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Le portier répondit :

« Il n’habite plus ici, madame. »

Un grand frisson la parcourut. Elle balbutia :

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« Ah ! où… où demeure-t-il maintenant ?

– Je ne sais pas. »

Elle se sentit étourdie comme si elle allait tomber et elle demeura quelque temps sans pouvoir parler.

Enfin, par un effort violent, elle reprit sa raison, et murmura :

« Depuis quand est-il parti ? »

L’homme la renseigna abondamment. « Voilà quinze jours.

Ils sont partis comme ça, un soir, et pas revenus. Ils devaient partout dans le quartier ; aussi vous comprenez bien qu’ils n’ont pas laissé leur adresse. »

Jeanne voyait des lueurs, des grands jets de flamme, comme si on lui eût tiré des coups de fusil devant les yeux. Mais une idée fixe la soutenait, la faisait demeurer debout, calme en apparence, et réfléchie. Elle voulait savoir et retrouver Poulet.

« Alors il n’a rien dit, en s’en allant ?

– Oh ! rien du tout, ils se sont sauvés pour ne pas payer, voilà.

– Mais, il doit envoyer chercher ses lettres par quelqu’un.

– Plus souvent que je les donnerais. Et puis ils n’en recevaient pas dix par an. Je leur en ai monté une pourtant deux jours avant qu’ils s’en aillent. »

C’était sa lettre sans doute. Elle dit précipitamment :

« Écoutez, je suis sa mère, à lui, et je suis venue pour le

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chercher. Voilà dix francs pour vous. Si vous savez quelque nouvelle ou quelque renseignement sur lui, apportez-les-moi à l’hôtel de Normandie, rue du Havre, et je vous paierai bien. »

Et elle se sauva.

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Elle se remit à marcher sans s’inquiéter où elle allait. Elle se hâtait comme pressée par une course importante ; elle filait le long des murs, heurtée par des gens à paquets ; elle traversait les rues sans regarder les voitures venir, injuriée par les cochers ; elle trébuchait aux marches des trottoirs auxquelles elle ne prenait point garde ; elle courait devant elle, l’âme perdue.

Tout à coup elle se trouva dans un jardin et elle se sentit si fatiguée qu’elle s’assit sur un banc. Elle y demeura fort longtemps apparemment, pleurant sans s’en apercevoir, car des passants s’arrêtaient pour la regarder. Puis elle sentit qu’elle avait très froid ; et elle se leva pour repartir ; ses jambes la portaient à peine tant elle était accablée et faible.

Elle voulait entrer prendre un bouillon dans un restaurant, mais elle n’osait pas pénétrer dans ces établissements, prise d’une espèce de honte, d’une peur, d’une sorte de pudeur de son chagrin qu’elle sentait visible. Elle s’arrêtait une seconde devant la porte, regardait au-dedans, voyait tous ces gens attablés et mangeant, et s’enfuyait intimidée, se disant : « J’entrerai dans le prochain. » Et elle ne pénétrait pas davantage dans le suivant.

À la fin elle acheta chez un boulanger un petit pain en forme de lune, et elle se mit à le croquer tout en marchant. Elle avait grand-soif, mais elle ne savait où aller boire et elle s’en passa.

Elle franchit une voûte et se trouva dans un autre jardin entouré d’arcades. Elle reconnut alors le Palais-Royal.

Comme le soleil et la marche l’avaient un peu réchauffée, elle s’assit encore une heure ou deux.

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Une foule entrait, une foule élégante qui causait, souriait, saluait, cette foule heureuse dont les femmes sont belles et les hommes riches, qui ne vit que pour la parure et les joies.

Jeanne, effarée d’être au milieu de cette cohue brillante, se leva pour s’enfuir ; mais, soudain, la pensée lui vint qu’elle pourrait rencontrer Paul en ce lieu ; et elle se mit à errer en épiant les visages, allant et venant sans cesse, d’un bout à l’autre du Jardin, de son pas humble et rapide.

