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— Saignée ?

— Les requins l’ont dévorée jusqu’au tronc mais aucune plaie n’a été relevée sur le buste, dit-il. Griffith saignait pourtant : une blessure aux jambes…

— L’artère fémorale ?

— Possible.

Amelia fronça les sourcils ; à elle aussi il lui manquait des éléments.

— Vous croyez qu’on a saigné Johann Griffith pour que les squales se chargent de faire disparaître le corps ? demanda-t-elle.

— Je ne sais pas… Sans doute. J’enquête en parallèle sur l’affaire Kirk, le tueur en série abattu il y a quelque temps. Vous en avez entendu parler, non ?

— Bien sûr, répondit Amelia. Ça a même été un sacré fiasco pour les services de police. C’est d’ailleurs à la suite des restructurations internes que j’ai obtenu un poste à Auckland. Quel rapport avec Griffith ?

— Kirk désossait ses victimes, répondit Osborne. On a retrouvé un charnier avec plusieurs corps mais les fémurs ont disparu…

Amelia commençait à suivre sa logique.

— Et vous vous demandez si Griffith a pu tomber entre les mains du tueur. C’est omettre un détail : Kirk a été abattu.

— Ça voudrait dire qu’il avait des complices. Kirk bénéficiait de protections, mais il n’était pas seul dans cette affaire. Le policier qui menait l’enquête était sur la piste d’un ancien activiste maori, Zinzan Bee, mais il s’est suicidé avant d’avoir résolu toute l’affaire.

Nous y voilà…

— Vous parlez de Fitzgerald ?

— Oui, dit-il. Vous connaissiez ?

— On m’a juste dit que vous travailliez avec lui, fit-elle, évasive.

Amelia ne voulait pas s’étendre sur le sujet : Tom lui avait dit qu’Osborne ne s’était pas remis du suicide de son ami…

— J’ai à mon tour suivi la piste de Fitzgerald, dit-il, mais Zinzan Bee a disparu de la circulation.

Amelia hocha la tête au-dessus du petit tas de sable qu’elle confectionnait d’un geste mécanique.

— Vous croyez que Zinzan Bee était le complice de Kirk et qu’il continue de désosser ses victimes, en l’occurrence Griffith, tout en bénéficiant des mêmes protections ?

— Quelque chose comme ça.

— Quel rapport avec votre histoire de cambriolage ?

— Entre autres activités, Melrose écrit des romans, des sagas historiques à caractère disons, révisionniste, susceptibles d’attirer l’animosité d’une certaine communauté maorie. Melrose collectionne également des objets d’art premier : la hache dérobée chez lui appartenait à un vieux chef de la tribu ngati kahungunu… Zinzan Bee fait lui aussi partie de cette tribu.

— Ça fait de lui un suspect ?

— C’est ma piste. Le meurtrier de Johann Griffith connaissait ses habitudes, comme il connaissait celle de la famille Melrose.

— Peut-être, rétorqua Amelia, mais il y a forcément un mobile, une raison à tout ça ? Si le tueur en voulait à Griffith et à Melrose, pourquoi se contenter de voler une hache ? Le vieux dormait à l’étage : il aurait pu le tuer…

Osborne planta son mégot dans son tas de sable.

— En tout cas, dit-il, les corps retrouvés dans le charnier de Kirk étaient en rapport avec l’enquête que menait Fitzgerald, tous sauf un, celui de Samuel Tukao, notaire à Mangonui. Son corps vient d’être identifié : disparu deux mois avant la découverte du charnier, Tukao a été torturé à mort. Mais tout ça, j’ai l’impression d’être le seul à m’en soucier…

Amelia éjecta le mégot de cigarette de son monticule.

— Vous croyez que Griffith a été assassinée et que personne n’en parle ?

— C’est le type de question que je me pose, dit-il.

— Pourquoi ?

— C’est aussi le type de question que je me pose.

— Je ne comprends pas.

— Moi non plus.

Près de la cabane à frites, une mère et ses enfants commandaient des ice-creams. Osborne fouilla dans la poche de sa veste, en tira un sachet plastifié.

— Vous pouvez analyser ça pour moi ?

Amelia se pencha sur trois cheveux, collés les uns aux autres : noirs cette fois-ci, pris dans ce qui ressemblait à du sang coagulé…

— D’où vous sortez ça ?

— C’est ce que j’aimerais savoir.

Sous ses airs sibyllins, Osborne paraissait surtout faiblard. Elle en profita :

— En gros, vous ne savez rien des affaires que vous suivez mais vous me demandez de m’occuper de tout ?

— Rien ne vous y oblige, je vous le demande.

— C’est la même chose.

Ses yeux de chatte papillonnaient dans la brise. Osborne redressa sa carcasse :

— Pas un mot à qui que ce soit, hein…

Elle empocha le mystérieux sachet et se leva à son tour.

— Vous n’avez pas confiance en Moorie ? dit-elle en époussetant son pantalon ensablé.

— Il travaille main dans la main avec Gallaher.

— Vous ne l’aimez pas non plus…

— Non, concéda Osborne.

— Et Timu ?

— Bof.

— Bref, vous n’aimez personne.

— Si vous… je vous aime bien.

Le vent du large le poussa vers elle. Amelia avait vraiment un joli corps, et des manières si douces… Osborne eut un sourire crispé, comme s’il craignait de rouvrir ses plaies.

— À plus tard…

*

Les sales pressentiments succédant aux mauvais, Osborne fila jusqu’à Grey Lynn. Les antalgiques avaient eu raison de sa migraine mais ça n’allait pas mieux. Il s’était réveillé dans une chambre littéralement mise en pièces, la chatte déchiquetée au fond de la baignoire, du sang sur ses vêtements, une balle manquait dans le barillet de son .38, la fille avec laquelle il avait passé la nuit venait d’être retrouvée assassinée près d’un entrepôt désaffecté à l’autre bout de la ville et lui avait un trou d’environ six heures dans son emploi du temps. Il était pourtant sûr d’avoir laissé le revolver dans la chambre : où était passée la balle manquante ? S’il était rentré à l’hôtel après la party, pourquoi était-il ressorti ? Tuer Ann Brook ?

Des images fugitives lui traversaient la tête, réminiscences ou fruit de son inconscient, et dans ce tri impossible il voyait des grillages, un terrain vague, un fossé, cette chose immonde tout au fond, et cette menace, cette peur panique… Et si la peau qui suait ses toxines dans l’habitacle de la Chevrolet était celle d’un assassin ?

« Marshall & Bro. » Une enseigne passée sur la tôle couleur rouille, un grillage délimitant un terrain en friche. Au milieu, l’entrepôt désaffecté de l’ancienne scierie où on avait retrouvé le corps d’Ann Brook, lugubre malgré le soleil qui plombait l’après-midi. Osborne claqua la portière et repéra l’agent en uniforme qui gardait l’entrée du site.

Journalistes et curieux étaient repartis avec leur fait divers en poche, laissant le quartier de New Lynn à son train-train de bagnoles qui passent et de piétons assoupis. L’ancienne usine se tenait à l’écart de l’artère principale, dans une zone qui deviendrait bientôt un quartier résidentiel : début des travaux dans une semaine, d’après le panneau. Entrepreneur : Century Inc.