouvait parler, respirant à peine, suffoquée. Enfin, elle prononça d’une voix coupée par l’émotion:

– Je… je… n’aurais pas… pas besoin… de t’interroger. Il… il me suffit de te voir ainsi… de… de voir ta… ta honte devant moi.

Après une pause, car le souffle lui manquait, elle reprit:

– Mais je veux tout savoir, tout… tout. J’ai fait venir M. le curé pour que ce soit comme une confession, tu entends.

Immobile, Rosalie poussait presque des cris entre ses mains crispées.

Le baron, que la colère gagnait, lui saisit les bras, les écarta violemment, et, la jetant à genoux près du lit:

– Parle donc… Réponds.

Elle resta par terre, dans la posture qu’on prête aux Madeleines, le bonnet de travers, le tablier sur le parquet, le visage voilé de nouveau de ses mains redevenues libres.

Alors le curé lui parla:

– Allons, ma fille, écoute ce qu’on te dit, et réponds. Nous ne voulons pas te faire de mal; mais on veut savoir ce qui s’est passé.

Jeanne, penchée au bord de sa couche, la regardait. Elle dit:

– C’est bien vrai que tu étais dans le lit de Julien quand je vous ai surpris.

Rosalie, à travers ses mains, gémit:

– Oui, madame.

Alors, brusquement, la baronne se mit à pleurer aussi avec un gros bruit de suffocation; et ses sanglots convulsifs accompagnaient ceux de Rosalie.

Jeanne, les yeux droit sur la bonne, demanda:

– Depuis quand cela durait-il?

Rosalie balbutia:

– Depuis qu’il est v’nu.

Jeanne ne comprenait pas.

– Depuis qu’il est venu… Alors… depuis… depuis le printemps?

– Oui, madame.

– Depuis qu’il est entré dans cette maison?

– Oui, madame.

Et Jeanne, comme oppressée de questions, interrogea d’une voix précipitée:

– Mais comment cela s’est-il fait? Comment te l’a-t-il demandé? Comment t’a-t-il prise? Qu’est-ce qu’il t’a dit? À quel moment, comment as-tu cédé? comment as-tu pu te donner à lui?

Et Rosalie, écartant ses mains cette fois, saisie aussi d’une fièvre de parler, d’un besoin de répondre:

– J’sais ti mé? C’est le jour qu’il a dîné ici la première fois, qu’il est v’nu m’trouver dans ma chambre. Il s’était caché dans l’grenier. J’ai pas osé crier pour pas faire d’histoire. Il s’est couché avec mé; j’savais pu c’que j’faisais à çu moment-là; il a fait c’qu’il a voulu. J’ai rien dit parce que je le trouvais gentil!…

Alors Jeanne, poussant un cri:

– Mais… ton… ton enfant… c’est à lui?…

Rosalie sanglota.

– Oui, madame.

Puis toutes deux se turent.

On n’entendait plus que le bruit des larmes de Rosalie et de la baronne.

Jeanne, accablée, sentit à son tour ses yeux ruisselants; et les gouttes sans bruit coulèrent sur ses joues.

L’enfant de sa bonne avait le même père que le sien! Sa colère était tombée. Elle se sentait maintenant toute pénétrée d’un désespoir morne, lent, profond, infini.

Elle reprit enfin d’une voix changée, mouillée, d’une voix de femme qui pleure:

– Quand nous sommes revenus de… là-bas… du voyage… quand est-ce qu’il a recommencé?

La petite bonne, tout à fait écroulée par terre, balbutia;

– Le… le premier soir, il est v’nu.

Chaque parole tordait le cœur de Jeanne. Ainsi, le premier soir, le soir du retour aux Peuples, il l’avait quittée pour cette fille. Voilà pourquoi il la laissait dormir seule!

Elle en savait assez, maintenant, elle ne voulait plus rien apprendre; elle cria:

– Va-t’en, va-t’en!

Et comme Rosalie ne bougeait point, anéantie, Jeanne appela son père:

– Emmène-la, emporte-la.

Mais le curé, qui n’avait encore rien dit, jugea le moment venu de placer un petit sermon.

– C’est très mal, ce que tu as fait là, ma fille, très mal; et le bon Dieu ne te pardonnera pas de sitôt. Pense à l’enfer qui t’attend si tu ne gardes pas désormais une bonne conduite. Maintenant que tu as un enfant, il faut que tu te ranges. Mme la baronne fera sans doute quelque chose pour toi, et nous te trouverons un mari…

Il aurait longtemps parlé, mais le baron, ayant de nouveau saisi Rosalie par les épaules, la souleva, la traîna jusqu’à la porte, et la jeta, comme un paquet, dans le couloir.

Dès qu’il fut revenu, plus pâle que sa fille, le curé reprit la parole:

– Que voulez-vous? elles sont toutes comme ça dans le pays. C’est une désolation, mais on n’y peut rien, et il faut bien un peu d’indulgence pour les faiblesses de la nature. Elles ne se marient jamais sans être enceintes, jamais, madame.

Et il ajouta souriant:

– On dirait une coutume locale.

Puis, d’un ton indigné:

Jusqu’aux enfants qui s’en mêlent! N’ai-je pas trouvé l’an dernier, dans le cimetière, deux petits du catéchisme, le garçon et la fille! J’ai prévenu les parents! Savez-vous ce qu’ils m’ont répondu? «Qu’voulez-vous, monsieur l’curé, c’est pas nous qui leur avons appris ces saletés-là, j’y pouvons rien.» Voilà, monsieur, votre bonne a fait comme les autres.

Mais le baron, qui tremblait d’énervement, l’interrompit:

– Elle? que m’importe! mais c’est Julien qui m’indigne. C’est infâme ce qu’il a fait là, et je vais emmener ma fille.

Et il marchait, s’animant toujours, exaspéré:

– C’est infâme d’avoir ainsi trahi ma fille, infâme! C’est un gueux, cet homme, une canaille, un misérable; et je le lui dirai, je le souffletterai, je le tuerai sous ma canne!

Mais le prêtre, qui absorbait lentement une prise de tabac à côté de la baronne en larmes, et qui cherchait à accomplir son ministère d’apaisement, reprit:

– Voyons, monsieur le baron, entre nous, il a fait comme tout le monde. En connaissez-vous beaucoup, des maris qui soient fidèles?

Et il ajouta avec une bonhomie malicieuse:

– Tenez, je parie que vous-même, vous avez fait vos farces. Voyons, la main sur la conscience, est-ce vrai?

Le baron s’était arrêté, saisi, en face du prêtre qui continua: