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— La sécession est imminente, dit-elle alors.

— Quelle sécession ?

— Entre pakehas et Maoris.

— Il n’est pas question de sécession mais de vivre ensemble, dit-il.

— Ensemble ? releva Hana. Tu penses en Blanc, Paul… Si vous ne voulez pas de nous autrement qu’aliénés à votre système, vous pouvez vous le garder. Nous n’en voulons plus : ni de votre société ni de vos lois. Le monde crève à petit feu mais nous ne mourrons pas comme ça. Non, pas comme ça…

Hana ne serrait plus les dents ; elle semblait rêver à des fins heureuses… Paul se tut, traversé de doutes.

Un avion de tourisme survola le cargo ; il les salua de l’aile mais, avec la houle du large, même les Chinois n’avaient plus le cœur de lui répondre.

Ils vomirent tandis qu’ils dépassaient la péninsule de Coromandel. Au loin, Great Barrier pointait son nez dans la brume de chaleur…

Plus vaste que Bali pour une population à peine supérieure à mille habitants, l’île de Great Barrier était un curieux compromis entre la nature et la civilisation.

Fort de ses idées écologiques, le gouvernement avait proposé d’aider les paysans à s’installer sur cette terre déchiquetée. Des émigrants avaient ainsi tenté de cultiver les pentes caillouteuses qui se jetaient à corps perdu dans la mer, ils avaient rasé le bush et semé, sans succès : les pentes étaient si abruptes que seules les racines les plus teigneuses pouvaient s’y accrocher. Les paysans étaient repartis, laissant la place à une population souvent marginale, rarement malheureuse, et l’unique plante à daigner pousser sur cette terre, outre le chienlit, était le cannabis. Le reste de la population se composait de chefs d’entreprise ou de commerçants blasés par l’économie de marché ou/et leur femme, qui venaient se ressourcer le week-end autour d’une partie de pêche et une caisse de bières. Concentrés sur quelques sites aménagés près du port de Tryphena, ils laissaient derrière eux des terres vierges, à peine sillonnées par des chemins de randonnée. Au-delà, plus rien que le bush, à peu près inextricable, des falaises dégringolant dans la mer et quelques plages de sable blanc prisées par les surfeurs…

— Tu ne m’as toujours pas dit ce qu’on faisait là, fit remarquer Hana.

— Non.

Le cargo venait d’amarrer sa lourde carcasse dans la baie.

— Toujours aussi mystérieux…

— C’est toi qui disparais à tout bout de champ, rétorqua-t-il, pas moi.

Hana sourit légèrement. Le capitaine avertissait les passagers de regagner leur véhicule.

— Allons-y.

Découpé dans des vallons verdoyants, le petit port de Tryphena baignait ses eaux claires. Les petits Chinois aussi avaient repris des couleurs. Sur le ponton où ils venaient d’accoster, une demi-douzaine d’autochtones attendaient un parent, un ami ou quelques denrées rares. Des gosses au tee-shirt crasseux chahutaient plus loin, leurs pieds sans chaussures en éventail. Paul et Hana montèrent à bord de la vieille Dodge qu’il avait embarquée.

— Pourquoi tu as acheté cette guimbarde ? demanda-t-elle.

— À cause du volant.

Sans cache, il était effectivement ridicule. Ils suivirent la portion de route bitumée jusqu’au village de Claris, dernier bastion de civilisation avant la forêt escarpée. Puis ils dépassèrent un lodge, quelques fermes le long d’une piste poussiéreuse, et s’enfoncèrent dans le bush.

Paul zigzaguait pour éviter les racines. La végétation gagnait sur la route, compacte, brocolis géants rivés à la terre. Bientôt la nature les enveloppa dans ses tiges. Ils roulèrent encore, soulevant un nuage de fumée et d’insectes que des piwakawakas bleus gobaient au passage, atteignirent un premier sommet où l’on apercevait une baie turquoise et filèrent plein nord, en direction de Rangiwhakaea Bay.

Hana n’était jamais venue à Great Barrier. Elle observait le panorama dantesque qui défilait derrière le pare-brise moucheté d’immondices — des plages désertes et la forêt qui se perdait dans la montagne. Ils ne croisèrent bientôt plus que des oiseaux.

Enfin, la vieille guimbarde ralentit à l’orée d’un bois. Hana se tourna vers l’océan, qu’on distinguait derrière une rangée de pohutuwakas, ces grands arbres aux fleurs rouge sang…

— Tu m’as fait venir ici pour prendre un bain de mer ?

— Avance plutôt que de dire des conneries, dit-il en ouvrant la portière.

Filant sous la voûte des grands arbres, ils atteignirent la plage de sable blanc où se prélassait une colonie de manchots.

— Par ici, dit-il en l’entraînant sur un lit de coquillages.

À peine visible depuis la plage, un chemin abrupt grimpait au flanc d’une petite falaise. Des marches avaient été taillées à même la roche, renforcées par des pierres et des planches mal ajustées. Paul ouvrit le passage, repoussant les fleurs sauvages. Hana le suivit jusqu’au sommet. Le jardin qui dominait la baie était en friche mais les fleurs autour de la maison commençaient à s’ouvrir.

Des orchidées blanches, ça lui plairait, non ?

— Qu’est-ce que c’est que ça ? dit-elle.

— Une maison.

Paul avait trouvé le terrain deux ans plus tôt. L’argent extorqué aux six crapules avait couvert l’achat de la parcelle et le bois de construction. Paul avait bâti la maison avec le concours d’un charpentier du coin : montée sur pilotis, la bicoque ne payait pas de mine mais le groupe électrogène fonctionnait. Un conteneur à l’arrière constituait la réserve d’eau douce, il y avait aussi une cheminée et du bois de chauffage alentour. On voyait la mer depuis la terrasse et, hormis le tui noir qui nichait au sommet du kowhai, le premier voisin était à des kilomètres…

Hana se tourna vers Paul, qui la regardait avec ses beaux yeux de cinglé.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— J’ai retrouvé les types de Red Hill, répondit-il. Dooley et ceux qui à l’époque faisaient partie de sa bande… Ce n’est pas grand-chose mais ils ont payé un peu de leur dette… C’est à toi si tu veux. À nous…

On n’entendait plus que le bruit des vagues en contrebas. L’exil, le temps, tout ça n’avait servi à rien.

— Je m’en fous de ta maison, dit-elle en soupirant. Tu n’y es pas, Paul, pas du tout. Je me fous de ces types, je les ai oubliés depuis longtemps. Tu continues à penser en Blanc : de l’argent sale, c’est tout ce que tu as à me proposer ?

Il ravala sa salive, le cœur dans la gorge.