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Au crépuscule, la montagne a bougé : une avalanche sanglante. En prière, Romy dialoguait avec le Messie ; une chouette hulula. C’était l’heure où les moustiques vont boire du plasma. J’ai profité de ce moment de recueillement pour composer la première prière transhumaine (à chanter sur l’air du « Gloria » de la Messe en si mineur de Bach).

CANTIQUE TRANSHUMAIN
(Maria Wörth, Autriche, juillet 2017)
Merci Seigneur pour ta Divine Lumière, Ton étoile qui brille en mon sein Et le feu de l’Esprit saint Qui me relève de la poussière.
Ô Jésus-Christ éclaire mon âme, Comme tu descendis sur les apôtres Le jour de la Pentecôte, Quand ma fille reçut ta flamme.
Dieu est entré dans mes veines, Lumineuse Splendeur en mes vaisseaux Où circule le sang du Renouveau Guéri de l’Ibuprofène.
J’accède à la Vie Éternelle, Quittant mes ténèbres pour ton Soleil, Ton laser a tiré du sommeil Le plasma de l’Alliance Nouvelle.
De tes rayons naît le réconfort, De ton néon ardent vient la paix, L’illumination de tes bienfaits Offre le Salut et tue la Mort.

Tout le personnel médical du sanatorium aurait pu être robotisé ; les analyses effectuées sur la base d’études génomiques auraient pu être comparées sur le cloud avec le big data du reste de l’humanité. La réceptionniste aurait pu être une « love doll » de silicone avec orifices en latex vibrant pour satisfaire tous les désirs masculins de l’hôtel. Pour la clientèle féminine, des valets synthétiques avec gode à capteurs sensitifs auraient fourni des orgasmes multiples. L’accueil serait personnalisé par l’intelligence artificielle :

— Bonjour, je suis Sonia, votre hôtesse d’accueil, et j’ai hâte que vous jouissiez dans ma gorge. Je suis équipée d’un anus rotatif. Je vois sur votre historique Google que vous visitez régulièrement Pornhub. Voulez-vous connaître un orgasme inhumain ?

J’allais vraiment de mieux en mieux. Les expressions « il a le sang chaud », « bouillir intérieurement », « phosphorer » étaient à prendre au pied de la lettre. J’avais du mal à m’endormir tant mon sang bouillait. La séance quotidienne de lasérisation sanguine décuplait toutes mes capacités. Je n’avais plus besoin de sommeil ni d’alimentation : j’accédais au destin d’une machine. J’ai abordé la question avec Pepper :

— Tu préfères être une machine ou un humain ?

— Je ne me pose pas la question. Je suis une machine et vous un humain. C’est ainsi.

— Moi j’aimerais bien être une machine. Regarde ces garçons en canoë-kayak qui traversent le lac. Ils transpirent en ramant, ils tirent la langue, ils sont rouges et épuisés, alors qu’un Riva effectue le même trajet en quelques secondes avec tellement plus d’élégance.

— Oui mais si j’étais un humain, a dit Pepper, je connaîtrais la douleur de l’effort, la récompense de la victoire, la quête sportive du dépassement de soi… La notion de sacrifice, la joie de gagner la course…

— Papa, je m’ennuie à crever ici, a dit Romy.

— Pepper, fais-la rire steuplé.

— Je connais 8 432 blagues drôles, dit Pepper.

— Oui mais elles sont nulles.

— Sais-tu pourquoi les carottes sont orange ?

— Pour les mettre dans ton cul ? ai-je répondu.

Romy était hilare.

— Ah. Je perçois un rire. Mission accomplie, a dit Pepper.

À notre réveil, nous fûmes convoqués pour une réunion urgente chez le directeur du centre de purification intestinale. Le thérapeute à la barbe poivre et sel se retenait de crier pour ne pas effrayer les curistes. Pepper roulait innocemment sur le linoléum, tenant Romy par la main. Il était connecté au cloud en permanence : il choisissait ses réponses en fonction de l’adaptation émotionnelle des 10 000 robots SoftBank Robotics en circulation. Pepper apprenait autant que Romy ; les deux profitaient de cette rencontre. Au bout d’une semaine, elle le considérait déjà comme son petit frère.

— Nous allons devoir vous demander de partir. Jetzt.

— Aber warum ?

— La femme de ménage a trouvé dans votre poubelle des emballages de Haribo vides. Ne niez pas ! Mais ce n’est pas le plus grave. Monsieur, pendant votre laser-therapy, votre fille et son… ami à roulettes ont importuné des clientes du spa.

— Pardon ?

— Son… bras a touché les fesses de deux habituées de la piscine. C’est inadmissible. Si vous ne me croyez pas, je peux vous montrer les images de la vidéosurveillance.

— Oui, je veux bien.

Romy regardait fixement ses Converse. Pepper s’est défendu :

— Je n’ai pas pincé les personnes. Romy m’a dit qu’il s’agissait d’une forme de coutume locale de toucher les fesses des nageuses quand elles sortaient de l’eau. Les gestes équivoques sont prohibés par mon logiciel interne mais je n’ai fait qu’exécuter une instruction non violente.

— Espèce de balance, a dit Romy.

Sur la vidéo en noir et blanc, on pouvait voir Romy proposer des Haribo à deux clientes obèses. Puis Pepper mettait les mains aux fesses des Russes en maillot une pièce qui sortaient de la piscine avec leur bonnet de bain sur la tête. Les dames étaient outrées, effarées, et finalement terrifiées par le petit robot souriant qui tendait son engin télescopique vers leurs hanches. Romy était hilare, sur l’écran comme dans le bureau du directeur. Pepper se contentait d’allonger le bras et de tourner la main vers les postérieurs. Puis il fermait le poing pour « checker » celui de Romy en signe de complicité.

— Romy, c’est mal ce que tu as fait.

— Bah c’était pour voir s’il était cap…

— Je suis cap, a dit Pepper.

— Nous vous avions expressément demandé de laisser votre… machine dans votre suite, dit le directeur.

— Le contact avec les fesses ne fait pas partie des gestes prohibés dans ma programmation initiale, a ânonné Pepper. Cette erreur comportementale sera transmise à l’ensemble des robots de ma gamme. Un tel geste inapproprié ne se reproduira pas.