Des gens se retournaient pour la regarder, d’autres riaient et se la montraient. Elle s’en aperçut et se sauva, pensant que, sans doute, on s’amusait de sa tournure et de sa robe à carreaux verts choisie par Rosalie et exécutée sur ses indications par la couturière de Goderville.

Elle n’osait même plus demander sa route aux passants.

Elle s’y hasarda pourtant et finit par retrouver son hôtel.

Elle passa le reste du jour sur une chaise, aux pieds de son lit, sans remuer. Puis elle dîna, comme la veille, d’un potage et d’un peu de viande. Puis elle se coucha, accomplissant chaque acte machinalement par habitude.

Le lendemain elle se rendit à la préfecture de police pour qu’on lui retrouvât son enfant. On ne put rien lui promettre ; on s’en occuperait cependant.

Alors elle vagabonda par les rues, espérant toujours le rencontrer. Et elle se sentait plus seule dans cette foule agitée, plus perdue, plus misérable qu’au milieu des champs déserts.

Quand elle rentra, le soir, à l’hôtel, on lui dit qu’un homme l’avait demandée de la part de M. Paul et qu’il reviendrait le lendemain. Un flot de sang lui jaillit au cœur et elle ne ferma pas l’œil de la nuit. Si c’était lui ? Oui, c’était lui assurément,

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bien qu’elle ne l’eût pas reconnu aux détails qu’on lui avait donnés.

Vers neuf heures du matin on heurta sa porte, elle cria :

« Entrez ! » prête à s’élancer, les bras ouverts. Un inconnu se présenta. Et, pendant qu’il s’excusait de l’avoir dérangée et qu’il expliquait son affaire, une dette de Paul qu’il venait réclamer, elle se sentait pleurer sans vouloir le laisser paraître, enlevant les larmes du bout du doigt, à mesure qu’elles glissaient au coin des yeux.

Il avait appris sa venue par le concierge de la rue du Sauvage, et, comme il ne pouvait retrouver le jeune homme, il s’adressait à la mère. Et il tendait un papier qu’elle prit sans songer à rien. Elle lut un chiffre : 90 francs, tira son argent et paya.

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Elle ne sortit pas ce jour-là.

Le lendemain d’autres créanciers se présentèrent. Elle donna tout ce qui lui restait, ne réservant qu’une vingtaine de francs ; et elle écrivit à Rosalie pour lui dire sa situation.

Elle passait ses jours à errer, attendant la réponse de sa bonne, ne sachant que faire, où tuer les heures lugubres, les heures interminables, n’ayant personne à qui dire un mot tendre, personne qui connût sa misère. Elle allait au hasard, harcelée à présent par un besoin de partir, de retourner là-bas, dans sa petite maison sur le bord de la route solitaire.

Elle n’y pouvait plus vivre, quelques jours auparavant, tant la tristesse l’accablait, et maintenant elle sentait bien qu’elle ne saurait plus, au contraire, vivre que là, où ses mornes habitudes s’étaient enracinées.

Enfin, un soir, elle trouva une lettre et deux cents francs.

Rosalie disait :

« Madame Jeanne, revenez bien vite, car je ne vous enverrai plus rien. Quant à M. Paul, c’est moi qu’irai le chercher quand nous aurons de ses nouvelles.

« Je vous salue. Votre servante.

« ROSALIE. »

Et Jeanne repartit pour Batteville, un matin qu’il neigeait, et qu’il faisait grand froid.

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XIV

Alors elle ne sortit plus, elle ne remua plus. Elle se levait chaque matin à la même heure, regardait le temps par sa fenêtre, puis descendait s’asseoir devant le feu dans la salle.

Elle restait là des jours entiers, immobile, les yeux plantés sur la flamme, laissant aller à l’aventure ses lamentables pensées et suivant le triste défilé de ses misères. Les ténèbres, peu à peu, envahissaient la petite pièce sans qu’elle eût fait d’autre mouvement que pour remettre du bois au feu. Rosalie alors apportait la lampe et s’écriait : « Allons, madame Jeanne,